Invraisemblable! Paul Barthélemy Biya Bi Mvondo, une fois encore vient de jeter le masque de sa gouvernance arbitraire et irascible. En convoquant fortuitement le corps électoral en vue des Sénatoriales, il met en branle un nouvel hold-up électoral. Plus soucieux de son pouvoir personnel, il démontre ainsi qu’il tient mordicus à maintenir la porte du débat politique fermement cadenassée. Décidément, l’«éternel acrobate politique, agrégé en bluffs» ne manque pas de culot !
Sa dernière trouvaille : vaincre sans péril les Sénatoriales, avec un corps électoral partiel, composé de conseillers municipaux dont le mandat est échu et sans compter des conseillers régionaux encore absents du paysage politique et des électeurs blasés et désabusés, intéressés à coup de quelques billets de CFA par les hiérarques du régime. À moins d’un revirement de dernière minute, chose presque impensable pour un chef qui écoute très peu ses concitoyens, le « Nnom Ngii » sait qu’il court sans effort vers le couronnement de son parti, le RDPC à cette compétition biaisée à la base. Une attitude qui n’est que la dernière épiphanie d’une méthode bien consacrée qui a toujours démontré son manque de sincérité, de loyauté et de droiture envers les Camerounais pour lesquels il est supposé travailler. N’est pas lorsqu’on aime son pays, il y a des actions évidentes que l’on mène pour satisfaire les attentes de ses compatriotes? Chez lui les termes dialogue, concertation et consensus n’ont aucun sens.
5 ans après la modification de la constitution qui lui a permis d’avoir un bail perpétuel à la tête du pays, les Camerounais viennent de subir un deuxième viol. Le régime qui gouverne le Cameroun est semblable à une mafia sicilienne où tous les coups sont permis : immobilisme, strangulation de l’expression populaire, enrichissement illicite, dépravation des mœurs, népotisme, favoritisme, impunité, injustice et corruption, etc. Et maintenant à défaut de gagner à la régulière, il veut l’emporter à tout prix sur tapis vert avant même le début de la partie, illustrant ainsi les incohérences du discours officiel.
La fourberie de trop
A 80 ans sonnés, on le croyait, peut-être
naïvement, capable de dépassement et prêt à jouer son jubilé en passant
la main à une nouvelle classe politique. Que non, « l’homme Lion »
s’est encore trompé d’époque et son erreur va gravement mettre à mal le
peu de crédibilité politique qui restait à son régime. Même au
crépuscule de sa vie, Paul Biya ne voit toujours pas la nécessité de se
rattraper, malgré son bilan exécrable.
Au moment où les populations camerounaises et tous les observateurs de
la scène politique nourrissaient le secret espoir d’une alternance
démocratique paisible, le chef de l’État camerounais en a décidé
autrement, en semant, comme à son habitude, les germes de la discorde et
de la déflagration.
Il faut dire que son acte est un véritable travail de sape qui dépossède le citoyen de tout pouvoir politique et le peuple de toute souveraineté ; la démocratie se vide ainsi de son contenu concret. Elle est battue en brèche à la fois par les intérêts égoïstes dominants du moment et par la passivité des esprits. C’est à se demander si nous somme encore en démocratie.
Dans son calcul machiavélique et marchand, cette nouvelle décision larmoyante, d’une simplicité manichéenne et démagogique met en difficulté la cohésion politique du pays. Dans cette approche cynique et totalement irresponsable, Paul Biya et ses conseillers n’ont pas tenu compte des doléances formulées ici et là à travers le pays, mais aussi et surtout de la paix civile qui est ainsi dangereusement hypothéquée. On décrypte, à travers son nouveau tour de passe-passe, une volonté de maintenir le statu quo. Et c’est sans doute là son objectif inavoué.
Les dés pipés des Sénatoriales
En effet, comment comprendre le paradoxe du
pouvoir à organiser les sénatoriales avant les élections régionales et
municipales alors que les mandats des députés ou des conseillers
municipaux censés prendre part au vote sont échus depuis plus d’un an,
sans compter l’absence des conseillers régionaux pourtant prévus par les
textes. Or, c'est à ces conseillers municipaux, dont l'illégitimité
crève les yeux, que Paul Biya vient de donner la charge d’élire les
membres du Sénat, une institution appelée à jouer un rôle essentiel dans
un futur proche, d’autant plus que c’est le président du Sénat qui
devient de facto le chef de l’exécutif en cas de vacance du pouvoir. Or
les conseils régionaux n’étant pas encore en place et ayant la haute
main sur la quasi-totalité des exécutifs communaux, plus de 85%, les
résultats des sénatoriales sont connus d’ores et déjà à l'avance. Avec
cet électorat servile et très malléable, le RDPC, son parti, va faire
main basse sur la chambre haute du parlement.
En convoquant le corps électoral pour les Sénatoriales le 14 avril 2013,
cet éternel voyageur marque un coup d’arrêt fatal aux réformes
attendues et à l’apaisement politique dans cette démocratie tropicalisée
et moribonde. Sa décision est un grave recul démocratique et est
contraire à l’ouverture voulue par la majorité des Camerounais.
Le pouvoir à bout de souffle
Quoiqu’on dise, le Cameroun va mal, très mal même. Incapable de se renouveler, le système est à bout de souffle et à bout de course. Le prévisionnel n’existe pas, qui plus est, les dirigeants, se montrent inaptes de préparer l’avenir. Sclérosés et rigides, ils sont atteints de cette espèce de tétanos qui a ankylosé leur esprit. Cet aréopage de parasites semble ne plus pouvoir contrôler la dynamique qu’il a lui-même engendrée.
Pendant trente ans, ces dirigeants nous ont
démontré leur cupidité et leur avidité, leur soif à profiter de
l’opportunité d’un président de la République quasi absent, pour
s’enrichir au détriment du peuple. Ces pseudos intellectuels,
mystificateurs et quémandeurs de la bonne grâce de leur « Créateur »
n’ont dans leur bouche que le plaisir de remplir leur ventre et leurs
poches. Leur boulimie n’a pas de limites. Et ils veulent continuer à
thésauriser indéfiniment pour eux et leur progéniture, sans jamais
penser au pays et à la grave menace qu’ils lui font progressivement
courir. Toujours, avec le même état d’esprit en eux, accompagnés par
l’hypocrisie, la fourberie et le superficiel, sans oublier la langue de
bois, ils gardent à l’esprit, qu’il y a un poste, une place, une
fonction, qu’il faut préserver à tout prix.
Depuis trente ans, ces hiérarques ont manié avec brio les formules
creuses et éternellement pipeautées sur la paix sociale et politique.
Une tactique bien huilée pour achever l’anéantissement de toute pensée
critique en maintenant le nivellement par le bas, corollaire
indispensable à la stabilité politique et à leur survie personnelle.
Ceci dans le but d’éviter l’implosion de la société et la mise à sac du
fruit de leurs rapines.
Si le soupçon avec lequel la décision prise par Paul Biya de convoquer le corps électoral relève entièrement du délire ou de ce qu’on peut supposer être de la méchanceté gratuite de la part d’un homme qui a contribué à assombrir le climat social dans le pays et à refroidir l’ardeur des Camerounais, il n’est pas dans l’intérêt de la conscience collective d’en être dupe et de rester les bras croisés.
A force de fermer les yeux sur le laisser-aller et
le laisser-faire, à force de demeurer conciliant avec ses bourreaux, le
peuple a fini par faire croire aux tenants du pouvoir que tout leur est
permis. Au-delà des incantations, c’est à se demander s’il y a encore
une force citoyenne pour servir de contre-pouvoir à ce régime. Devant
cette nouvelle manipulation cousue de fil blanc, la société civile et
les démocrates sincères vont-ils encore subir en silence cette
agression de trop?
L’ombre des années de braise
Aujourd’hui encore, l’énonciation ou la dénonciation n’ont plus rien d’inédit. Elles n’ont pas de quoi troubler cette fausse bonne conscience affichée par la classe dirigeante. C’est comme de l’eau jetée sur le dos du canard. Inexorablement mais sûrement, la situation devient de plus en plus complexe. Le pays se lézarde et se dégrade sous les coups de boutoir de ce réseau tentaculaire de prédateurs politiques et sa stratégie de pillage. Le petit peuple en paye de lourds dommages économiques, sociaux et humains. Enchaîné et pris en otage, exposé aux brutalités des forces de sécurité suréquipées et surpayées pour le maintien d’un homme au pouvoir, il ne sait plus à quel Saint se vouer.
Avec un tissu social en pleine décomposition, les raisons de la colère ne manquent pas. Reste à savoir si le rapport de force continuera à être en faveur de ce régime dans les prochains mois. Rien n’est moins sûr, ne serait ce qu’en raison de l’âge avancé du capitaine, et ce, malgré la foultitude de laquais, éternels passe-murailles et leur maniement habile de l’illusionnisme pour entretenir la légitimité du pouvoir. Sous forme d’articles, de discours et de prise de parole, ces bien-pensants éculés ne manqueront pas de pertinence pour venir défendre leur champion.
Meurtries dans leur chair et dans leur âme par une
gigantesque machine qui cultive l'immobilisme, les populations sont
réduites à l’oisiveté et à l’état de spectateurs passifs. Ayant perdu
tout stimulant, toute vigueur et toute notion de valeur, elles
s’adonnent à des dérivatifs tels que la beuverie, le sexe et la drogue,
des pratiques encouragées et considérées ici comme normales. Ce qui
permet d’affaiblir l’engagement citoyen déjà malmené par cette vie
malsaine.
Et dans cette désintégration et cette dégringolade progressives, les
challengers politiques lèvent à peine la tête dans le camp du pouvoir
pour donner le change. La désillusion continue de s’installer. En face,
les sources de contestation se sont peu à peu dissipées, laissant en
place une opposition alimentaire mue par le goût du lucre et prêt à
bondir au premier appel à la ripaille. Tous les leaders ou presque se
sont plus ou moins mouillés. Les opposants s’observent, chacun voulant
neutraliser l’autre pour être calife à la place du calife. Tous se
refusent ainsi de s’entendre sur une stratégie commune et à couronner un
éventuel successeur. C’est pourquoi, rien n’est fait pour accélérer la
chute de ce chef impopulaire malgré ses scores staliniens obtenus aux
forceps. Bien au contraire, la présence de Biya au fauteuil est un gage
pour certains d’entre eux de s’en mettre plein les poches.
A ce jour, aucune perspective de changement et d’évolution politique ne se dessine. L’opposition corrompue est très fortement partie prenante à l’effondrement du vaillant peuple camerounais. Les citoyens se détournent de la chose politique, dégoûtés, qu’ils sont par ces leaders plus prompts à passer à la caisse qu’à trouver des solutions à leur quotidien, annihilant ainsi toute possibilité d’alternance politique.
Pendant ce temps, le chômage croît sans discontinuité au fil des jours. L’insécurité augmente sous toutes ses formes, sans que personne ne puisse stopper cette verrue qui pose de graves problèmes dans la vie de tous les jours. Les pauvres deviennent de plus en plus pauvres et, en nombre croissant, et les riches de plus en plus riches.
La postérité retiendra que les méthodes peu orthodoxes utilisées par « L’homme Lion » pour rester indéfiniment au pouvoir ont consisté en une série de décisions retentissantes par leurs tonalités partiales et partisanes, mettant en péril la cohésion du pays et renforçant la souffrance du peuple opposée à l’irresponsabilité, la médiocrité et la gabegie de ses dirigeants. Une fois de plus, le Cameroun loupe l’occasion de se renouveler, de donner naissance à un leadership cohérent et à clarifier sa situation politique avec la mise en place de ce Sénat consensuel. L’histoire retiendra sûrement que, tel un héros maudit de la tragédie grecque, Paul Biya fut le pire choix de notre pays à un moment crucial de son évolution.
Dr Désiré Essama Amougou, Médecin urgentologue