Paul Biya, Amadou Ali, Marafa Hamidou Yaya: Muets en public, prolixes chez les Américains

Yaoundé, 22 mai 2013
© Dominique Mbassi | Repères

Leurs fonctions ont fait d'eux des dépositaires des secrets d'Etat qu'ils ont livrés aux diplomates, surtout américains.


Janet E. Garvey et Paul Biya
Photo: © C. T.


En public, ils s'enferment comme des huîtres. Difficile de leur arracher la moindre déclaration, quelles que soient l'importance du sujet et la gravité de la situation. Ils ne consentent à accomplir leur devoir d'information de l'opinion publique nationale sur la marche des affaires de la République que lorsque le Parlement les interpelle sur des dossiers sensibles. Et encore, ils recourent à la langue de bois.

Mais en privé, ils deviennent prolixes et volubiles, surtout lorsqu'ils sont en face de diplomates. Dépositaires des secrets d'Etat de par leurs fonctions névralgiques, ils s'épanchent sans limite ou presque, livrant ainsi la primeur de la cuisine intime du pays aux étrangers.

Conscients de ce que «qui tient le renseignement tient le pouvoir», les diplomates américains ne rechignent pas à les faire parler. En témoignent les câbles diplomatiques de l'Ambassade des Etats-Unis à Yaoundé qui n'avaient pas vocation à être divulgués et dont la crédibilité et la fiabilité n'ont jamais été démenties. A telle enseigne que le Département d'Etat, alimenté par divers câbles, en sait plus long sur le Cameroun que la quasi-majorité de ses dirigeants de premier rang.

«Il s'agit avant tout d'un complexe. Observez bien que autant le Président Paul Biya n'accorde ni interview ni conférence de presse au Cameroun, autant il ne boude aucun rendez-vous avec la presse au perron de l'Elysée. A fortiori il peut s'imposer un devoir de compte rendu à ceux de qui il sait détenir sa légitimité ou tout au moins son maintien au pouvoir», croit savoir un diplomate à la retraite. Qui précise que tout est dans le rapport de forces, dans ce sens que nos dirigeants, à commencer par le premier d'entre eux, ne peuvent arracher des révélations similaires à leurs interlocuteurs.

On ne peut pas leur trouver l'excuse de la naïveté. Plus que quiconque, ils savent autant que M. Jean Paul Ayina, Ministre plénipotentiaire, que «le diplomate est un espion autorisé par un Etat ». Il n'est qu'à voir que pendant leurs rencontres, les diplomates américains espionnent à leur insu les hauts responsables camerounais.

Ainsi, au terme d'une audience en avril 2009, l'Ambassadeur des Etats-Unis, dans un câble adressé au Département d'Etat, se demande si le Président camerounais est vraiment aux commandes de son pays. «Biya était plus fatigué que d'habitude et ne semblait pas posséder des informations fraîches sur les événements en cours au Cameroun», note Mme Janet Garvey.

Qui consigne après une audience en février 2010: «Malgré l'opinion répandue au sujet de Biya comme étant un homme fort et contrôlant tout, nous sommes de plus en plus frappés par les signes de laxisme de Biya, sa faible emprise sur des questions importantes et urgentes et son ignorance apparente, ou son indifférence vis-à-vis des actes de corruption, d'incompétence et de trahison, parfois, de ses propres collaborateurs les plus proches».

Au cours d'une autre rencontre, Mme Garvey trouve le Chef de l'Etat «le plus relax et bavard de toutes ses audiences avec l'Ambassadeur. Il était aimable, généralement bien informé, mentalement au point et vraisemblablement en bonne santé bien qu'il était fatigué au bout de deux heures d'échange».

Se sachant sans doute épié, M. Biya peut alors prendre aussi du plaisir à entraîner ses interlocuteurs sur de fausses pistes. Ainsi révèle-t-il à l'Ambassadeur en février 2010 que les arrestations vont s'intensifier en épargnant l'ancien Premier Ministre Ephraïm Inoni qui «n'a pas beaucoup volé». Surtout que «les preuves contre lui sont faibles». Le fils de Bankigili sera pourtant arrêté deux ans plus tard.

En parcourant les câbles de l'Ambassade américaine de Yaoundé sur le Cameroun, l'on constate que son Président a fait des révélations sur les faiblesses de la sécurité du pays, la corruption des Généraux et surtout de l'ancien Ministre de la Défense Rémy Zé Meka, ses inquiétudes au sujet d'ELECAM, l'inefficacité de l'ancien Premier Ministre Ephraïm Inoni...

S'épanchant ainsi sur ses collaborateurs,certains d'entre eux, MM. Amadou Ali et Marafa Hamidou Yaya en l'occurrence, n'ont pas hésité à leur tour à dévoiler ses plans secrets pour la succession à la tête de l'Etat ou à offrir la clé d'une meilleure compréhension de la gestion des affaires camerounaises à la chancellerie américaine.


1- M.Paul Biya, le plus grand confident des Américains

M. Paul Biya n'a fait autant de confidences qu'au cours d'une audience de deux heures avec Mme Janet Garvey le 3 avril 2009. Abordant des questions de sécurité, il confie être bien conscient des mécontentements suscités par sa décision de confier une portion importante des compétences et des ressources de l'armée au Bataillon d'Intervention Rapide (BIR). Surtout que le fait d'avoir remis le contrôle de la zone de Bakassi à cette unité spéciale, placée sous son autorité directe, a quelque peu rendu le Grand Nord vulnérable face à la menace liée au grand banditisme.

Il confesse sa difficulté à remédier à la corruption de la plupart des Généraux de l'armée qui bloque toute évolution au sein de cette institution. Au cours d'une audience le 4 février 2010, il présente la corruption et l'incompétence du patron de la marine camerounaise comme un réel souci pour lui et se propose de le recaser au Sénat.

Lors d'une de ces rencontres, à peine l'Ambassadeur américain a-t-il évoqué l'interdiction d'un ministre en fonction soupçonné de corruption de voyager aux Etats-Unis, que le Président de la République s'empresse aussitôt de préciser qu'il s'agit de Rémy Zé Meka. «Je ne suis pas surpris. Il est si mauvais. Il est complètement corrompu et a tellement volé lorsqu'il était Secrétaire Général des services du Premier Ministre. C'est une telle honte que j'ai un si mauvais Ministre de la Défense», ajoute M. Paul Biya avant de poursuivre: «L'action du Gouvernement américain va m'obliger à accélérer mes plans». Ceux-ci consistent, entre autres, à limoger son Ministre de la Défense. Une décision qui tombe le 30 juin 2009.

Au cours d'une audience de deux heures avec Mme Garvey le 4 février 2010, le Président camerounais, pour justifier les contre-performances de son Gouvernement, invoque sa difficulté à dénicher l'oiseau rare capable de le diriger. S'il trouve M. Ephraïm Inoni, l'occupant du moment du poste, loyal, en revanche il se plaint de son manque d'efficacité. Il le maintiendra pourtant à la tête du Gouvernement jusqu'au 9 décembre 2011.

La même entrevue du 4 février donne l'occasion au Chef de l'Etat de s'inquiéter de la menace islamiste venue du Nigeria voisin et de confier à la diplomate qu'il ne relaxera pas les personnalités victimes de l'Opération Epervier tant qu'elles n'admettront pas leur faute.

Par ailleurs, M. Biya avoue que « Elecam me donne des insomnies» quant à son indépendance et son fonctionnement. Tout en confessant ne pas connaître ses membres, M. Biya se dit frustré que les partis politiques d'opposition et le Ministre d'Etat, Ministre de l'Administration Territoriale et de la Décentralisation (MINATD), M. Marafa Hamidou Yaya, soient des ennemis de cet organe en charge de l'organisation des élections au Cameroun.


2- M.Marafa redoute une manipulation de la transition politique

Pour considérer M. Marafa comme ennemi d'ELECAM, sans doute le Président s'appuie-t-il sur des notes de ce dernier sur cet organe. Peut-être aussi est-il informé des échanges entre son Ministre d'Etat et la chancellerie américaine. En effet, le 9 février 2010, face à l'Ambassadeur des Etats-Unis, le MINATD exprime son découragement sur le statut d'ELECAM qui, de son point de vue, va droit dans le mur.

M. Marafa se désole avant tout de l'incompétence de ses membres, dont la motivation première est de s'enrichir à travers les élections. Et la guerre que se livrent alors le Président du Conseil Electoral et le Directeur Général des Elections est là pour corroborer ses vues. Pour ces raisons, il prédit déjà l'organisation catastrophique de l'élection présidentielle de 2011, contribuant ainsi à entacher davantage la réputation internationale du Cameroun.

Dans son câble résumant leurs échanges, l'Ambassadeur américain tempère quelque peu le pessimisme de M. Marafa. «Marafa a toujours été opposé à la mise en place d'ELECAM. Ce qui peut s'expliquer en grande partie par le fait que le MINATD a perdu le contrôle des élections avec la création d'ELECAM. Ses opinions peuvent donc être exagérément négatives et dramatiques», note Mme Garvey.

Elle en veut pour preuve la volonté du MINATD de ne pas être exclu du champ électoral en proposant deux projets de code électoral au Président de la République: le premier confie la gestion des élections à ELECAM, tandis que le second l'associe au MINATD. Ce dernier emporte la faveur présidentielle avant qu'une modification ne marque un retour en force de ce département ministériel.

Ce revirement semble donner raison à M. Marafa qui, se basant sur des détournements de deniers publics à la Communauté Urbaine de Douala, confie à la diplomate américaine que la décentration si chère à M. Biya va contribuer à étendre les ramifications de la corruption. Une sombre perspective pour celui qui décrie le peu de professionnalisme qui caractérise «l’Opération Epervier», que M. Marafa dit enfin de compte instrumentalisée pour neutraliser des adversaires politiques.

Tout comme le désormais prisonnier du Secrétariat d'Etat à la Défense (SED), que les diplomates américains présentent comme le seul ne faisant pas mystère de son intérêt pour le pouvoir suprême, redoute une instrumentalisation de la transition politique au Cameroun. «Chantal Biya et son entourage pourraient manipuler Paul Biya et le transfert du pouvoir à leurs fins personnelles», propos attribués à l'ex-Ministre d'Etat par un câble diplomatique de l'Ambassade américaine.

Ce qui nourrit l'inquiétude de M. Marafa quant à l'après Biya et spécifiquement sur le mode de transmission du pouvoir. Aussi, souffle-t-il un jour à Mme Garvey, d'après Paul Biya, la manière de passer le pouvoir qui convienne le mieux à l'Afrique est celle que le Président Ahmadou Ahidjo a utilisée en 1982. Sauf que, prévient l'ancien Secrétaire Général de la Présidence de la République, le peuple camerounais n'est plus disposé à accepter ce mode de dévolution du pouvoir suprême.

Autant que la succession de l'actuel Président de la République, l'insécurité liée notamment à la menace islamiste inquiète à un haut point M. Marafa. A telle enseigne que, dans une évocation du sujet avec l'Ambassadeur américain, il a glissé: «Aussi longtemps que Laurent Esso, en tant que Secrétaire Général de la Présidence de la République, aura sa charge, le Conseil National de Sécurité n'ira nulle part».


3- M. Amadou Ali révèle les ressorts cachés de la succession

La divulgation de ces confidences aux Américains a provoqué un tollé au sein de l'opinion publique. Surtout parce qu'elles mettaient en lumière les ressorts cachés de la succession au sommet de l'Etat. S'entretenant le 18 mai 2009 avec l'Ambassadeur américain, l'alors vice-Premier Ministre en charge de la Justice souffle qu'il est certain que si M. Biya brigue un nouveau mandat en 2011, il n'ira pas au terme de celui-ci. Qu'il est tout aussi certain que le Président de la République prépare avec minutie sa succession. Mais que s'il ignore la stratégie de ce dernier pour la passation du pouvoir, au moins l'actuel vice-Premier Ministre chargé des Relations avec les Assemblées est convaincu que la transition ne se fera pas selon un processus démocratique ouvert sans pour autant être familial. M. Amadou Ali prédit alors que M. Biya choisira son successeur dans la tranche 50-65 ans, qui d'après lui symbolise la jeunesse.

Les confidences de M. Amadou Ali provoquent une vague de réactions davantage d'autant plus qu'elles annoncent aux Camerounais que «...la succession de Biya doit être regardée à travers un prisme ethnique et régional». S'ouvrant un peu plus que d'ordinaire ce jour-là à l'Ambassadeur des Etats-Unis, l’ancien Ministre de la Défense, qui se targue d'avoir une boussole du régime, précise que «les trois régions du Nord vont continuer à apporter leur soutien à Biya aussi longtemps qu’il souhaitera rester Président, mais le prochain Président du Cameroun ne viendra pas de l'ethnie béti/bulu». Pour écarter aussi les Anglo-Bami de la succession, M. Amadou Ali invoque une «méfiance pathologique des autres groupes à leur égard».

En dehors de ce sujet hautement sensible et qui déchaîne des passions, l'une de ses sources les plus précieuses alimente aussi régulièrement l'Ambassade américaine sur la grande corruption présumée de ce qu'elle désigne par "classe montante" et par ricochet sur «l’Opération Epervier».

L'appartenance ou non à la liste des corrompus de M. Amadou Ali vaudra aux uns d'être classés parmi les "ambitieux politiques", aux autres parmi les fidèles de M. Biya ou encore parmi les neutres.

De son analyse de toutes ses conversations avec lui, Mme Janet Garvey conclut que M. Amadou Ali en sait plus long qu'il ne révèle.



22/05/2013
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