PAUL BIYA, “ELECAM M’EMPÊCHE DE DORMIR“ :: CAMEROON

 

Cameroun : Paul Biya, “Elecam m’empêche de dormir“Vendredi 5 février 2010, 11 :38,TUC/ 
Classification : Secret.
Objet : Le président camerounais Paul Biya brosse à l’ambassadeur un aperçu de sa politique économique. Classé par E. Janet Garvey, Ambassadeur, raison d’Etat.

Résumé :
Le 04 février, l’ambassadeur a rencontré le président Biya pendant 2heures pour un tour d’horizon sur les affaires nationales et internationales. M. Biya était très préoccupé par la montée des extrémismes islamiques. Il a salué la coopération croissante entre les Etats de l’Afrique ainsi que l’amélioration des relations avec le Nigéria. Il était optimiste au sujet du sommet de Copenhague mais très frustré par le rôle de la Chine. Il a  beaucoup apprécié les fortes relations commerciales américano-camerounaises, spécialement les intérêts de Boeing dans Camair-co. Il a promis de procéder à plus d’arrestations de fonctionnaires corrompus et de ne les libérer que lorsqu’ils se seront repentis.

Il a reconnu que des fonctionnaires ont volé beaucoup d’argent à l’Etat et que la transparence budgétaire doit être améliorée. Il a dit qu’il a perdu le sommeil à cause d’Elecam et que le problème majeur avec cet organe demeurait la création d’un « mécanisme » lui permettant de bien fonctionner et de façon indépendante du système de gouvernement centralisé.

Il a dit qu’un nouveau code électoral devant être soumis au parlement en la session de mars était en chantier et qu’il espérait que les élections sénatoriales se tiendraient au deuxième trimestre de 2010. M. Biya était chaleureux et bavard, et visiblement content de la rencontre, il s’aventurait dans plusieurs directions. Il n’écartait ni la possibilité d’une élection présidentielle avec sa propre participation, ni à mots couverts (peut-être  avec regrets) sa retraite. 
(Fin du résumé).

Montée des extrémismes islamiques

l’ambassadeur pour la coopération des services secrets américains avec le Cameroun. Il commençait déjà à s’inquiéter de l’infiltration du Cameroun par  les extrémistes islamiques à partir du Nigéria par la brèche des mosquées camerounaises.

Développement régional

Paul Biya disait qu’un nouveau vent de coopération soufflait en Afrique centrale. Il était content de la rencontre des chefs d’Etat de la Communauté monétaire et économique de l’Afrique centrale (Cemac) de janvier à Bangui qui a apporté de réformes importantes à cette institution et à la Banque centrale (Béac). Il mettait ce renouveau de la coopération régionale sur le compte du président gabonais Ali Bongo. Il a dit que le Tchadien Idriss Deby se sentait plus en sécurité et s’engageait beaucoup plus dans la région, demandant même des conseils à Paul Biya, puisque l’engagement de la République centrafricaine était réduit par son instabilité. M. Biya était d’avis que la Cémac était trop petite, mais que la fusion avec la  Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (Cemac) en discussion depuis des années n’a pas de chances d’avoir lieu dans le court terme.

Il dit avoir instruit le ministre des Relations extérieures d’explorer la possibilité de plus grandes synergies entre la Cemac et la Ceeac. M. Biya a salué les réformes en cours à la Béac en insistant sur le fait que beaucoup d’argent a été distrait. Le président a reconnu la nécessité de faciliter les transports, les procédures, pour traverser les frontières ainsi que les liaisons aériennes entre les pays de la sous-région, mais s’est renfrogné sur une compagnie aérienne basée à Douala, de peur qu’elle ne fasse ombrage à la future Camair-co, la compagnie camerounaise naissante. M. Biya donnait l’impression qu’il reconnaissait la force et la stabilité du Cameroun en Afrique centrale mais ne cherchait pas à jouer un rôle diplomatique plus important en Afrique centrale.

Relations avec le Nigéria /Bakassi

M. Biya était très reconnaissant envers les accords de Greentree de 2006 qui ont conduit au règlement final du différent opposant le Cameroun et le Nigéria au sujet de la péninsule de Bakassi. Le Cameroun devait donc construire plus de routes vers le Nigeria et renforcer ses capacités de fourniture d’électricité à son voisin. M. Biya a interrogé l’ambassadeur sur la situation politique actuelle du Nigéria, louant le président Yar’Adua comme « un bon partenaire » qui a traité le Cameroun comme il se devait. M. Biya était attristé par le mauvais état de santé de Yar’Adua.

Le Cameroun et le Nigeria oeuvraient ensemble pour résoudre les allégations selon lesquelles certains Nigérians auraient été maltraités à Bakassi. Le gouvernement de la République du Cameroun était en train d’essayer d’y travailler pour la sécurité et le développement. Le Groupe militaire d’élite GCR et le Bataillon d’intervention rapide (Bir) ont réussi à réduire la petite criminalité, bien qu’il pense qu’il est encore nécessaire d’accroitre les efforts du Bir pour combattre les bandits de grand chemin connus sous le nom de « coupeurs de route » dans la partie septentrionale du Cameroun. Le président a déploré le récent incendie à Bakassi, et a espéré d’y découvrir du pétrole et a insisté sur la nécessité d’améliorer la sécurisation de l’environnement. 

Copenhague/Chine

M. Biya a dit que les résultats du sommet de Copenhague étaient « positifs », surtout avec la prise en compte des ressources forestières. Le Cameroun s’associera à cet accord, a-t-il précisé. Il a éprouvé beaucoup de frustrations à l’encontre de la Chine : « Qu’est-qui ne va pas avec eux, se demandait-il, les critiquant d’écraser tout de leur poids à Copenhague. Il n’a pas compris la position de la Chine sur le Dalaï Lama et Taïwan, montrant la nécessité de l’aligner.

Affaires économiques et commerciales

L’ambassadeur a relevé le renforcement des relations commerciales entre le Cameroun et les Etats-Unis. Elle a relevé que le consortium d’exploitation de Bauxite Cameroon Alumina Ltd (CAL), qui inclut la compagnie américaine Hydromine a rempli les conditions d’obtention de sa licence d’exploration et espère le permis d’exploitation. Elle a aussi relevé que la compagnie d’exploitation de cobalt Geovic vient de résoudre un très vieux conflit avec son partenaire, le gouvernement camerounais, ce qui devait faciliter l’achèvement du projet en 2010 malgré quelques problèmes qui persistent. Elle a aussi souligné leur désir de voir le Cameroun tirer meilleur parti de l’African Growth and Opportunity Act (Agoa) (Opportunité pour la croissance en Afrique).

M. Biya a soutenu l’Agoa et a reconnu que beaucoup était encore à faire. Il se disait frustré par la gestion des relations humaines par la compagnie américaine d’Electricité Aes Sonel bien que reconnaissant par ailleurs que les pénuries d’eau au Cameroun sont plus cruciales que celles d’électricité. Il se disait heureux de l’intérêt de Boeing pour le Cameroun. Il a reconnu qu’il faudra du temps pour mettre sur pied une compagnie aérienne, mais que les pourparlers avec la Lufthansa pour gérer la nouvelle compagnie étaient presqu’achevés et qu’il venait juste de nommer deux directeurs pour la Camairco, l’un originaire des Pays Bas et l’autre d’Autriche. M. Biya n’a pas discuté de l’économie générale en profondeur mais a relevé la nécessité de « relancer l’économie ». Il en avait après le ministre de l’Agriculture (Jean Nkuété, ndlr) de ne pas se donner plus de peine pour booster ce secteur. Il a dit qu’il espérait que le projet  d’usine à Gaz de Kribi suivra la bonne voie.

Corruption et transparence budgétaire

L’ambassadeur a loué l’acharnement du Cameroun à lutter contre la corruption, y compris les arrestations renouvelées de fonctionnaires présumés corrompus mais exprime sa préoccupation de voir les procédures judiciaires aller à leur terme. Il a détaillé le soutien du gouvernement américain pour les efforts de lutte contre la corruption. M. Biya a confié qu’il ne libérera pas les gens arrêtés pour les délits de corruption avant qu’ils n’aient reconnu avoir posé des actes répréhensibles.

Il se disait heureux de la coopération du gouvernement américain dans la lutte contre la corruption tout en soulignant que les responsables corrompus ont « volé beaucoup d’argent ». Il a confirmé qu’il y aurait encore d’autres arrestations liées à la corruption sous l’égide de  l’Opération Epervier, mais que contrairement aux rumeurs, il pense que son ancien Premier ministre Inoni Ephraim ne sera pas du lot puisque les preuves contre lui sont minces et qu’il n’a pas détourné beaucoup d’argent. Il pense que l’Opération Epervier a envoyé des signaux anti-corruption utiles et a porté des fruits, mais qu’il fallait repenser l’approche d’arrestation des fonctionnaires et se focaliser beaucoup plus sur la récupération de l’argent volé. Il dit avoir des informations supplémentaires au sujet de la corruption mise sur le compte de l’ancien secrétaire général de la présidence, Jean-Marie Atangana Mebara.

Le gouvernement américain est particulièrement préoccupé au sujet de la lente progression vers l’amélioration de l’exécution et de la transparence budgétaire et que conformément à la législation américaine, le défaut d’améliorer la transparence budgétaire pourrait déclencher la rupture de l’aide bilatérale. Elle a exprimé son voeu de voir le Cameroun subir avec succès l’examen de validation de l’Initiative de transparence des industries extractives qui aura lieu en mars. M. Biya a reconnu que le Cameroun devait s’améliorer en ce qui concerne la transparence et l’utilisation budgétaire en pointant la Société nationale d’investissement (SNI) comme une société réputée pour « l’opacité de ses budgets». Il a  promis de discuter avec le PM et le ministre des Finances au  sujet du problème de l’Itie.

Elections

L’ambassadeur a souligné la nécessité d’avoir des élections libres, justes, transparentes et bien organisées et a demandé comment il pouvait aider à surmonter la perception selon laquelle Elecam souffre d’un déficit de crédibilité. M. Biya a répondu qu’il a perdu le sommeil à force de penser à ce qu’il faut faire pour qu’Elecam fonctionne bien, en insistant qu’il tenait à ce que cette commission jouisse d’une totale indépendance. Il a prétendu qu’il ne connaissait pas personnellement les membres du Conseil électoral, (qui ont été largement critiqués d’être des dignitaires fanatiques du parti au pouvoir ; que son réel problème avec Elecam était de pouvoir mettre en place un « mécanisme » lui permettant de jouir de son indépendance dans un système fortement centralisé. Il a ajouté qu’une importante participation électorale était nécessaire pour garantir la stabilité du pays ; qu’il était mécontent des partis d’opposition et du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation pour «  leur inimitié envers Elecam ».

M. Biya a relevé que dans la journée, il devrait revoir le nouveau code électoral dont il espère qu’il harmonisera toutes les lois électorales et sera prêt pour être soumis aux députés à la session parlementaire de mars. Il a dit espérer faire des élections sénatoriales qui devraient se tenir au deuxième trimestre de l’année 2010, un « test » pour Elecam avant l’élection présidentielle de « l’année suivante ». Il a dit espérer mettre quelques généraux militaires au Sénat (aussi éventuellement le patron de la Marine dont Biya dit « nous devons faire quelque chose à son sujet « probablement à cause de la réputation de corrompu et d’incompétent qui entoure cet Amiral »).

Il a dit qu’il comptait bientôt mettre sur pied le Conseil constitutionnel. (Nota : M. Biya n’a jamais mis sur pied le Sénat (entretien avant la tenue des sénatoriales cette année 2013, ndlr) et le Conseil constitutionnel prévu dans la Constitution de 1996. Dans son allocution de New-York, il avait dit qu’il mettrait le Sénat en place en 2010. Fin).

Le président a dit admirer les présidents ghanéen Mills et sud-africain Zuma qui ont accepté l’invitation pour participer à la conférence du cinquantenaire des indépendances africaines qui se tiendrait au Cameroun à la fin de l’année. Cette conférence devait débattre des progrès et des défis de l’autorité africaine bien qu’en forme de boutade, il reconnaisse que l’Afrique n’a pas beaucoup progressé et avait, pour le faire, besoin d’institutions plus fortes. Quand l’ambassadeur a complété que ces institutions devraient être démocratiques, M. Biya a juste souri.

Commentaire. M.Biya était plus détendu et plus expansif que dans toutes les autres rencontres qu’il avait eues avec l’ambassadeur. Il était courtois, généralement bien informé, vif d’esprit, et paraissait en bonne santé, bien qu’au bout des heures, il était fatigué. Il avait envie de prolonger la conversation, et se hasardait même à exprimer des préoccupations au sujet de l’Afghanistan, l’Iran (dont il pensait qu’il menaçait Israël) et d’Haïti (Il a salué la réaction des Etats-Unis). L’ambassadeur a fait l’éloge du Cameroun pour le million de dollars US d’aide qu’il a accordé à Haïti. M. Biya a révélé que le peuple camerounais a beaucoup apprécié ledit geste ; qu’il accordait une grande valeur à la discipline, soulignant ses forces parmi les Camerounais de la région septentrionale, et se disant déçu par les Lions Indomptables (l’équipe nationale qui avait perdu à la Coupe d’Afrique des Nations) et par certains de ses collègues (tels que le (l’ex, ndlr) ministre de l’Economie et de la Planification dont M. Biya pense qu’il manque de discrétion).

En même temps, il s’est révélé espiègle et désespéré lorsqu’il a été confronté aux problèmes clés de son gouvernement tel que la gestion du budget, la relance de l’agriculture, et faire d’Elecam une institution plus indépendante. Il n’a pas semblé  être bien informé au sujet de l’état déplorable de la Marine que  l’ambassadeur a mentionné en parlant du Bir. Il n’a fait aucune allusion à sa candidature à la prochaine élection présidentielle ni à un éventuel changement du Conseil d’Elecam.

Ses préoccupations sur la montée des extrémismes islamiques étaient le prolongement de celles que nous avons recueillies dans le Nord et parmi nos contacts avec les musulmans modérés qui étaient inquiets des dangereuses influences venant du Nigéria et d’Iran. La curieuse insistance de M. Biya sur la repentance des fonctionnaires corrompus relève de son passé de religieux (il a été séminariste) et de l’accent qu’il met sur le loyalisme personnel.

Les frustrations répétées qu’il a contre la Chine contrastent avec l’importance croissante des investissements chinois au Cameroun. Cela traduit probablement une réelle ambivalence entre la Chine et le désir du Cameroun d’équilibrer les intérêts chinois avec ceux des Usa et des Français. M. Biya a semblé très préoccupé par le changement climatique et a révélé qu’il avançait vers une situation où on doit économiser l’énergie.

 

L’affection de M. Biya envers les Etats-Unis paraît sincère (il parle de son unique visite aux Etats-Unis avec beaucoup de tendresse). Certains dans les médias interprètent déjà la longueur de cette rencontre (que certains journalistes disent inédite) comme reflet de l’importance des relations entre le Cameroun et les Etats-Unis. La vaste panoplie de commentaires et de questions de M. Biya englobe les constructeurs de véhicules automobiles américains, Tiger Woods, les élections sénatoriales du Massachussetts, les débats en Amérique sur les réformes de l’économie et la santé, l’ancien président GeorgeW. Bush (qu’il aime parce qu’il est fermier et qu’il lit la Bible), ainsi que du président Obama (qu’il admire).

Il a dit qu’il espérait que le Cameroun tirerait partie des financements du Millenium Challenge Corporation (Mcc) tout en soulignant que le président Abdoulaye Wade lui avait dit combien il aimait le Mcc, mais a reconnu qu’il était préoccupé par la capacité actuelle du gouvernement camerounais à exécuter un accord Mcc. M. Biya dit apprécier les programmes d’échanges et d’offres de formation du gouvernement américain. Il a fait allusion à sa retraite et a dit qu’il aimerait encore visiter les Usa, surtout Detroit (probablement pour son penchant pour les véhicules automobiles). L’ambassadeur a insisté sur le fait que les Etats-Unis sont un ami sur lequel le Cameroun peut compter.

M. Biya avait auparavant approché l’ambassadeur lors d’une cérémonie de voeux de Nouvel An pour lui dire : « Nous avons beaucoup de choses à débattre ». Ce but a évidemment été atteint. Son empressement à gagner notre soutien, son vif intérêt pour les Etats-Unis, ses questions posées à l’ambassadeur sur une vaste gamme de problèmes internationaux, la durée inédite de cette conversation et l’ampleur de la conversation montrent le président peut être partant pour d’autres discussions avec les fonctionnaires du gouvernement américain sur d’autres domaines tels que la corruption, les élections, la transition démocratique et le rôle que le Cameroun peut jouer dans le  monde. Garvey.

© Source : Le Jour


22/08/2013
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