Opération Épervier: les dessous de «l’affaire» Atanga Nji

YAOUNDE - 27 OCT. 2014
© Mamouda Labaran | La Météo

Le «dossier» de la Cameroon Postal Services (Campost), dans lequel est cité le ministre chargé de missions à la présidence de la République, a toutes les allures d'une campagne de diabolisation.

Ange ou démon ? Certains esprits, prétendument éclairés, n'ont pas hésité, voici quelques mois, à pencher pour la deuxième option au sujet de «l'affaire Atanga Nji», qui cristallise désormais les attentions dans les chaumières. Au sein de l'opinion, où les faits se mêlent à l'intox, c'est chacun qui y va de son petit commentaire. Du genre : «le président de la République aurait finalement donné son aval pour que la justice s'intéresse au dossier Campost». Comme s'ils s'étaient passé le mot, ces commentateurs du dimanche soutiennent à l'envi que Paul Biya, qui aurait été sollicité pour donner son avis sur la suite du dossier, serait prêt à lâcher l'un de ses fidèles.

Dans cette obsession à jeter en pâture le ministre chargé de missions à la présidence de la République, les «connaisseurs» passent le clair de leur temps à débiter des inepties, à défaut de prédire la descente aux enfers au natif de la Mezam, suspecté dit-on, d'avoir participé à pas moins d'une demi-douzaine d'opérations douteuses, susceptibles de donner lieu à des poursuites judiciaires pour détournement des deniers publics. Pour se faire plus convaincants, ils indiquent que ces prétendues malversations auraient eu lieu à l'époque où Paul Atanga Nji était le directeur général des Établissements EJHM.

Seulement, pour taire tous les mages de mauvais augure, dans l'entourage de l'intéressé, des sources introduites invoquent une affaire privée entre une banque et un client, de surcroît crédible. Bien plus, dans sa quête d'information, et concernant les réelles motivations d'une certaine opinion à remuer à tout prix les cendres d'une histoire manquant visiblement de ressorts, La Météo a pu établir qu'avant le déclenchement du dossier Campost, Paul Atanga Nji, qui était loin de s'imaginer qu'un jour, il sera membre du gouvernement, disposait déjà des comptes bancaires bien fournis, dont les ressources ne venaient pas de la Campost. Alors qu'il n'est même pas superflu de rappeler que l'affaire Campost prend sa source en 2004.

La réalité est donc moins prolixe. Une confidence, faite à votre journal par un haut responsable proche du dossier, est saisissante à cet effet. Cet homme était déjà, apprend-on, milliardaire à 27 ans et a, ouvertement, utilisé une bonne partie de cet argent pour soutenir le chef de l'État et les institutions de la République. En 1993, il crée la banque Hyghland Corporation avec un apport de plus de 750 millions de francs.

Il se raconte aussi que le géniteur de M. Atanga Nji, aujourd'hui âgé de 96 ans, est le premier anglophone propriétaire d'un hôtel à Bamenda, en 1960, et promoteur d'une agence de voyages, en 1945, pour ne citer que ces exemples. Les langues sont également formelles pour démontrer à quel point, depuis 28 ans, les fonds propres de Paul Atanga Nji, militant de la première heure du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), ont souvent servi à soutenir non seulement le gouvernement, mais aussi le parti au pouvoir. Et les exemples foisonnent, pour justifier le fait que le chef de l'Etat lui ait justement confié des dossiers importants à traiter, parmi lesquels le Conseil national de sécurité dont il est la cheville ouvrière.

Un sens élevé du patriotisme. Il faudrait avoir la mémoire courte, pour ne pas se souvenir des risques qu'aura pris cet homme pour soutenir le régime, parfois au risque de sa vie. Le 18 août 1988, il fait don de 57 millions de francs au gouvernement (secrétariat d'Etat à la Défense, ministère de l'Administration territoriale, délégation générale à la Sûreté nationale, Affaires sociales) et au Rdpc, avec l'onction du président de la République. Il recevra formellement des lettres d'encouragement et de remerciements du chef de l'Etat «pour les sacrifices consentis» et pour le «sens patriotique élevé» En octobre 1991, il acquiert 150 taxis, pour quelque 170 millions de francs, afin de combattre les «villes mortes» à Douala. Ces œuvres feront l'objet de plus de 56 publications dans Cameroon Tribune entre 1992 et 2007.

En 2008, et alors que le débat fait rage autour du projet de modification de la Constitution, il prend courageusement la tête d'un mouvement de soutien qui touchera au moins sept régions. À l'époque, nombreux sont les dirigeants qui font profil bas, lorsqu'ils n'essayent pas de pactiser avec l'adversaire. Il est aidé dans son entreprise par quelques rares soutiens au chef de l'Etat tels que Françoise Foning ou encore Jacques Fame Ndongo. Mais il n'est pas dupe quant à la posture ambiguë de certains autres à l'instar de certains, qui ont fini par démontrer qu'on pouvait être ministre le jour et, la nuit, militer pour la chute de Paul Biya…

Paul Atanga Nji prend aussi la parole, au moment où certains dignitaires du régime se terrent dans un silence suspect. Il déclare, entre autres, qu'«au Cameroun, les Anglophones ne sont pas marginalisés», que la Conférence nationale, exigée par l'opposition, serait une remise en cause de l'autorité de l'Etat, qu'«il faut abandonner les revendications fantaisistes». Les dons d'ambulances, de lits, de brouettes, de pelles, de matériels scolaires et autres machines à coudre, aux nécessiteux, ne se comptent pas. Les médias écrits et audiovisuels louent ce sens élevé de l'humanitaire.

Le ministre de la Jeunesse et des Sports de l'époque, Joseph Fofé, n'avait d'ailleurs pas manqué de remercier et d'encourager le promoteur des Jeunes hommes d'affaires de Douala, au nom du chef de l'Etat. Pour lui, ces dons avaient fait l'objet d'un choix judicieux, constituant «la preuve éclatante que notre jeunesse est restée attentive à l'appel du chef de l'État qui n'a jamais cessé de l'inviter à s'associer pleinement à notre action de redressement économique».

Sur le terrain politique, Paul Atanga Nji n'est pas en terrain inconnu. Au sein du Rdpc, le management du président de la section Mezam a été de ceux ayant contribué à positiver l'image du parti présidentiel, particulièrement dans les villes réputées hostiles au parti au pouvoir, notamment Douala. Pendant les années électorales, sa connaissance des arcanes de la vie politique dans la région du Nord-Ouest, et particulièrement Bamenda, chef-lieu de la région dont il est par ailleurs originaire, l'a rend incontournable pour le parti. À chaque fois, M. Atanga Nji sait user de son influence pour faire gagner son camp. On lui doit, indiquent les fins connaisseurs de terrain, le revirement de certains adversaires politiques d'hier en faveur du Rdpc non seulement dans le département de la Mezam, mais également dans pratiquement toute la région : en fragilisant le Social Democratic Front (Sdf), le parti de Paul Biya a renversé la tendance dans les autres départements du Nord-Ouest. Plus près de nous, lors des législatives et municipales de 2013, l'homme a réussi à arracher la mairie de Bamenda I au Sdf, après 20 ans de règne sans partage.

405km pour soutenir Biya. Qui a oublié cet exploit de Paul Atanga Nji, qui a réussi à mobiliser 400.000 voix en faveur de Paul Biya ? A la veille de l'élection présidentielle de 1992, et sous sa férule, 05 associations avaient signé la «Déclaration de Yaoundé» pour soutenir la candidature du président national du Rdpc. Ces voix se recrutaient alors chez les indécis, pour renforcer le potentiel électoral du chef de l'Etat sortant. «Nous voulons véritablement aller au-delà des motions de soutien classiques en retraçant le bilan largement crédible, secteur par secteur, du chef de l'Etat afin que la jeunesse camerounaise comprenne le bien-fondé de notre démarche et vote utile le moment venu», déclarait alors le président du Mouvement Arc-en-ciel. 

C'est encore sous la houlette de ce mouvement qu'une marche historique de paix et de soutien au chef de l'État et aux institutions républicaines, sur 405km de Bamenda à Yaoundé, du 12 au 20 juillet 2005, avait vu la participation de 10 militants du Rdpc avec à leur tête le principal organisateur, Paul Atanga Nji. L'objectif, selon le président de ce concept, était justement de faire comprendre aux ressortissants de son fief que «le Nord-Ouest n'aura jamais un avenir politique crédible en dehors du Renouveau et en dehors du Rdpc, tout en demeurant convaincu que la solide implantation du Sdf dans sa province ne signifie pas forcément que les ressortissants du Nord-Ouest sont contre le Renouveau».

À l'époque, cette marche de soutien représentait, d'après l'intéressé, l'effort nécessaire que les militants du Rdpc dans l'ancienne province du Nord-Ouest devaient fournir, sur le terrain, pour contrer leur principal adversaire et certains groupes politiques sécessionnistes, «sous le fallacieux prétexte que les anglophones du Nord-Ouest sont marginalisés par le Renouveau». «La jeunesse a souhaité voir le président de la République déclarer sa candidature, parce que nous sommes prêts à contribuer à sa réélection qui ne fait pour nous l'ombre d'aucun doute. Nous n'allons donc souffler que lorsque le président Paul Biya aura déclaré sa candidature au scrutin à venir. C'est le premier objectif de toutes les actions de nos cinq associations de jeunesse dont la Presby, le Club Biya, l'Arc-en-ciel, Convention jeunesse citoyenne et Dynamique des fans du chef de l'État. Le second étant bien sûr de contribuer le moment venu à sa réélection», avait-il soutenu en 2004, à la veille de l'élection présidentielle.

C'est dire si, concluent les observateurs avisés, ceux des annotateurs acquis aux anges des ténèbres qui prédisent d'ores et déjà la descente aux enfers de cet homme dévoué entièrement pour la cause présidentielle, doivent certainement prendre leur mal à patience, à défaut de revoir leurs intentions.

Mamouda Labaran




27/10/2014
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