Ouvrons les yeux !
Il nous fallait attendre que l’allégresse suscitée par la défaite de
Nicolas Sarkozy soit dissipée, que les déceptions des nominations
gouvernementales soient digérées, pour aborder avec sérénité le cadre
dialectique sous-tendant la réflexion politique de la communauté noire
en France et de sa parente d’Afrique francophone. (1)
C’est avec
une affliction toute particulière que nous avons noté la tonalité des
éditoriaux, le sens profond relevant des discours tenus par les
intellectuels franco-africains et africains, quant aux répercussions de
l’élection présidentielle française sur les destinées africaines.
Aux
suppliques empruntées au cadre discursif colonial, entérinant,
implicitement ou explicitement, une relation de maître à domestique, se
sont accolées des analyses socio-politiques insuffisantes au regard de
l'impérieux désir d'émancipation des ex-colonies francophones. Cette
absence de perspicacité aurait pu prêter à sourire si elle n’avait été
le référent exclusif d’une logorrhée dégradante, aporétique et
velléitaire.
Quelques questions.
Le recul et la distance demeuraient des options envisageables à la lecture d'une déliquescence conceptuelle si profonde.
Cum grano salis,
nous aurions pu choisir, une fois les pages des journaux refermées ou
l’ordinateur débranché, de n’en point prendre ombrage et de poursuivre
le cours normal de nos activités. Mais c'eût été là renoncer à notre
rôle d’explication et de témoignage.
Une interrogation lancinante
nécessite réponse: que sont les intellectuels africains devenus,
lorsque disposant d’une tribune, ils se contentent de solliciter la
mansuétude du Bon Papa Blanc pour favoriser la transition démocratique de leur pays ? (2)
Comment est-on arrivé à applaudir et espérer de l’élection
d’un candidat chargé de diriger un pays, pratiquant jusqu’à nos jours
le clientélisme, si ce n’est l’ingérence meurtrière en Afrique ? (3) |
||
Quelle déchéance d’en être rendu à espérer que celui-ci, dans un
moment d’égarement ou de bienveillance, se décide d’émanciper ces
peuples, visiblement incapables de prendre leurs destins en main, et ce,
depuis les indépendances !
Nous le posons d’emblée, il ne
s'agit pas de minimiser le rôle néfaste de la France sur le sol
africain, mais de mettre le doigt sur un point précis : le cadre
intellectuel défaillant emprisonnant la pensée émancipatrice
continentale.
La politique de la main tendue.
Si seulement cette dernière était vivifiée par l’apport de l’action
politique de la diaspora vivant sur le territoire français ! Que nenni !
Engluée dans des calculs d’épiciers, incapable de saisir la
complexité des enjeux et son rôle historique en tant que relais
essentiel du relèvement africain, elle se perd en chicaneries et choix
politiques d’une rare naïveté.
Nous avons par le passé démontré, à
titre d’exemple, la fumisterie que représentait le MAF ainsi que son
inutilité politique. (4)
Il n’est pas question de s’attaquer aux
personnes, mais de poser un cadre conceptuel pertinent, potentiellement
porteur d’espoir et de changements.
Aux Cassandre, qui au lieu de regarder la lune ont préféré contempler le doigt, nous conseillons de méditer sur la déception teintée d’amertume de la direction du MAF, vexée de n'avoir pas vu une de ses ouailles nommée au gouvernement.
Cracher sur la nomination de Mme Christiane Taubira n’est pas de la
première élégance, se comparer à elle est vanité teintée de niaiserie.
La
revendication par l’aumône, expression emblématique de l’implication
citoyenne de la diaspora, est donc devenue le pendant de la politique de
la mendicité caractérisant les dirigeants africains, mais plus grave,
elle est désormais un trait distinctif de nos élites intellectuelles
continentales. (5)
Le mauvais interlocuteur.
Au nom de quoi François Hollande devrait-il se soucier de l’Afrique ?
Le
pays qui vient de lui être confié croule sous le poids d’un endettement
public massif. Handicapé par le chômage masse, il traverse en sus deux
crises, morale et citoyenne, nées de l’extrême-droitisation du discours
politique.
Ajoutons à cela le malaise étreignant une Europe
prenant l’eau par l’Espagne, l’Italie, le Portugal ou la Grèce, et le
premier venu comprendra aisément que le président Hollande aura d’autres
priorités que de garantir la prospérité ou la sécurité de l'Afrique.
Ce
ne sont pas les discours convenus de campagne ou les déclarations
récentes de Laurent Fabius, familier des réseaux honnis de la
Françafrique, qui devraient aveugler Africains et Afro-français. (6)
Le
spectacle d’une Europe rétive à porter secours à l’un de ses membres
(la Grèce), s’enfonçant chaque jour plus avant dans un marasme financier
dévastateur, aurait dû être de nature à dessiller les analystes
politiques et intellectuels, qu’ils soient Afro-français ou Africains.
Il
aurait dû les amener à sortir des cadres dialectiques, passéistes et
oppressifs, nés d'une pensée politique postcoloniale reposant sur un
présupposé simple : les africains sont des grands enfants.
Enfantillages.
A l’évidence, seul un enfant attend qu’on lui fasse ses lacets, qu’on lui apprenne à compter ou qu’on le libère.
Aussi,
une pensée décomplexée ne peut poser comme condition préalable ou comme
variable de l’équation que la France vienne au secours des Africains.
Ne
les a-t-elle pas suffisamment aidés au cours des siècles passés, en
leur imposant l’esclavage, le travail forcé ou sa langue ?
Ne les a-t-elle pas suffisamment couverts d’amour et de bienfaits, leur octroyant l'opportunité d’accéder au « développement économique » en procédant au pillage méthodique de leurs ressources minières, vivrières ou halieutiques ?
Ne leur a-t-elle pas témoigné suffisamment de considération en stigmatisant ceux fuyant le « plein-emploi africain » qui s'essayent au travail clandestin sur son sol, ou encore ceux y étant nés et qui portent comme un marqueur ostracisant la couleur de leur peau ?
Il est désarmant de constater qu’en dépit des avertissements, des exemples et des leçons payés au prix du sang et de l’humiliation, l'Afro-français ou l'Africain, adopte encore une posture d’assisté, la main tendue, rempli d’espérance, scrutant la venue du changement. | ||
Nous ne traitons pas ici d’une défaillance ontologique qui serait
propre au Noir-grand-enfant, mais de la reconduction quasi automatique
et symptomatique d’un cadre discursif, imposant une transcendance
doublée d’une infantilisation, elle-même consubstantielle des rapports
Françafricains.
Suivant ce schéma, le Noir-grand-enfant aurait
donc besoin que la France-mère vienne lui prêter main-forte (avec le
succès que chacun peut constater).
Ce cadre, structurellement
paternaliste, induit de facto des réflexes dialectiques pernicieux,
s’insinuant invariablement dans l’énoncé de la pensée des intellectuels
chargés de rationaliser les idéologies et pensées libératrices.
Émancipation et autodétermination.
Pour beaucoup, prôner l’autodétermination radicale, en tant
qu’exigence principielle de la lutte, est faire preuve d’extrémisme.
Ce
raisonnement empreint de timidité est une erreur fondamentale. Une
erreur empêchant toute émancipation en ce qu’elle génère la reproduction
à l’infini des schèmes idéologiques déterminant les liens de
soumission.
En termes simples, on ne peut lutter pour sa liberté
si l’on s’impose inconsciemment le respect et la consolidation d’une
relation de soumission comme point de départ de la pensée émancipatrice.
L’intellectuel Africain qui mendie de l’aide pour parvenir à sa
propre liberté ne la mérite pas. L'Afro-français, métaphoriquement à
genoux, geignant pour que la France «adoucisse» sa politique en
Afrique ou améliore sa situation de citoyen de seconde zone, est
mentalement un laquais, quelles que soient par ailleurs sa rhétorique,
sa position sociale ou encore sa visibilité médiatique.
La force
est toujours du côté du droit (au sens de revendication moralement
légitime), mais celui-ci a un coût qui n'est autre que la dignité et la
fierté contenues dans la conscience de soi et du combat à mener.
Parallèlement, cette même force s’exprime à l’unique condition que l’on
accepte de renverser le postulat d’une liberté octroyée ou favorisée par
autrui.
L’émancipation, processus éminemment endogène et
nécessitant la compréhension des enjeux discursifs, ne ressort
assurément pas de la démarche intellectuelle, quasi unanimement reprise,
de la demande ou de la supplique.
L’émancipation, conceptuellement et factuellement, à l’exact opposé de la demande, ne peut dépendre d’un tiers.
Ne
pouvant être obtenue d’autrui, elle doit et ne peut qu’être prise, en
tant qu'expression et manifestation de l'autodétermination.
Conscience et vision.
Nous voilà revenu à ce point fondamental, définissant toute idéologie
ayant pour objectif la lutte émancipatrice : la conscience et
l’acceptation de soi en tant qu’acteur de sa propre histoire.
Une
conscience historique propre, ne peut se marier avec la condition de
sujet passif, implicitement contenue dans la position de quémandeur
suppliant, corollaire des analyses plaçant au-dessus des Africains et
des Afro-français, l’épée de Damoclès du bon vouloir de l’exécutif
français.
Le refus des balises intellectuelles héritées
de la colonisation, voire de l’esclavage, encadrant le champ d’action et
de l’auto-perception de l’homme noir (qu’il vive en Afrique ou qu’il
soit ressortissant français) est un préalable évident pour qui veut
penser ce dernier comme étant l’acteur de son histoire.
La
passivité, la soumission symbolique, qui découlent de la posture de la
main tendue et de celle de la supplique, n’ont pour résultat que de
revitaliser les chaines mentales enserrant les peuples du Continent et
surdéterminent actuellement l’expression de l’engagement politique de
ses penseurs.
L’intellectuel vigilant, éclaireur des peuples,
penseur de l’émancipation réelle, ne peut se permettre d’être un maillon
de ces chaines, en courbant symboliquement l'échine, sauf à trahir la
confiance que le peuple a placé en lui.
Son rôle et sa mission étant cruciaux, une erreur de cette nature et de cette importance, ne peut être permise ou pardonnée.
Il ne peut être confié à l’aveugle la charge de montrer le chemin…
Ahouansou Séyivé
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(1)- La nomination au Quai d’Orsay de Laurent Fabius, homme appartenant à une autre époque est une grande déception.(2)- http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/140512/francois-hollande-aidez-nous-deposer-paul-biya
(3)- http://www.cameroonvoice.com/news/news.rcv?id=6910
(4)- http://alternativesetcoherence.blogspot.fr/2012/04/la-farce-doit-cesser.html
(5)- http://alternativesetcoherence.blogspot.fr/2012/02/bamboozled.html
(6)- Utilisant la langue de bois des chefs successifs de la diplomatie française, Laurent Fabius a déclaré, le jeudi 17 mai 2012: "Avec l'Afrique, nous devons avoir un partenariat d'égal à égal". Nous sommes bien aise de constater avec lui que ce truisme ne va pas de soi.