Paul Biya aux jeunes: encore et encore des promesses
11 FEV. 2011
© Romuald CAMLISO | Correspondance
Lors de son discours du 10 février à l'occasion de la fête de la jeunesse, le chef de l'État Camerounais, Paul Biya, a une énième fois promis des mesures en faveur de l'emploi des jeunes. Des propositions somme toutes discutables voire inapplicables.
© Romuald CAMLISO | Correspondance
Lors de son discours du 10 février à l'occasion de la fête de la jeunesse, le chef de l'État Camerounais, Paul Biya, a une énième fois promis des mesures en faveur de l'emploi des jeunes. Des propositions somme toutes discutables voire inapplicables.
77% de la
population camerounaise a moins de 35 ans. 35% de la population a entre
15 et 35 ans. L’encadrement de la jeunesse est donc une question vitale
pour le Cameroun, du moins si les autorités prennent très au sérieux le
caractère de bombe à retardement que constitue ainsi la grande partie
de la population laissée à elle-même.
Au cours de son traditionnel discours à la jeunesse de son pays, précédant la journée nationale qui lui est consacrée, le président Paul Biya a décrit les actions entreprises et à venir, pour construire un avenir à cette jeunesse. Tous les ans, les réactions sont les mêmes : une partie de la population applaudit les mesures, et ne manque de louer la grande générosité du chef de l'État et son implication dans le développement économique et social de la jeunesse. Une autre partie, plus grande, considère que ce n’est que de la démagogie, de la poudre qu’il jette de façon systématique et appliquée depuis des décennies, aux yeux de sa jeunesse désabusée, la plupart des progrès cités dans ses discours, n’ayant de réalité que sur le papier… Si un fléau mérite d’être cité, dans la liste de maux qui accablent la jeunesse camerounaise, c’est bien le chômage. Si les sources officielles parlent d’un taux de 14 à 15%, en élargissant la population concernée aux employés occasionnels et à la population dont les revenus sont inférieurs au SMIG camerounais qui s’élève à 28.000 francs CFA, le chiffre peut facilement être doublé, voire triplé. Il devient donc naturel que le discours du chef de l'État montre une volonté manifeste de la part du gouvernement de trouver une solution à ce problème, à défaut que la volonté ne se manifeste par des actes concrets. La question à se poser, au regard des trois précédents discours du chef de l'État à l’occasion de la fête de la jeunesse, est : quelle est la stratégie mise en place par l'État pour combattre le chômage chez les jeunes ? En 2009, Paul Biya ne parlait-il pas de la création d’un « Plan National Pour l’Emploi des Jeunes », financé à hauteur de 165 milliards, et dont la mise en œuvre devait intervenir dans les mois suivant le discours ?. L’organisation est à ce jour inexistante. D’ailleurs, il s’est bien gardé d’en reparler lors de ses discours des années suivantes, préférant focaliser l’attention populaire sur d’autres projets qui s’avèrent également être des mort-nés, tels que l’école de football. En 2010, aucune véritable démarche ne semblait être envisagée. Paul Biya s’est contenté de compter sur la relance de l’économie camerounaise qui ne « tarderait » pas et de rappeler les résultats « satisfaisants » des organes en place (Fonds National de l’Emploi et le Programme d’Appui à la Jeunesse Rurale et Urbaine) qui semblent avoir généré des milliers d’emploi grâce à… 35 coopératives de production. En 2011, la conjoncture dans d’autres pays africains pousse à se pencher de plus près sur ce problème de chômage. Avec les déconvenues subies par les désormais anciens présidents tunisien Ben Ali et égyptien Moubarak, sous la pression de mouvements initiés par leur jeunesse désabusée, au chômage, le gouvernement devrait essayer de mettre du baume au cœur de la jeunesse camerounaise, et ce, rapidement. Car les deux hommes cités ci-dessus n’avaient rien à envier à Paul Biya en matière de « longévité » à la tête de l'État et de contrôle total sur l’appareil. Les jeunes camerounais auraient d'ailleurs aimé être Tunisiens ou Égyptiens plutôt que Camerounais tellement la situation de leurs congénères arabes leur parait préférable à la leur. Lors de son allocution du 10 février, Paul Biya s'est à nouveau focalisé sur ces grands projets qui seront mis en œuvre « bientôt », sur la relance économique qui une fois de plus, ne va pas tarder, grâce à la demande qui ne cesse de croître. La production agricole va être stimulée comme il l’avait déjà promis lors du comice agro-pastoral à Ebolowa, le secteur minier va encore plus se développer, etc., etc. Que de bonnes choses. Si on ne peut nier, de bonne foi, une certaine accélération dans la vie économique camerounaise ces derniers mois (en espérant qu’elle n’est pas uniquement liée à la volonté de préparer le scrutin présidentiel d’Octobre 2011), il est évident que rien ne justifie autant d’optimisme. Comme les années précédentes, Paul Biya compte encore sur la relance de l’économie. Mais il l’a lui-même compris, les camerounais commencent à connaître ce refrain par chœur, sans résultats. Aussi annonce-t-il le recrutement de 25.000 jeunes diplômés dans la fonction publique. Du concret cette fois. Regardons cette mesure au premier abord providentielle de plus près. 25.000 nouvelles embauches dans la fonction publique. A l’heure où la plupart des pays du monde, à l’instar de ceux de l’Union Européenne, misent sur l’optimisation de leurs performances et prônent une réduction des effectifs dans les organes de l'État, donc une réduction de coûts, pour pouvoir financer d’autres secteurs qui ont besoin d’être redynamisés, il faut croire que Paul Biya et son équipe ont décidé de voir les choses à l’opposé. Cette politique avait déjà été adoptée au lendemain des indépendances dans la plupart des pays africains, avec les résultats qu’on connaît : administration surpeuplée, peu productive, représentant une masse salariale tellement importante que les salaires ne pouvaient plus être versés de façon continue et que les États étaient perpétuellement en déficit. Il faudra probablement une augmentation des taxes et des impôts pour pouvoir payer ces nouveaux fonctionnaires. En tout état de cause, il faudrait espérer que cette nouvelle mesure-miracle annoncée par Paul Biya demeure au stade d’idée. Car si avec une mise en application réelle, l’effet marketing est assuré pour l’image du Président, en termes de vision prospective et stratégique, il s’agirait d’une des pires décisions que puisse prendre un État dans la posture du Cameroun, avec des conséquences à moyen terme qu’il vaut mieux ne pas essayer d’envisager. Non pas que le million de jeunes qui souffrent ne doivent pas accéder à un emploi, mais le progrès du Cameroun ne passera pas par des mesures annoncées à la va vite dont on n’est même pas certains que le Cameroun puisse en assumer les implications financières. En imaginant un salaire mensuel de 50.000 frs CFA pour chacun des jeunes diplômés recrutés, on aurait une augmentation de la masse salariale de l'État, de plus de 1 milliard chaque mois. Si le gouvernement se sent capable d’assumer cette charge sans création de richesse supplémentaire, ce qui reste à vérifier, alors pourquoi ne pas le dépenser de façon intelligente ? Tout porte à croire qu’en accordant des subventions à des agriculteurs ou en finançant des projets de création d’entreprise, en structurant le secteur informel qui porte notre économie à bout de bras, au bout de quelques années le cap des 25.000 recrutés sera largement atteint voire dépassé et l’économie aura réellement pris de l’élan. Ça demande certainement plus de travail et de réflexion que simplement créer des emplois supplémentaires dans une administration déjà surpeuplée. Le constat final est donc sans appel : le gouvernement camerounais, à travers le chef de l'État, montre qu’il n’a aucune stratégie concrète pour combattre le chômage de la jeunesse. L’impression donnée est que tout repose sur la reprise d’une économie dont les leviers de progrès sont identifiés mais pas actionnés, depuis des années. Les différents discours du chef de l'État listent des accomplissements, des mesures fortes prises, que personne ne constate sur le terrain. A coup d’annonces et de promesses sirupeuses, on essaie d’ occulter le fait que le navire avance sans gouvernail. Le Cameroun manque-t-il à ce point de stratèges ou de prospectivistes ? Telle est finalement la question qu’on se pose. Romuald CAMLISO |
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