Paul Biya, entre mythes et réalités
La réputation du Président camerounais navigue entre fantasmes d’une population curieuse et traits de caractère confirmés par le cercle très rapproché.
Paul et Chantal Biya, à Yaoundé en 2004.
Mise à jour du 19 octobre: Selon le quotidien Mutations cité par RFI, Paul Biya aurait remporté l'élection présidentielle avec 77,98% des suffrages.
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Mise à jour du 18 octobre: L'opposant camerounais John Frudi Ndi et six autres candidats à l'élection présidentielle ont annoncé qu'ils rejetteraient par avance les résultats du scrutin du 9 octobre.
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Au Cameroun, les réputations se forgent à la vitesse de l’éclair. Beaucoup ne reposent sur rien et peuvent souvent frôler la médisance ou la calomnie. D’autres sont assez facilement vérifiables et trouvent une explication dans la sociologie du pays. Paul Biya, le premier des Camerounais, n’échappe pas à cette dure réalité.
Son côté mystérieux suscite divers commentaires et blagues. De même que cela a contribué à forger de nombreux mythes sur sa personne. Le mouvement de ses mâchoires laisse par exemple toujours songeur, lorsqu’il apparaît lors des cérémonies publiques, à la télévision et surtout lors de la grande parade du 20 mai pour la fête nationale camerounaise. Paul Biya a toujours l’air de mâcher quelque chose. Le politologue Mathias Owona Nguini, observateur averti des mœurs politiques au Cameroun, n’y va pas par quatre chemins: «Il est fort probable que ce soit des écorces d’arbres ou des racines de plantes qu’il mâche ainsi lorsqu’il est en public; et qui lui permettraient d’être invulnérable à toute forme d’agression extérieure.» Une manière de «se blinder» donc, comme on dit prosaïquement à Yaoundé ou à Douala.
Mais on peut se demander si Owona Nguini livre là une analyse objective ou s’il résume le sentiment de ses compatriotes. Les Camerounais ont en effet une forte propension à véhiculer des histoires qui touchent à la parapsychologie. C’est ce que confirme d’ailleurs Charles Atéba Eyéné, auteur de plusieurs livres hagiographiques sur Paul Biya: «Nous sommes des Bantous. Et, dans ce sens, l’adversité n’est jamais loin. Il est donc normal que le Président se protège, même si on ne saura jamais avec exactitude ce qu’il mâche. Il apparaît évident que tout cela a un côté quasi-mystique qui impressionne.» Charles Atéba Eyéné pense même que c’est une nécessité de «se blinder» ainsi pour un homme politique. Surtout quand il est si peu familier des bains de foule comme l’est le chef de l’Etat camerounais.
La rencontre avec Chantal
Sur ce plan, Michel-Roger Emvana, auteur d’une biographie de Paul Biya, Les secrets du pouvoir chez Karthala, affirme que «Biya vit replié sur lui-même, ce qui laisse planer de nombreuses zones d’ombre. D’ailleurs, il ne travaille qu’avec des hommes de l’ombre». Michel-Roger Emvana confirme ainsi une idée très répandue, jusque dans les tréfonds des quartiers populaires, selon laquelle son premier conseiller politique et diplomatique ne serait autre qu'Yvon Omnès, ancien ambassadeur de France au Cameroun de 1984 à 1993.
Autre sujet à sensation, c’est la rencontre du président Biya avec Chantal, la Première dame. Lorsqu’il l’épouse en secondes noces, en 1994, les commentaires vont bon train sur le lieu et l’origine de leur rencontre. Des mauvaises langues racontent vite que le Président l’aurait ravie à un de ses courtisans. D’autres encore évoquent le passé prétendument dissolu de cette jeune femme née en 1971 et ses manières, il est vrai à ce moment-là peu coutumières des usages du protocole républicain.
Dix-sept ans après, l’on en sait un peu plus. Tout au moins sur le lieu où est née leur idylle. Michel-Roger Emvana donne une version très croustillante: «Ils se sont rencontrés au cours d’une fête à Mvomeka’a [le village natal du Président, ndlr]. Chantal Vigouroux y était invitée, parce qu’elle était très amie de feue Elise Azar, la femme de Bonaventure Mvondo [dit Bonivent], le fils du frère aîné de Paul Biya.» Ils se seraient ensuite fréquentés dans le plus grand secret pendant plus d’un an, avant d’officialiser leur union par un mariage qui continue de faire couler beaucoup d’encre et de salive. Une histoire simple donc, et presque romantique, comme le laisse penser le très zélé biyaïste Charles Atéba Eyéné.
Rapports troubles avec l’armée
Celui qui est également délégué à la presse et à la communication de la section des jeunes du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir, hausse en revanche le ton lorsqu’il s’agit d’évoquer les rapports de Biya avec l’armée, que l’opposition décrit comme des rapports de soumission de l’un à l’autre.
«Le président Biya n’est l’otage de personne; il n’y a pas un seul pays où l’armée n’est pas ménagée», clame-t-il pour justifier le fait que le salaire des hommes en tenue n’ait pas été touché lorsque le salaire des fonctionnaires a été réduit à trois reprises pendant les années 1990.
Néanmoins la réforme de l’armée camerounaise intervenue en 2001 a surtout été perçue par l’opinion comme une vaste opération de promotion de nombreux officiers, et comme un prétexte pour élargir le corps des généraux. Puisque l’armée camerounaise n’avait pas vraiment connu de réaménagement depuis 1973, la réforme intervenue il y a dix ans fait dire à nombre d’observateurs qu’elle est l’expression de la fragilité des rapports entre le chef de l’Etat et les militaires depuis la tentative d’assassinat qu’il a essuyée en août 1983 et le putsch d’avril 1984.
Sans affirmer que Paul Biya est «l’otage» de l’armée, comme le disent ses adversaires, son biographe Michel-Roger Emvana estime tout de même que «le fait de ménager les hommes en tenue lui permet de maintenir une certaine stabilité pour son régime et dans le pays». Même si, toujours selon Emvana, il aurait difficilement pardonné aux auteurs des putschs de 1983 et de 1984, malgré la loi d’amnistie de 1989.
La rancune tenace
Le politologue Mathias Owona Nguini semble bien connaître le côté «un peu rancunier» du chef de l’Etat, qui ne supporterait aucune autre autorité que la sienne ni rien qui pourrait lui faire de l’ombre. «Ses rapports extrêmement tendus avec Titus Edzoa [NDLR : ancien secrétaire général de la présidence accusé d’avoir détourné 61 milliards de FCFA, soit 93 millions d’euros, et incarcéré depuis quinze ans] ne sont liés qu’à la préséance que ce dernier a sur le Président dans l’ordre de la Rose-Croix», affirme l’universitaire, qui est par ailleurs le fils d’un des pontes du régime.
Cela rappelle le limogeage fracassant, début 1987, de William Etéki Mboumoua. Le ministre des Affaires étrangères et ancien secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) semblait, à cette époque, prendre tous les feux des projecteurs. «Tout cela n’était pas vu d’un bon œil par Paul Biya, ce d’autant plus qu'Etéki est le seul patron, à part l’ancien président Ahidjo, qu’il ait eu, entre 1962 et 1965.»
Virtuose du songo’o
Si Paul Biya n’est pas connu pour être quelqu’un de très fougueux ni de très festif, une réputation semble cependant lui coller à la peau. Tout le monde s’accorde à dire que le Président camerounais est un excellent joueur de songo’o. Ce jeu est souvent évoqué par les adversaires de Biya pour le tourner en dérision: il ne travaillerait pas et passerait son temps à jouer. Ses partisans estiment en revanche que, à force de le pratiquer, il est devenu un grand stratège.
Ce jeu de société typique des régions du Centre et du Sud au Cameroun peut trouver un équivalent en occident avec le jeu d’échecs. Hautement stratégique, il consiste à prendre le maximum de pions à son adversaire. Les règles du jeu varient en fonction des ethnies, ce qui suppose une connaissance assez pointue des us et coutumes locaux. «Biya est un expert du songo’o; j’ai eu l’occasion de le voir jouer à plusieurs reprises», confirme Michel-Roger Emvana, qui ajoute que ses partenaires ne sont pas forcément ses ministres, mais un cercle très fermé d’élites bulu, l’ethnie du Président.
Ces parties de songo’o, comme l’explique le biographe du Président, débouchent quelques fois sur de longues soirées festives dans la résidence du chef de l’Etat à Mvomeka’a, où le bon vin coule à flots et où l’on danse au rythme du bol, une danse à deux des peuples Fang-béti-bulu du Sud-Cameroun. Un tableau qui contraste avec l’image guindée d’ancien séminariste que Paul Biya véhicule depuis bientôt trente ans.
Raoul Mbog