30
ans à la tête de l’Etat sans avoir ne serait-ce qu’une seule fois foulé
de ses pieds, le sol de la vallée du Ntem, un des quatre départements
de sa propre région d’origine. Voila l’autre constat que l’observateur
ayant suivi de bout en bout la cérémonie de pose de la première pierre
du barrage hydroélectrique de Memve’ele, aurait pu faire. Pendant le
discours du représentant des élites de la région, on a entendu le chef
de l’Etat être remercié d’innombrables fois au nom des populations,
pour la marque d’attention particulière qu’il témoignait à leur endroit
en venant personnellement
présider cette cérémonie. Et pourtant, le fait en lui-même est une curiosité.
Même en envisageant les 30 ans de pouvoir dans une
perspective népotiste – raisonnement par l’absurde-, on se serait
attendu à ce que le président ait mis un point d’honneur tout au moins, à
rendre fréquemment visite à ses "frères". Il n’en est rien.
Ses avocats pourraient avancer l’argument selon lequel jusqu’ici, la
vallée du Ntem département jeune du reste, qui partage ses frontières
avec le Gabon et la Guinée équatoriale, n’avait jamais abrité un
événement qui aurait pu justifier le
déplacement présidentiel. Mais ce fait nous amène à interroger une
attitude propre à Paul Biya et qui ne sera remise en question par
personne. Rarement, le président de la République se déplace en région.
Toutes choses qui confortent l’idée qu’il est un président "déconnecté".
A ce sujet, des anecdotes plus ou moins
invraisemblables sont légion. L’une d’entre elles rapporte que pendant
longtemps, il avait cru que le bitumage de l’axe Yaoundé-Bertoua était
achevé ou en voie de l’être. Pourtant il aurait pu prendre la route par
luimême ! Ne jamais vérifier par luimême sur le terrain si ce qu’on lui
dit est vrai, parce qu’il s’entête à penser
qu’il peut gouverner le Cameroun, assis à Yaoundé. Il est là, l’un des points faibles de l’homme du Renouveau.
Est-ce parce qu’il a effectué toute sa carrière dans les services centraux de ministères et à la présidence de la République que le président persiste à croire, que commander à partir de Yaoundé suffit pour bien faire ? Est-ce parce que pas une seule fois il n’a été affecté en région, que le président a acquis le reflexe de s’enfermer dans sa tour d’ivoire d’Etoudi pour ne se contenter que des rapports de collaborateurs dont on sait aujourd’hui que très peu sont fiables ? Car nombreux parmi eux, à qui le chef de l’Etat a abandonné le terrain ne lui en disent parfois que ce qu’ils veulent ou ce qui les arrange. D’autres, plus pernicieux, en ont d’ailleurs profité pour se servir, en mentant au chef. En abandonnant le terrain de cette manière à une élite politico-administrative pas toujours bien intentionnée, le président leur donne licence de se livrer bien souvent à des exactions dont on sait aujourd’hui qu’elles leur ont permis de s’enrichir, à coup de milliards. Déconnecté, Paul Biya l’est, car il est réticent à faire l’effort de toucher du doigt les réalités concrètes du pays, enfermé tel un roi, dans le luxe d’Etoudi. Comment Paul Biya peut-il prétendre bien gouverner ce pays, en exerçant le mandat à lui confié par le peuple alors que de manière constante il en est éloigné ?
Peut-on gouverner le Cameroun de manière efficace et utile sans s’enfoncer dans le pays profond ?
Paul Biya est persuadé que oui. Nous, non ! Pourquoi ? Parce que bien souvent, les collaborateurs dont il s’entoure et qui sont censés lui dire ce qui se s’y passe, ne sont pas toujours très fiables. Parce qu’une telle manière de faire travaille à l’éloigner du peuple qui l’a élu et lui a donné son mandat. Parce que dans l’imaginaire collectif, il renvoie l’image d’une sorte de demi-dieu qu’on ne voit jamais et qui ne vous voit pas toujours. Parce que le faisant, il abandonne le pays entre les mains d’une élite prédatrice qui s’engraisse sur le dos du peuple. Paul Biya et le terrain ? Un désamour manifeste. Une question en guise de quiz pour s’en convaincre. Réceptacle de la richesse nationale mais région la plus enclavée du pays ; de quand date la dernière visite de Paul Biya dans la région de l’Est ? Cherchons bien…