Les pouvoirs du chef de l’Etat sont si étendus qu’on ne connaît par leurs limites, au point où il est à la fois conseiller sportif, croque-mort, médiateur dans les litiges conjugaux.
I- Un interventionnisme basé sur la constitution ?
Philippe Menye me Mve, ancien ministre de la Défense du 19 septembre 1996 au 7 décembre 1997 avait vu juste en déclarant au cours d’un séjour dans son département d’origine, la Vallée du Ntem, région du Sud : « … après Dieu au ciel il y a le président Paul Biya sur terre… » C’est cette déclaration malheureuse qui lui avait probablement coûté son poste quelques jours plus tard, Paul Biya n’ayant pas apprécié d’être comparé à Dieu. Mais quand on scrute de très près les pouvoirs que la Constitution donne à Paul Biya on peut dire que l’ancien ministre de la Défense n’avait pas tort. En effet que dit la Constitution en certains de ses articles ? Dans le titre II intitulé « du pouvoir exécutif », chapitre premier, du président de la République, l’article 5 (1) stipule : Elu de la Nation toute entière, il incarne l’unité nationale ; il définit la politique de la nation ; il veille au respect de la Constitution ; il assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics… » Dans l’article 8 (2) « il est le chef des forces armées… » Dans le même article 8 (7) « il exerce le droit de grâce après avis du conseil supérieur de la magistrature » Dans l’alinéa (8), « il exerce le pouvoir réglementaire » Dans l’alinéa (9), « il crée et organise les services publics de l’Etat » et l’alinéa (10) « il nomme aux emplois civils et militaires de l’Etat ». Et dans l’article 9 (1) « Le président de la République peut, lorsque les circonstances l’exigent, proclamer par décret, l’état d’urgence qui lui confère des pouvoirs spéciaux dans les conditions définies par la loi ».
Les pouvoirs de Paul Biya sont donc énormes. Il peut faire ce qu’il veut même s’il y a des garde-fous prévus par des articles de cette même Constitution. Est-ce donc en s’appuyant sur cette constitution que Paul Biya a demandé au Premier ministre Philemon Yang de recevoir Samuel Eto’o Fils en rupture de ban avec l’équipe des Lions Indomptables de football et Rigobert Song Bahanag dit « Magnang » le team manager de cette équipe le jeudi 10 septembre dernier ? Probablement, car s’il n’est pas dit de manière explicite que Paul Biya qui est le chef des forces armées dans la constitution est aussi le chef des sports, mais dans les faits, il l’est effectivement. N’est-ce pas lui qui était intervenu quand Samuel Eto’o Fils avait été frappé d’une suspension de 15 matches par la Fécafoot pour que cette suspension soit ramenée à huit mois ? Dans la foulée, il a instruit que le brassard de capitaine soit restitué au goléador camerounais qui joue aujourd’hui en Russie dans l’Anzei Makachkala dont il est capitaine. Paul Biya est coutumier du fiat. N’est-ce pas lui qui avait imposé Roger Albert Milla dans l’équipe des Lions Indomptables à la Coupe du monde de 1994 alors ce dernier était âgé de 42 ans. C’est également en se basant sur cette constitution que Paul Biya, lui qui est chargé de la sécurité des Camerounais, s’est rendu récemment dans les régions du Nord et de l’Extrême-Nord frappées par les inondations et a accordé une aide d’urgence aux populations. Même s’il ne s’est pas rendu dans les régions de l’Est et du Nord-Ouest frappées également par les inondations, il a envoyé des aides alimentaires, de l’argent et autres produits de première nécessité aux populations.
II- Des fausses accusations et des mauvais collaborateurs
En dépit de tout ce qu’il a l’habitude de faire parfois en bien, une partie de l’opinion publique camerounaise trouve que Paul Biya est responsable de la plupart des maux dont ils sont victimes. Ainsi donc quand parfois il y a une tornade à Garoua avec des effets dévastateurs, on rend très souvent Paul Biya responsable de cela. De même quand la sécheresse hypothèse les récoltes dans les régions du Nord et de l’Extrême-Nord, parfois on rend le chef de l’Etat responsable de ce qui est une calamité naturelle. Quand il y a hécatombe au cours d’un accident de la circulation, c’est encore Paul Biya le principal sinon l’unique responsable de ce qui est arrivé. Si dans certains cas il est responsable en tant que président de la République pour la politique qu’il définit, laquelle politique a des lacunes criardes en matière de prévision dans certains domaines, il convient de faire partager la responsabilité à ses collaborateurs dont certains ne méritent pas leur poste, s’illustrant par une incapacité notoire à remplir leurs fonctions. Et à ce sujet, on peut citer l’ancien ministre d’Etat Marafa Hamidou Yaya dans sa première lettre à Paul Biya au début de mai 2012 : « c’est peut-être vrai, monsieur le président de la République. Mais le problème, c’est que ces fonctionnaires eux, se prennent pour des ministres… Monsieur le président de la République, au cas où vous le nommeriez au gouvernement, ne lui confiez surtout pas un département ministériel… »Marafa Hamidou Yaya qui vient d’écoper de 25 ans de prison dans l’affaire de l’avion présidentiel parlait là de certains ministres tels Issa Tchiroma Bakary de la Communication qui ne méritent pas d’être nommés ministres pour incapacité manifeste.
Si la plupart de ses collaborateurs sont donc mauvais, incapables, incompétents, le chef d’équipe, le capitaine qu’est Paul Biya a le devoir de se jeter dans la bataille, la mêlée pour redresser la situation. Ceux qui disent que Paul Biya se mêle de tout ne le connaissent pas bien, puisque la plupart du temps, il laisse pourrir certaines situations pendant des décennies sans lever le petit doigt. Prenons quelques exemples de son fonctionnement. Le conseil économique et social est la troisième institution de l’Etat dans l’ordre protocolaire après la présidence de la République et l’Assemblée nationale. Paul Biya a nommé Luc Ayang, ancien Premier ministre et originaire de l’Extrême-Nord depuis 28 ans. L’institution est moribonde puisque plus de la moitié de ses membres sont morts ou grabataires, atteints de sénilité. Voilà une facette de la personnalité de Paul Biya qui considère qu’il est maître du temps. C’est ainsi qu’il laisse des gens à des postes de directeur général de sociétés parapubliques ou de ministres. De même, il lui a fallu du temps pour frapper du poing sur la table quand la côte d’alerte a été atteinte en matière de corruption et de détournements des deniers publics. On a fait tôt d’oublier qu’aux premières heures de sa prise du pouvoir, il avait réagi s’agissant justement de ces détournements des deniers publics qu’« il n’y a pas de preuves ». Dire donc que Paul Biya est interventionniste est faux.
III- Moins interventionniste qu’Ahmadou Ahidjo
Le premier président du Cameroun, Ahmadou Ahidjo fonctionnait sur le mode d’un régime policier. Ahidjo n’avait pas une confiance totale en ses collaborateurs en dépit de leur compétence. Il contrôlait tout, il vérifiait tout personnellement. Il déclarait souvent qu’un collaborateur est capable de commettre une gaffe sur votre dos. Sous Ahidjo, il était difficile de voir une situation pourrir sans qu’il réagisse. Un directeur général de société d’Etat pouvait-il commettre des gaffes pendant des années sans qu’il réagisse ? C’était pratiquement impossible. Ahmadou Ahidjo intervenait même dans les litiges conjugaux, la sphère privée de ses collaborateurs. Il réconciliait les ménages où les conjoints avaient des problèmes. N’avait-il pas menacé Delphine Tsanga, ministre, de limogeage si elle abandonnait son époux. N’avait-il pas contraint Joseph Charles Doumba de destitution de son poste de ministre en l’obligeant à honorer une invitation au palais présidentiel accompagné de son épouse légitime et non de sa concubine préférée.
Le rôle néfaste des journalistes
Nos confères de la presse publique, Crtv et Cameroon Tribune utilisent des superlatifs pour parler de Biya. Il est non seulement le président de la République, chef des armées selon la constitution mais il est en plus selon eux le premier sportif du pays, le premier danseur, le premier musicien, le premier chauffeur, le premier cuisinier, le premier journaliste, eh oui, puisqu’il est le numéro un en tout et partout, le premier croque-mort, etc. Ainsi, ces confrères font fort quand ils parlent du chef de l’Etat, oubliant de tenir compte du bon sens qui devrait leur montrer les limites à ne pas dépasser. Paul Biya doit sourire dans son coin quand il écoute ou lit cela, cet homme avare de déclarations et de confidences quand il s’agit de sa personne.