Opération épervier : entre promesses, fermeté et mesure
Soumis par Man Alu DIBI de le jeu, 05/24/2012 - 14:17
“Nous voici donc au seuil de la première étape de notre logue marche vers l’émergence » (Paul BIYA, Ce que j’ai dit, p. 173), annonçait le Président de la République dans son adresse traditionnelle à la Nation le 31 décembre 2011. Une phrase introductive d’un discours qui sonnait comme un coup d’envoi. Mais un coup d’envoi de quoi ? En direction de qui ? Répondre à ces question serait vraissemblablement le signe manifeste d’un manque de sérieux. Puisqu’à ce moment là, nul autre que le Président de la République ne pouvait savoir avec exactitude le sens dénoté du contenu de cette entrée de discours.
La « première étape » pouvant être perçue comme le début du septennat, la question reste entière sur le sens de la « longue marche ». Si tant est que la borne temporelle de l’ « émergence » à travers le DSCE est connue : 2035. La « marche » serait-elle donc « longue » parce que 23 ans (ce qui paraît beaucoup) nous séparent de 2035, année d’émergence ? Ou alors parce que la densité et l’importance du travail en seraient les principaux traits caractériels
?
Personne ne pouvait imaginer que … Mais personne ne pouvait imaginer une chose : la longue marche vers l’émergence allait démarrer sur les « chapeaux de roues ». Notamment aux niveaux managérial et institutionnel. Mais personne, tout aussi, ne pouvait imaginer que l’opération épervier faisait partie des grandes réalisations et des grands chantiers. Pourtant, l’Homme avait promis : « autre ennemi sournois et redoutable, la corruption… j’ai dit à plusieurs reprises que nous continuerons sans relâche à combattre ce fléau ». (idem. P.174)
AU NOM DES PROMESSES FAITES
« Les promesses, en politique, n’engagent que ceux qui y croient », a-t-on l’habitude de répéter. Paul Biya a tellement promis des « choses » qu’il n’a pas réalisées, au point où les camerounais ont fini par croire qu’il n’était au fait de rien, qu’il avait les mains liées ou tout simplement, qu’il ne pouvait plus rien. Tellement du temps s’est écoulé entre les promesses et les actes.
Du temps des promesses au temps des actes
Beaucoup se souviendront que du temps s’est écoulé, entre la demande des « preuves » de corruption ou de détournements, que dénonçait déjà Garga Haman ADJI en 1989, alors Ministre de la Fonction Publique, de la Réforme Administrative et du Contrôle Supérieur de l’Etat, et le début des poursuites contres les présumés « détourneurs ». Les cas Mounchipou Seidou et Désiré ENGO, dans les années 1996 et 1997 sont tés éloquents. Mais ce n’était là res des actes sporadiques, qui clas- que d’ailleurs ces premières « vic- saient times » du « assez » de Biya, sous l’emprise de la « malchance » ou de la « poisse ».
Une autre longue période de latence va donc s’écouler, 10 ans notamment, pendant lesquelles l’ « homme lion » va s’atteler à une longue sensibilisation où il dénoncera les « bandits à col blanc », auxquels il commencera à promettre une lutte acharnée. Ce n’est qu’en 2006 que l’opération épervier, finalement formalisée, va démarrer. Ses plus grosses prises seront faites, dès le mois de mars 2008, avec Jean Marie Atangana Mebara, Urbain Olanguena Awono et Polycarpe Abah Abah. Elle s’accélèrera en 2009-2010 avec la prise de Nagamo Hamani, Jean Baptiste Nguini Effa, Mfor Njindam et Yves Michel Fotso.
La promesse de continuer la lutte, devait être renouvelée le 03 novembre 2011, lors de la prestation de serment : « je dois dire que les comportements individuels ne sont pas toujours en harmonie avec la solidarité qui devrait être la marque d’une société démocratique. Trop souvent, l’intérêt personnel prend le pas sur l’intérêt général… nous devons réagir avec un peu plus de fermeté contre ces comportements ».
LA FERMETE OU RIEN !
L’opération épervier est généralement allée en dents de scie. Beaucoup l’on taxée d’une chasse politique aux sorcières (souvenons nous des « apprentis sorciers »), ou encore, d’ « opération à tête chercheuse ». Mais rien ne lui a enlevé non seulement son caractère certain et inédit en Afrique noire, mais aussi et surtout sa fermeté qui, jusqu’aujourd’hui, n’a eu pour source et appui principal que la volonté et les actes du Président de la République dans ce sens.
La fermeté dans la qualification
Le Président de la République s’est attelé, depuis l’an 2000, à qualifier la corruption et ses pratiquants. L’on a donc successivement suivi de lui des termes comme : « bandits à col blanc », « délinquants », ou encore, s’agissant du mal lui-même : « gangrène », « fléau » ou « comportement délictueux ». Plus récemment, lors de son discours de campagne à Douala, le 06 octobre 2011, il déclarait : « la corruption est un crime et doit être traitée comme tel ». Ce jour là, il démontrait plus que jamais sa connaissance profonde de ce phénomène, son modus operandi, et son impact sur la société : « la corruption est non seulement un crime moral, mais aussi un crime économique. Car, elle ampute, dans de larges proportions, nos possibilités financières et nous prive de fonds nécessaires à nos réalisations par des détournements inacceptables … ». La fermeté dans le « combat » Une phrase à Douala a dû échapper aux camerounais dans l’adresse du Chef de l’Etat : « … Dans cette lutte, personne ne pourra plus jamais se prévaloir d’être au dessus de la loi » (Op. Cit. p.100). A qui donc le Président de la République adressaitil cette phrase codée ?
Des indices avaient déjà été donnés avec le « vomissement » du Ministre d’Etat, Ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation, Marafa Hamidou Yaya, par décret du 09 décembre 2011. Mais, personne ne pouvait s’imaginer que cet acte n’était qu’un « arbre qui cache la forêt ». Puisque, au-delà et entre les doutes de certains et les « osera-t-il » des autres, le Président a fait une prise le lundi 16 avril dernier, un chiffre pair d’un mois pair : Marafa Hamidou Yaya, Éphraïm Inoni, Assene Nkou. Autrement dit, un autre ancien Secrétaire général à la Présidence de la République, un ancien Premier Ministre (inédit), et un ancien député. Chacun peut procéder à une analyse et tirer les conclusions qui l’arrangent. Mais le Président de la République, à travers les titres, la qualité et les strates ou les milieux de provenance de ces personnalités, semble bien annoncer que l’opération épervier n’aura pas de frein. Elle ira partout « ou besoin sera ».
ET LA MESURE DANS LE « COMBAT» ?
Le Président Biya n’a-t-il donc pas ou plus d’ « amis » ou de « protégés » ? L’opération épervier n’a-t-elle donc pas de limites ?
Le Cameroun est un système
Le Cameroun est un système où l’ensemble des éléments qui y travaillent sont choisis, recrutés et employés par un « chef » de ce système qui est le Président Biya. A quoi cela a-t-il donc servi de laisser gangrener et pourrir aussi longtemps « son » système pour, aujourd’hui, le secouer, le démanteler et l’amputer, au point de faire courir le risque d’un déséquilibre institutionnel ?
Le casting a-t-il « toujours » été mal fait ?
La violence de l’opération épervier en 2012, laisse croire que le Président Paul Biya se serait trompé de manière constante dans ses choix depuis 29 ans. Marafa Hamidou Yaya, pour ne prendre que cet exemple, est un « pétard éteint » du putsch manqué du 06 avril 1984. Il a été repris par Biya en 1992, comme Secrétaire d’Etat, et depuis lors, il n’a plus jamais quitté le gouvernement qu’il a d’ailleurs continuellement arpenté, de manière ascendante, jusqu’au 09 décembre 2011. La confiance de « son » chef lui a même été renouvelée, à chaque fois, depuis sa rétrogradation du Secrétariat général à la Présidence de la République, d’où il aura été la « pièce maîtresse » du dossier d’achat du BB 2 JET, cet aéronef de tous ses « malheurs », dont il est aujourd’hui accusé de malversations financières. Après la gestion de ce dossier, et malgré des faits de prétoire, il est resté encore 09 ans durant Ministre d’Etat, MINATD. Comme Inoni Ephraïm qui, partant de Secrétaire Général Adjoint de la Présidence de la République, a même été promu Premier Ministre, en remplacement de Mafany Musongue en 2004.
Comment cela a-t-il donc pu se faire ? Apparemment le Président de la république les a tous « embrassés » pour mieux les « étouffer ».
Le rythme tient-il la mesure ? Y’a-t-il de la mesure dans le rythme que prend l’opération épervier ? Le système en place peut-il s’accommoder, longtemps et d’avantage, de l’absence de trop de maillons ? Trop de têtes et d’énergies fortes de l’establishment camerounais, rassemblées dans une même prison, ne mènerait–il pas à une implosion du système ? Peut-être même que c’est cette implosion que recherche le Président de la république, afin de refonder sonsystème. L’opération épervier ou l’opération de refonte et de refondation du « système » camerounais ?
L’opération épervier est donc un « grand chantier ». La « République exemplaire » ne prendra corps vraisemblablement qu’avec l’accélération de l’opération épervier. Cela semble être un message de Paul Biya. Il l’avait d’ailleurs annoncé : « la République exemplaire est une république de liberté, de tolérance et de civisme ». Nous retenons le mot « civisme ». Parce que, « détourner » ou plus trivialement « voler », selon l’entendement commun, ne semble pas « civique ».
Le Journal la Cité 109, 2012