Opération Epervier: La justice savait depuis 2006 pour les faux comptes bancaires
Yaoundé, 17 Juin 2013
© RAOUL GUIVANDA | L'Oeil du Sahel
Des commissions rogatoires lancées sur les traces des avoirs financiers de Joseph Edou depuis 2006, indiquent qu'il ne possède pas la fortune qu'on lui prête
Condamné à 40 ans de prison pour détournement de 13 milliards de francs CFA, Joseph Edou, ancien Directeur Général du Crédit foncier, est à sa manière une victime des faux comptes bancaires de la liste Ali-Dooh Collins. L'examen des pièces de son dossier de procédure révèle une information jusqu'ici tue, qui jette une lumière crue sur le niveau d'information de la Justice à propos des faux comptes bancaires attribués à certains barons du régime de Paul Biya. Il apparaît que depuis 2006, la justice savait qu'il ne possédait pas la fortune qu'on lui prêtait et qui a servi à le condamner à une lourde peine d’un demi-siècle d'emprisonnement.
En effet, peu après son arrestation le 21 février 2006, les autorités judiciaires procèdent à des vérifications sur la légalité des avoirs financiers de l'ancien Directeur Général du Crédit foncier. Le 2 mars 2006, le Juge d'instruction en charge de l'affaire au Tribunal de grande instance du Mfoundi, M. Rogatien Tejiozem, saisit la Police judiciaire française par Commission rogatoire internationale. C'est l'Ambassade de France qui achemine la réponse de la justice française aux autorités camerounaises. Le résultat de l'enquête hexagonale indique que Joseph Edou n'a pas de compte dans les banques HSBC et au Crédit lyonnais (LCL).
De fait, le 12 mai 2006, Blaise Ravetto de la Direction des Affaires juridiques et fiscales de HSBC écrit à Mme Candice Etienne de la division nationale des investigations financière de la Police française: «En réponse à votre réquisition, nous vous indiquons que M. Edou Joseph n'apparaît pas dans l'actuelle base clientèle d'HSBC France». Quelques jours plus tard, le 22 mai 2006, c'est Christian Bodenes du Crédit lyonnais qui écrit à Mme Candice Etienne, Lieutenant de Police en charge de l'enquête: «M. Edou Joseph, né le 17/08/1952, ne possède pas et n'a jamais possédé de compte au sein de la LCL».
Par contre, l'ancien Directeur Général du Crédit foncier possède deux comptes à la BNP Paribas, tel qu'il l'avait indiqué à la Police dès le jour de son arrestation le 21 février 2006. Il s'agit d'un compte chèque avec un solde, au 31 décembre 2005, soit deux mois avant son arrestation, de 2 645 euros, l'équivalent de 1,838 million de francs CFA et d'un compte épargne affichant un solde de 27 045 euros, soit 17,681 millions de francs CFA. Ce sont bien ces deux comptes que la division française des investigations financières (DNIF) découvre et qu’elle porte à la connaissance des autorités judiciaires Camerounaises. Tout le dossier constitué sur Joseph Edou est remis «en mains propres à Monsieur le Directeur des Affaires pénales et des grâces le 3 août 2006, par le Commandant Bordes Patrick, attaché de sécurité intérieure adjoint près l'Ambassade de France à Yaoundé».
En 2006, le Directeur des Affaires pénales et des grâces se nomme Emile Zéphyrin Nsoga. Celui qui deviendra six ans plus tard le Procureur général près le Tribunal criminel spécial (TCS) chargé de connaître des détournements de deniers publics de plus de 50 millions de francs, informe le Juge Rogatien Tejiozem des conclusions de la Commission rogatoire internationale. Ainsi, quand il est condamné en juillet 2008 pour détournement à 13 milliards, la justice sait qu’il dispose dans ses comptes à l'étranger moins de 20 millions de francs.
Pourtant, dans la liste Ali-Dooh Collins où le nom de Joseph Edou figure en bonne place, les deux comptes de la BNP Paribas sont bien visibles, mais avec la mention «solde à préciser» alors que les montants sont connus. L'intérêt de faire apparaître ces comptes sans leur solde réside dans le soupçon que leur seule publication suscite, comme si la possession d'un compte à l'étranger est un délit sans autre forme de procès. Pis, comment attribuer 20 millions d'avoirs financiers à un individu qui a été condamné pour détournement de 13 milliards?
Pour bien faire les choses, la liste Ali-Dooh Collins affecte un compte fictif à Joseph Edou prétendument logé à la Banque postale de Le Raincy. Cette banque n'existe nulle part dans le répertoire des établissements bancaires français. La Banque postale française, quant à elle, a été créée en 2006 et n'est effectivement entrée en activité qu’en 2007, soit un an après l'incarcération de Joseph Edou au Sed. Sauf à penser qu'il ait échappé à ses geôliers, soit allé ouvrir un compte à la Banque Postale puis soit revenu retrouver sa cellule. Ici aussi, est inscrite la mention «solde non précisé», alors que la connaissance du code bancaire et du code agence d'un numéro de compte permet d'en connaître le solde.
La lecture des éléments du dossier Joseph Edou conforte la thèse d'une manipulation de la liste des dignitaires du régime, titulaires de comptes bancaires à l’étranger. Surtout, elle montre aussi que depuis 2006, date de démarrage de l’Opération Epervier, la justice connait la vérité sur les comptes bancaires de certaines personnalités aujourd’hui en prison, sous le prétexte qu’elles se sont immensément enrichies au détriment de l'Etat. En révélant que des Commissions rogatoires ont été lancées par le Ministère de la Justice et les conclusions acheminées au fur et à mesure aux Tribunaux, le dossier Joseph Edou indique que le recrutement de Francis Dooh Collins et son intégration dans la cellule ad hoc des renseignements financiers crées par Amadou- Ali au Minjustice, participaient d'une démarche ambiguë. Le gouvernement a donc payé Francis Dooh Collins pour trouver ce qu'il savait déjà.
Ancien Directeur des Affaires pénales et des grâces et destinataires des rapports des Commissions rogatoires, le Procureur général près le TCS, Emile Zéphyrin Nsoga a une parfaite maîtrise du dossier Dooh Collins et sait exactement ce qu’il recherche.
© RAOUL GUIVANDA | L'Oeil du Sahel
Des commissions rogatoires lancées sur les traces des avoirs financiers de Joseph Edou depuis 2006, indiquent qu'il ne possède pas la fortune qu'on lui prête
Condamné à 40 ans de prison pour détournement de 13 milliards de francs CFA, Joseph Edou, ancien Directeur Général du Crédit foncier, est à sa manière une victime des faux comptes bancaires de la liste Ali-Dooh Collins. L'examen des pièces de son dossier de procédure révèle une information jusqu'ici tue, qui jette une lumière crue sur le niveau d'information de la Justice à propos des faux comptes bancaires attribués à certains barons du régime de Paul Biya. Il apparaît que depuis 2006, la justice savait qu'il ne possédait pas la fortune qu'on lui prêtait et qui a servi à le condamner à une lourde peine d’un demi-siècle d'emprisonnement.
En effet, peu après son arrestation le 21 février 2006, les autorités judiciaires procèdent à des vérifications sur la légalité des avoirs financiers de l'ancien Directeur Général du Crédit foncier. Le 2 mars 2006, le Juge d'instruction en charge de l'affaire au Tribunal de grande instance du Mfoundi, M. Rogatien Tejiozem, saisit la Police judiciaire française par Commission rogatoire internationale. C'est l'Ambassade de France qui achemine la réponse de la justice française aux autorités camerounaises. Le résultat de l'enquête hexagonale indique que Joseph Edou n'a pas de compte dans les banques HSBC et au Crédit lyonnais (LCL).
De fait, le 12 mai 2006, Blaise Ravetto de la Direction des Affaires juridiques et fiscales de HSBC écrit à Mme Candice Etienne de la division nationale des investigations financière de la Police française: «En réponse à votre réquisition, nous vous indiquons que M. Edou Joseph n'apparaît pas dans l'actuelle base clientèle d'HSBC France». Quelques jours plus tard, le 22 mai 2006, c'est Christian Bodenes du Crédit lyonnais qui écrit à Mme Candice Etienne, Lieutenant de Police en charge de l'enquête: «M. Edou Joseph, né le 17/08/1952, ne possède pas et n'a jamais possédé de compte au sein de la LCL».
Par contre, l'ancien Directeur Général du Crédit foncier possède deux comptes à la BNP Paribas, tel qu'il l'avait indiqué à la Police dès le jour de son arrestation le 21 février 2006. Il s'agit d'un compte chèque avec un solde, au 31 décembre 2005, soit deux mois avant son arrestation, de 2 645 euros, l'équivalent de 1,838 million de francs CFA et d'un compte épargne affichant un solde de 27 045 euros, soit 17,681 millions de francs CFA. Ce sont bien ces deux comptes que la division française des investigations financières (DNIF) découvre et qu’elle porte à la connaissance des autorités judiciaires Camerounaises. Tout le dossier constitué sur Joseph Edou est remis «en mains propres à Monsieur le Directeur des Affaires pénales et des grâces le 3 août 2006, par le Commandant Bordes Patrick, attaché de sécurité intérieure adjoint près l'Ambassade de France à Yaoundé».
En 2006, le Directeur des Affaires pénales et des grâces se nomme Emile Zéphyrin Nsoga. Celui qui deviendra six ans plus tard le Procureur général près le Tribunal criminel spécial (TCS) chargé de connaître des détournements de deniers publics de plus de 50 millions de francs, informe le Juge Rogatien Tejiozem des conclusions de la Commission rogatoire internationale. Ainsi, quand il est condamné en juillet 2008 pour détournement à 13 milliards, la justice sait qu’il dispose dans ses comptes à l'étranger moins de 20 millions de francs.
Pourtant, dans la liste Ali-Dooh Collins où le nom de Joseph Edou figure en bonne place, les deux comptes de la BNP Paribas sont bien visibles, mais avec la mention «solde à préciser» alors que les montants sont connus. L'intérêt de faire apparaître ces comptes sans leur solde réside dans le soupçon que leur seule publication suscite, comme si la possession d'un compte à l'étranger est un délit sans autre forme de procès. Pis, comment attribuer 20 millions d'avoirs financiers à un individu qui a été condamné pour détournement de 13 milliards?
Pour bien faire les choses, la liste Ali-Dooh Collins affecte un compte fictif à Joseph Edou prétendument logé à la Banque postale de Le Raincy. Cette banque n'existe nulle part dans le répertoire des établissements bancaires français. La Banque postale française, quant à elle, a été créée en 2006 et n'est effectivement entrée en activité qu’en 2007, soit un an après l'incarcération de Joseph Edou au Sed. Sauf à penser qu'il ait échappé à ses geôliers, soit allé ouvrir un compte à la Banque Postale puis soit revenu retrouver sa cellule. Ici aussi, est inscrite la mention «solde non précisé», alors que la connaissance du code bancaire et du code agence d'un numéro de compte permet d'en connaître le solde.
La lecture des éléments du dossier Joseph Edou conforte la thèse d'une manipulation de la liste des dignitaires du régime, titulaires de comptes bancaires à l’étranger. Surtout, elle montre aussi que depuis 2006, date de démarrage de l’Opération Epervier, la justice connait la vérité sur les comptes bancaires de certaines personnalités aujourd’hui en prison, sous le prétexte qu’elles se sont immensément enrichies au détriment de l'Etat. En révélant que des Commissions rogatoires ont été lancées par le Ministère de la Justice et les conclusions acheminées au fur et à mesure aux Tribunaux, le dossier Joseph Edou indique que le recrutement de Francis Dooh Collins et son intégration dans la cellule ad hoc des renseignements financiers crées par Amadou- Ali au Minjustice, participaient d'une démarche ambiguë. Le gouvernement a donc payé Francis Dooh Collins pour trouver ce qu'il savait déjà.
Ancien Directeur des Affaires pénales et des grâces et destinataires des rapports des Commissions rogatoires, le Procureur général près le TCS, Emile Zéphyrin Nsoga a une parfaite maîtrise du dossier Dooh Collins et sait exactement ce qu’il recherche.