Operation Epervier: M. Laurent Esso devant la barre
© Arthur L Mbye | Repères
La quatrième audience du procès qui oppose le ministère public et l'Etat du Cameroun à l'ancien ministre de la Santé Publique et quelques-uns de ses anciens collaborateurs a lieu ce matin au tribunal de grande instance de Yaoundé. A l'ordre du jour, suivant les termes du renvoi prononcés le 21 avril 2010 par la présidente de la collégialité des juges, Mme Marie Nomo Zanga, à l'issue de la clôture de la troisième audience, l'audition des témoins de l'accusation sur la première charge retenue contre M. Urbain Olanguena Awono.
Parmi les témoins attendus devant la barre, il y aura logiquement les cadres du ministère de la Santé publique, les membres de la mission du Contrôle supérieur de l'Etat qui ont révélé les détournements allégués, les experts judiciaires commis par le juge d'instruction... Comme il faudrait s'y attendre, la parole reviendra en premier au procureur de la République et aux avocats de l'accusation pour amener les témoins à enfoncer l'ex-ministre de la Santé publique. A leur suite, les témoins seront mis à la disposition de la défense pour le contre-interrogatoire, avant que les juges ne les soumettent eux aussi, en cas de nécessité, à leurs questions.
Ce n'est donc probablement pas au cours de cette quatrième audience que sera entendu le témoin qui, dans les coulisses du palais de justice de Yaoundé, alimente des apartés très discrets de nombreux juges.
Le prestigieux témoin a une double particularité dans cette affaire. Primo, il a précédé celui qui le cite comme témoin au poste de ministre de la Santé publique, fonction qu'il a occupée de 1999 à 2001. Au cours de cette période, il a probablement été à l'initiative d'un certain nombre de dossiers pour l'exécution desquels son successeur est appelé à répondre aujourd'hui devant les tribunaux.
Secundo, il apparait, de manière concordante et récurrente, comme le metteur en scène et l'acteur principal du vaudeville qui se joue depuis le 31 mars 2008 contre M. Urbain Olanguena Awono. Car, c'est lui en effet, de son piédestal de secrétaire général de la Présidence de la république, et donc super-patron du Contrôle supérieur de l'Etat et de l'ensemble des services de renseignement et de police de l'Etat, qui instruit la mission du contrôle de la gestion par l'ex-ministre de la Santé publique, des fonds alloués aux trois programmes de lutte contre le Sida, le paludisme et la tuberculose.
C'est toujours fort de cette position hiérarchique qu'il présente les résultats de ce contrôle au président de la République, en lui demandant par le même fait, l'autorisation de mettre en mouvement l'action publique contre sa victime désignée. «Le rapport de mission de contrôle et de vérification menée par le Contrôle supérieur de l'Etat et relatif à la gestion des programmes de lutte contre le Sida, le paludisme et la tuberculose logés au ministère de la Santé publique, laisse apparaître des irrégularités et malversations évaluées à 14.806 850 926 FCFA. Le ministre délégué à la présidence de la République chargé du Contrôle Supérieur de l'Etat propose la traduction des mis en cause devant le Conseil de discipline budgétaire et financière ainsi que les Juridictions compétentes», écrivait-il alors dans une note au chef de l'Etat le 02 mars 2008. Quatre semaines plus tard, le film de l'arrestation d'Olanguena Awono était tourné en mondovision et sur fond d'humiliation.
Le témoignage de Laurent Esso devant la barre dans les jours qui viennent lui donnera-t-il l'occasion de porter l'estocade finale contre celui qu'il a décidé de réduire à néant sous le fallacieux prétexte de l'Opération Epervier ? Il doit s'y préparer sérieusement au risque de subir le revers de la manivelle qui, généralement en pareille circonstance, est mortelle.
COMMENTAIRE
Un malheur ne vient jamais seul
La comparution de Laurent Esso devant la barre dans le cadre du procès contre l'ex-ministre de la Santé publique prend toutes les formes d'une deuxième enquête judicaire contre le proche collaborateur du chef de l'Etat en l'espace de trois semaines. Est-ce un signe des temps ?
Après l'affaire Bibi Ngota, le secrétaire général de la présidence de la République est-il rattrapé par son passé ? Nombreux sont ceux qui, au sein de l'opinion comme au cœur du pouvoir, répondent par l'affirmative à cette question. Car, soutiennent-ils, les séjours successifs de Laurent Esso, du cabinet civil de la présidence de la République au secrétariat général de cette institution, en passant par plusieurs départements ministériels dont certains des plus sensibles et stratégiques tels que le ministère de la Justice et celui des Relations extérieures, comportent leurs lots de secrets de famille ou de cadavres dans les placards.
Sans expression aucune, et visiblement insensible devant n'importe quelle situation, l'homme a fini par véhiculer, au sein de l'opinion, l'image de la carpe muette, d'un monstre froid. Un calme féroce qui vient seulement d'être révélé au grand jour avec l'affaire Bibi Ngota. Alors que les milieux et organisations de la presse nationale et d'autres groupes de pression de par le monde en sont encore à exiger que lumière soit faite sur cette affaire et que ses auteurs soient sanctionnés, voici que le hasard du calendrier d'un procès lancé dans le cadre de l'Opération Epervier vient ajouter un élément susceptible de compromettre ce très proche collaborateur du chef de l'Etat.
M. Laurent Esso, cité par Urbain Olanguena Awono comme témoin devant la barre, c'est, de manière caricaturale, le bourreau qui est invité à venir prononcer l'éloge funèbre de sa victime. On devrait donc s'attendre, si la justice camerounaise fait bien son travail, en toute indépendance et loin des pressions et instructions du parquet, à ce que le secrétaire général de la présidence de la République, qui a exigé et obtenu du président de la République la traduction «devant les juridictions compétentes» de son successeur au ministère de la Santé publique, vienne apporter les preuves de l'innocence que M. Urbain Olanguena Awono a clamée au cours de l'audience du 21 avril 2010. Un scénario pour le moins comique, mais qui ne manquera sans doute pas de dévoiler au grand jour le rôle au moins controversé que l'actuel secrétaire général de la présidence de la République a joué au Minsanté et qu'il joue aujourd'hui dans l'entourage du chef de l'Etat.
Après «l'affaire Bibi», qui fait actuellement l'objet d'une enquête judiciaire, c'est au tour de «l'affaire Olanguena» d'ébranler le ministre d'Etat secrétaire général. La comparution de M. Laurent Esso devant la barre dans le cadre du procès contre l'ex-ministre de la Santé publique prend toutes les formes d'une deuxième enquête judicaire contre le proche collaborateur du chef de l'Etat en l'espace de trois semaines.
LA POSITION DE LA France
De fait, il existe bien des indices qui tendent à montrer que dans cette affaire, le rétropédalage peut être douloureux pour M. Laurent Esso, visiblement rattrapé par la force de la vérité des faits. Il est important de mettre fin au sentiment général de déni de justice qui ternit profondément l'image du Cameroun au sein du concert des nations au point de susciter une sortie médiatique de l'ambassadeur de France au Cameroun, Bruno Gain (dans le quotidien Le Jour) qui déclare qu'il « est indispensable que les personnes mises en examen (dans le cadre de l'Opération Epervier bénéficient d'un procès équitable, mené dans des délais raisonnables. Ce sont des exigences fondamentales dont doit bénéficier tout justiciable. Au Cameroun comme ailleurs, les détentions provisoires d'une durée excessives devraient être évitées lorsqu'elles ne répondent pas aux besoins d'une bonne administration de la justice ».
M. Laurent Esso, magistrat de carrière, se sentira-t-il l'obligation citoyenne de descendre de son piédestal pour respecter l'institution judiciaire en déférant à sa convocation pour témoigner des actes de sa gestion du ministère de la Santé publique pour lesquels son successeur est imprudemment et injustement poursuivi ? Aux juges d'afficher leur indépendance du pouvoir politique et d'affirmer leur autorité sur un justiciable qui reste avant tout un citoyen camerounais comme tous les autres.