Quelle que soit la manière dont on veuille prendre la chose, le 6 novembre reste et restera à jamais, au Cameroun, pour les générations d’hier, pour celles d’aujourd’hui et pour celles de demain, une date inoubliable. Qu’importe l’appréciation que les uns et les autres en font désormais ou pourront en faire plus tard. De toute façon, l’Histoire se moque bien de nos états d’âme. Seuls les événements survenus l’intéressent.
Précisément, le 6 novembre est un événement historique qu’il faut restituer tel qu’il s’est déroulé, qu’il faut conserver dans les temps et les conditions qui l’ont provoqué, en nommant les hommes et femmes qui en furent, accidentellement ou volontairement, les principaux acteurs. Normal donc que cette année encore, comme depuis trente ans, le 6 novembre ait servi de prétexte, aux uns, de louer souvent avec une exagération certaine le prince et son action, aux autres, plus simples d’esprit et plus pauvres d’appréciation, de danser et boire, en faisant tout béatement la fête, et aux autres encore, parfois aigris et souvent de mauvaise foi, de critiquer d’un bout à l’autre, systématiquement, sans nuance, ni argumentation valable.
Autant que faire se peut, nous nous efforçons de nous tenir hors du cercle de ceux qui boivent et dansent, ainsi que de celui des hagiographes professionnels ; de même, nous fuyons la compagnie plutôt bruyante de tous ces accusateurs publics pour qui « noir, c’est noir… il n’y a plus d’espoir… ».
Toute passion dépassée, apprenons à parler du 6 novembre comme d’un jour exceptionnel qui a consacré l’alternance au sommet de l’Etat. En cinquante-trois ans de souveraineté nationale, l’événement n’a plus jamais eu son pareil. Rien que pour cette raison, le 6 novembre mérite bien, de la part de tous les Camerounais et de toutes les Camerounaises, ces mêmes attentions particulières, pleines de tendresses folles et d’espoirs muets, dont les parents et les amis savent souvent entourer ces enfants uniques qui n’ont eu ni frère, ni soeur. Chaque 6 novembre est devenu, à ce titre, une belle curiosité qu’on a envie de contempler.
A très peu de choses près, surtout pour les moins de trente ans, le 6 novembre 1982 ressemblerait de plus en plus à ces fameux dinosaures à jamais disparus, mais dont la plupart des auteurs des dessins animés continuent, pour amuser les enfants, de parler sans cesse, imaginant, à leur guise et sans référence infaillible, et leur taille gigantesque, et leur mode de vie qui ne se serait pas adapté aux aléas des saisons toujours changeantes.
A ceux qui ont vécu l’événement, en témoins oculaires, ils sont encore très nombreux en vie la responsabilité incombe donc de parler du 6 novembre, non pas pour amuser les enfants, mais, pour nourrir l’Histoire de notre pays des faits vrais, restitués dans leurs dimensions réelles. M. Ahmadou Ahidjo, président de la République, a démissionné, de son plein gré, le 4 novembre 1982.
C’est vrai. Il avait le pouvoir et était libre de le faire. Il n’a violé aucun Article de la Constitution. Et c’est là qu’il quitte définitivement la scène. Le 6 novembre, il ne joue plus aucun rôle. Ce n’est pas lui qui « donne » le pouvoir à M. Biya. C’est la Constitution qui en dispose ainsi. Du reste, le président Ahidjo a eu l’honnêteté de le souligner. Le pouvoir était remis non pas à son « ami Biya », mais, à son « successeur constitutionnel ».
L’autre incongruité du 6 novembre, c’est la manière désespérée dont le RDPC essaie de prendre le 6 novembre en otage, pour en faire sa « fête du parti ». Ce genre de braquage et de récupération hypothèque gravement la crédibilité des faits que nos petits-enfants liront demain dans leurs manuels d’Histoire.
Car, personne, ni rien, ne saurait revendiquer la paternité d’un événement survenu avant sa naissance ou sa création. C’est vrai : de nos jours, le ridicule ne tue plus.