Les grandes douleurs sont muettes. Les proches de Polycarpe Abah Abah l’ont compris. Aussi leur colère est-elle sourde. Et coule en eux come l’eau entre les arbres desEdgar Alain Mebe Ngo'o forêts environnantes. Mais la rancœur grande. En apprenant que leur frère venait d’écoper de six années de prison, les habitants de Meyila n’en sont pas revenus. Cette bourgade à un jet de pierre du centre ville de Zoétélé, est en effet le village de Polycarpe Abah Abah. Il y est très populaire. Et même si les gens ne vitupèrent pas outre mesure, ils n’en expriment pas moins leur colère. Ils l’ont longtemps contenue. Elle ressort, par saccade, par petites phrases assassines contre un président qui ne reconnait pas ses vrais serviteurs. « Le ministre Abah c’est quelqu’un de bien et de généreux. Il a beaucoup contribué à la réussite du Rdpc ici. Je ne comprends tout simplement pas pourquoi il traverse ce calvaire. Il ne le mérite pas ! Son dossier d’accusation est vide !» S’indigne un habitant. C’est que le récent verdict contre l’ex ministre est tombé ici comme un couperet. On ne s’y attendait pas. Bien au contraire !
En effet, tout se passait ici comme si l’enfant prodigue de Meyila devait rentrer d’un moment à l’autre. Ses frères et sœurs du village, gardant espoir, étaient dans une posture d’attente. De la route de terre qui mène vers l’intérieur du village, on aperçoit la partie supérieure de la nouvelle résidence de l’ex Minefi. La case d’un oncle la précède. C’est ici que quelques habitants sont assis, devisant sur le sort de celui qui faisait leur fierté. Pour des raisons évidentes.
Alain comme Caïn à Zoétélé ?
L’ancien ministre était le principal moteur du développement de son village. « Il a une grande palmeraie ici. C’est la seule industrie si l’on peut dire, puisque c’est là-bas que travaillent la plupart des jeunes d’ici. » Indique une source. Un panneau défraichi indique en effet les installations de cette agro industrie. Le temps semble s’y être arrêté. On affirme également que c’est à lui qu’on doit la construction du lycée du village, il y a quelques années. « Sans lui, nos enfants continueraient à parcourir des kilomètres pour aller fréquenter ailleurs. On nous l’a enlevé sans raison valable. » Dénonce une femme entre deux âges. Elle est convaincue que, libre, leur fils aurait poursuivi ses actions de développement. Suppléant ce « mauvais père » (entendez Paul Biya). Ce dernier est brocardé ainsi, à cause de ce qui est perçu comme une politique de deux poids deux mesures entre les enfants du département. « Jean Jacques Ndoudoumou vient d’être épinglé par le conseil supérieur de l’Etat. Mais il est libre. Avant lui, il y avait eu le Pr Mendo Ze. Il est toujours en liberté. » Se plaint-on.
Mais si Biya bi Mvondo Paul est ainsi honni, le vrai Juda est cependant quelqu’un d’autre. Nous sommes en pays Fong, où le lien tribal se veut fort. Le sang du frère est sacré. « S’il meurt en prison, son sang remontera sur la tête de ses meurtriers. Surtout ce faux frère. En tout cas, nous prions pour lui. » Conclut notre vengeresse. Un véritable Caïn donc, version Dja et Lobo.
Son nom ? Edgar Alain Mebe Ngo'o. C’est vers le ministre de la Défense que le doigt accusateur est pointé, pour désigner celui par qui les malheurs de l’ancien Directeur général des impôts. A Meyila, et même au centre ville, les partisans d’Abah Abah accusent clairement Mebe Ngo, dont le village est situé à un jet de pierre de là, d’avoir comploté pour jeter son « cousin » en prison.
On se souvient en effet qu’une dangereuse rivalité a opposé les deux coqs de Zoétélé, il y a quelques années. Les deux étaient dans le même gouvernement. Ce qui ne les pas empêché de s’affronter farouchement. Par médias interposés. Ne s’épargnant rien. C’était à qui s’imposerait, avec à la clé, une place au gouvernement. Les médias, encore eux, avaient annoncé une réduction du nombre de ministre originaire de Dja et Lobo. Remy Ze Meka, lui aussi originaire d’ici et membre du gouvernement au même moment, a sagement fait le mort. Ce qui semble lui avoir évité le sort de Polycarpe Abah Abah. Bad Boy comme on le surnomme, continue d’adopter profil bas. Sorti grand vainqueur de cette guerre intestine et fratricide, Mebe Ngo est désormais seul coq dans la cour de Zoétélé.
Par conséquent, c’est à lui qu’a profité le « crime » de l’incarcération de l’ex Minefi. « Mais son tour viendra. Car il peut difficilement justifier sa richesse actuelle dévoilée par la presse. » Prédit quelqu’un. Qui sait, avec l’opération épervier, tout peut arriver à n’importe qui. Surtout aux dauphins putatifs. Et Edgar Alain Mebe Ngo en est ! En attendant, les balafons du groupe Richard Band de Zoétélé, qui preste tous les week-ends dans un bar de la ville, ne fait plus danser tout le monde.