Opération Epervier: Les Américains accusent Amadou Ali de détournement

DOUALA - 05 AVRIL 2013
© Rodrigue N. TONGUE | Le Messager

Un câble diplomatique américain posté par Wikileaks, révèle qu’au prétexte d’ « appâter » les services secrets occidentaux et d’enquêter sur les avoirs des personnalités camerounaises, le vice-premier ministre du Cameroun, a englouti de fortes sommes d’argent. Les diplomates américains jugent la manœuvre louche et le rôle de Dooh Collins, l’homme de main d’Amadou Ali trouble.


Amadou Ali
Photo: © Archives


Un câble diplomatique américain posté par Wikileaks, révèle qu’au prétexte d’ « appâter » les services secrets occidentaux et d’enquêter sur les avoirs des personnalités camerounaises, le vice-premier ministre du Cameroun, a englouti de fortes sommes d’argent. Les diplomates américains jugent la manœuvre louche et le rôle de Dooh Collins, l’homme de main d’Amadou Ali trouble. Wikileaks n’a donc pas fini de livrer toutes les confidences des autorités américaines sur l’énigmatique Amadou Ali. Le site devenu célèbre par la publication des câbles d’informations des services secrets américains revient sur l’ex-ministre en charge de la Justice (il a quitté le poste en décembre 2011). Cette fois il révèle qu’en 2007 déjà, les Américains trouvaient bizarres les méthodes d’Ali dans le projet de traçage des biens et avoirs des hautes personnalités de la République en difficulté avec la Justice.

L’inquiétude des services secrets du pays de l’Oncle Sam était née, d’après les câbles, des agissements peu professionnels de l’agent d’Amadou Ali, l’expert comptable Dooh Collins. En effet, au fil de ses contacts avec les diplomates américains à Yaoundé à la fin de l’année 2007, le principal bras séculier de l’Etat du Cameroun dans la recherche des comptes bancaires des «éperviables» aurait fait tiquer ses interlocuteurs. Aussi, ont-ils, d’après la lettre du câble publié ci-contre, ouvert une enquête sur le profil professionnel et surtout psychologique de l’expert comptable. Celle-ci aura permis de savoir que pour une seule mission à l’étranger, Dooh Collins pouvait toucher jusqu’à un million de dollars, environ un demi-milliard, pour dit-il « motiver » les agents secrets occidentaux dans la perspective de retrouver les avoirs dissimulés de prévaricateurs de la République. Seulement, les diplomates américains affirment qu’après contre-enquête du Département de la sécurité intérieure, il a été établi que ces fonds destinés à la « motivation » n’ont jamais été transférés.

Pis, bien au-delà de la personne de Dooh Collins, les services secrets américains l’opération de recherche des avoirs volés au Cameroun «aura été jusque là un élément essentiel dans l’ambitieux projet d’Amadou Ali d’exploiter des ressources internationales pour une enquête anti-corruption». Ses prétentions à utiliser les fonds du gouvernement camerounais pour rémunérer les gouvernements étrangers dans ce processus, y compris celui des Etats-Unis, [les] troublent. Aussi étaient-ils résolus à convaincre Amadou Ali de ne pas mettre sur pied une structure formelle chargée de rechercher les fonds dissimulés dans les paradis fiscaux. L’entourage de l’actuel ministre en charge des Relations avec les Assemblées qui revenait de N’djamena hier, dit, ne pas être informé de ce nouveau câble.

Cet autre câble revient sur les ambitions politiques d’Ali en précisant qu’en 2007, ce dernier était quasi convaincu de succéder à Paul Biya en 2011. C’est du moins ce que révélait son protégé aux diplomates américains. Aujourd’hui en 2013 ces prétentions sont-elles toujours les mêmes ?


Rodrigue N. TONGUE


L’intégralité du câble des services secrets américain diffusés par Wikileaks*

Francis Dooh Collins est l’interlocuteur désigné du ministre de la Justice Amadou Ali dans la collaboration avec les gouvernements étrangers relativement à l’enquête anti-corruption menée par ce dernier (reftels). Bien que quelques unes des prétentions irrégulières de Dooh Collins nous ont donné raison de douter de sa crédibilité, il a réussi à produire une requête d’assistance légale signée par Amadou Ali (septel), et il est, du moins pour l’instant l’agent désigné du gouvernement camerounais (GRC) à cet effet. Dans l’intérêt de la République du Cameroun (GRC) de développer un effort anti-corruption plus professionnel et plus durable, nous chercherons à convaincre Amadou Ali de mettre en place bientôt une structure spécialisée formelle traitant de cette enquête et des requêtes analogues pour la République du Cameroun (GRC), permettant ainsi de réduire au minimum le facteur d’imprévisibilité inhérent au rôle énigmatique de Dooh Collins. Fin de résumé.


Contexte

2. (C) Le ministre camerounais de la Justice, Amadou Ali, avait désigné Francis Dooh Collins pour agir en tant que personne ressource dans une série d’enquêtes anti-corruption parce que, disait-il, Dooh Collins provenait d’une famille camerounaise hautement aisée. Amadou Ali continua en disant qu’il serait prêt à laisser tomber Dooh Collins si le gouvernement américain (USG) avait des informations controversées ou des soucis à son endroit.

3. (C) A la demande d’Ali, l’ex-ambassadeur Marquardt à reçu plusieurs fois Dooh Collins et son collègue de nationalité américaine Robert Horwath dans les semaines du 4 et du 11 juin (ref a). Horwath ne prendra part à aucune autre rencontre par la suite. Poloff a rencontré Dooh Collins le 12 septembre, le 24 septembre et le 10 octobre. Les informations sur les cartes de visites de Dooh Collins et Robert Howarth ainsi que sur la carte nationale d’identité camerounaise de Dooh Collins sont présentes aux paragraphes 10 et 11ci-après.
Dooh Collins et le million de dollars Us.

4. (C) Dans une rencontre avec Poloff datant du 12 septembre [2007, Ndlr] et qui a duré presque deux heures, Dooh Collins a exprimé sa satisfaction générale dans l’évolution de la coordination générale entre le (GRC) et le (USG), le Royaume-Uni et d’autres pays encore. Dooh Collins a fait cas du montant d’1 million de dollars US mis à sa disposition par Amadou Ali pour l’enquête (refs a et b) et il a dit qu’il en demanderait davantage. En réponse aux questions de Poloff lui demandant la véritable justification de la somme d’1 million du dollar US exigé, Dooh Collins a dit que ces fonds devaient assurer la coopération des gouvernements étrangers et des autres partenaires impliqués dans l’enquête. Dooh Collins a commencé par expliquer que ces fonds étaient utilisés pour « appâter » les services secrets suisses et français devant fournir d’importantes informations car selon lui dans le cas contraire ces derniers auraient prétexté leur indisponibilité et l’absence d’intérêt à collaborer avec le Cameroun.

Il a continué en disant qu’il avait aussi octroyé des fonds aux services secrets (R.U) afin d’assurer leur collaboration et il a fini son explication en affirmant qu’il utilisait ces fonds pour payer le voyage et le travail réalisé par le gouvernement américain, en particulier aux cadres des services secrets du Département de la sécurité intérieure, pour payer deux cadres des services secrets devant se consacrer au dossier Cameroun et pour payer leur voyage. Poloff a réitéré ces informations à Dooh Collins aux fins des vérifications, et Dooh Collins a confirmé avoir affirmé (déposer) qu’il avait octroyé des fonds au gouvernement américain (USG) et à d’autres administrations dans le but de rétribuer et motiver leur collaboration dans l’enquête. Poloff a transmis ces informations aux officiels du Département de la sécurité intérieure à Washington qui ont catégoriquement nié les allégations de Dooh Collins (ref b).
5. (C) Lorsque Poloff a reparlé de cette affaire au cours d’une conversation datant du 10 octobre [2010, Ndlr], Dooh Collins a dit qu’Amadou Ali allait demander à Biya 600 000 dollars US en plus dès que celui-ci sera de retour de Genève. En réponse à Poloff lui demandant pourquoi des sommes si importantes seraient nécessaires, Dooh Collins a dit qu’il devait les payer à un avocat au Luxembourg et à d’autres partenaires non spécifiés ayant contribué à l’enquête. (Remarque : lors de la réunion du 12 septembre, Dooh Collins a dit qu’il travaillait avec André Lutgen, avocat au Luxemburg. Fin de la remarque)


La partition française

6. (C) Dans la rencontre du 12 septembre avec Poloff, Dooh Collins déclarait que peu de temps après sa naissance au Cameroun sa famille s’est installée en France, où il a passé l’essentielle de sa vie et disait-il, a travaillé pour les services secrets français. Dooh Collins a rapporté que le gouvernement français lui a signifié sa désapprobation de cette mission anti-corruption et lui a dit de ne pas voyager avec un passeport français pendant qu’il la mènerait. Dooh Collins a rapporté que le gouvernement français était précédemment intervenu pour détourner des enquêtes camerounaises parce que de telles enquêtes devaient inévitablement déboucher à des collusions d’éminentes personnalités de la classe politique française et des affaires. Dooh Collins a prétendu que des agents des services secrets français avaient alors cambriolé le bureau de Biya et emporté la liste «des suspects» pour ensuite la livrer à la presse afin de discréditer l’enquête. Dooh Collins déclarait que pour cette raison, les Français ne devaient pas être mis au courant de l’enquête (Plus de détails relatifs aux soupçons du gouvernement camerounais sur l’opposition française à l’effort anti-corruption aux refs a et b). Au cours de la réunion du 10 octobre qui allait suivre, Dooh Collins a exprimé son vœu de voir le gouvernement français plus coopératif sous la houlette de Sarkozy.


Dooh Collins et la politique camerounaise

7. (C) Dooh Collins ne fait pas mystère de ses ambitions personnelles au-delà de la présente enquête. Il nous a montrés des documents qu’il prétend avoir présenté à Biya et qui exposent ses idées sur la restructuration de certains secteurs sensibles y compris la gestion des revenus du pétrole et la dette publique. Le 10 octobre [2007, Ndlr] il a prétendu que Biya avait déjà cédé d’énormes pouvoirs à Amadou Ali et qu’il était déjà presque conclu que Biya désignerait Amadou Ali pour lui succéder en 2011. Dooh Collins a déclaré qu’un remaniement ministériel prévu pour mars 2008 [le remaniement aura lieu en juin 2009, Ndlr] relèverait le Premier ministre Inoni Ephraïm et nommerait à sa place l’actuel secrétaire général adjoint à la présidence de la République, l’anglophone Philémon Yang. Dooh Collins affirmait qu’il y a plusieurs dossiers concernant Inoni, y compris celui de son implication dans « l’affaire Albatros » mais Inoni est pour l’instant laissé en dehors de l’enquête du gouvernement camerounais afin d’éviter la colère de ses supporters dans sa base anglophone [Inoni sera finalement arrêté en avril 2013, ndlr].


Prochain voyage de Dooh Collins

8. (C) Dooh Collins avait déjà eu des entretiens avec les missions diplomatiques des Etats-Unis (US), du Royaume-Uni (RU), du Canada, des Pays-Bas, et de l’Italie à Yaoundé. Dooh Collins a dit qu’il voyagera pour Genève, Luxembourg et Londres quelques temps après le 3 octobre afin de rencontrer des officiels qui contribuent à l’enquête. Dooh Collins a manifesté l’intérêt de retourner aux Etats-Unis afin de rencontrer les officiels du gouvernement américain (USG) à Washington et à Miami mais à dit qu’il suspendrait son voyage en attendant de recevoir la réplique de Washington sur la requête d’assistance légale réciproque (MLA) qu’il a soumise.


Commentaire: réduction de l’improvisation

9. (C) Commentaire. Dooh Collins aura été jusque-là un élément essentiel dans l’ambitieux projet d’Amadou Ali d’exploiter des ressources internationales pour une enquête anti-corruption. Ses prétentions à utiliser les fonds du gouvernement camerounais (GRC) pour rémunérer les gouvernements étrangers dans ce processus, y compris celui des Etats-Unis, nous troublent; toutefois la crédibilité de Dooh Collins a peu d’incidence sur l’objectif plus grand d’une coopération dans la lutte anti-corruption entre les gouvernements camerounais et américains. En écartant la personnalité de Dooh Collins, on peut comprendre qu’une enquête anti-corruption sérieuse impliquant des agences rattachées à de nombreux gouvernements exigera un système d’échange plus formel. Dans l’intérêt de développer une lutte anti-corruption plus professionnelle et plus durable de la part du gouvernement camerounais (GRC), nous chercherons à convaincre Amadou Ali de mettre en place bientôt une structure formelle chargée de ces affaires et d’autres requêtes semblables du gouvernement camerounais, ce qui pourrait aussi contribuer à réduire le facteur d’improbabilité lié au rôle énigmatique de Dooh Collins. Fin de commentaire.

* Traduction libre de la rédaction



05/04/2013
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