Operation Epervier: Avocats rompus pour prévenus de luxe

YAOUNDE - 28 JUILLET 2010
© Michel Ange Nga | Repères

Les avocats des anciens barons de la République, en détention préventive ou condamnés, comptent parmi les plus réputés du barreau du Cameroun. Revue de la défense: ses choix, ses tactiques, ses profils.

Le banc des avocats lors des procès intentés aux anciens gestionnaires de fonds publics placés en détention préventive dans le cadre de l'opération Epervier est une véritable foire aux célébrités. Même si certains, à l'exemple de Me Nouga, avocat de l'ancien ministre de l'Economie et des finances, M. Polycarpe Abah Abah, veulent rester modestes. «Nous sommes de simples avocats comme tous les autres», laisse entendre ce dernier, qui compte bientôt un quart de siècle dans la pratique de cette profession. Un nombre d'années que revendiquent la plupart des avocats qui vendent leur service dans le cadre de cette opération d'assainissement des mœurs publiques baptisée «Epervier». Et même, certains comme Me Ebanga Ewodo, qui défend l'ancien ministre de la Santé publique, M. Urbain Olanguena Awono, compte plus de 25 ans de carrière. Cet ancien bâtonnier de l'Ordre des avocats est considéré à juste titre comme un doyen que beaucoup de jeunes regardent avec admiration et respect.

C'est le cas du jeune Me Zouango, de la dernière promotion encore en stage, celle de 2008, qui sait qu'il a encore beaucoup de chemin à faire avant de pouvoir, un jour, défendre un de ces apparatchiks du Rdpc poursuivi par la justice dans le cadre de l'opération Epervier. La vague de procès relatifs à l'opération Epervier n'étant pas à la portée des novices comme lui. «Les avocats qui défendent les anciens cadres du régime accusés de détournement de deniers publics ont la particularité de s'être fait un nom en gagnant des procès importants.» Cette explication de Me Zouango est partagée par un autre jeune avocat, Me Aboumou. Ce spécialiste des litiges de succession constate: «Les avocats des procès de l'opération Epervier sont des ainés bien connus dans la profession.» En plus d'une carrière riche en nombre d'années, on connait à ces robes noires un bagout et des victoires retentissantes enregistrées dans les prétoires. Et même des précédentes participations dans des procès dits majeurs.



L'OPERATION EPERVIER ATTIRE LA CREME DU BARREAU

C'est le cas de Me Pierre Fouletier, qui ne passe pas pour un inconnu dans le barreau du Cameroun. Ce doyen des prétoires a participé au procès fleuve des putschistes du 6 avril 1984. Il a en effet mis son expertise au service du capitaine Ibrahim Oumarou, ancien membre de la garde rapprochée du président Paul Biya. Il a la charge de défendre la nommée Mme Sylvie Chantal Evina, prévenue dans la même affaire de détournement de deniers publics qui emporte M. Polycarpe Abah Abah. Autre exemple, celui de Me Nouga (lui a participé au procès du génocide rwandais. Il défendait, à Kigali, M. Antoine Bizimana, l'ancien directeur du cabinet du Premier ministre rwandais, M. Jean Kabanda. On le retrouve aussi dans le procès des disparus de Bépanda à Douala. Dans ce dernier, il défendait le colonel Bobo Ousmanou, l'officier adjoint du Commandement opérationnel indexé pour la mort de onze jeunes garçons à Bépanda.

Un des avocats de M. Polycarpe Abah Abah indique pour sa part qu'une des particularités de ces procès est qu'ils sont un sacerdoce financier que peu peuvent supporter. «Nos clients ne payent pas nos honoraires», argue-t-il. Ce dernier voit mal un jeune avocat supporter ces longs procès sans bénéficier d'une rémunération adéquate. Me Richard Assamba, qui défend M. Urbain Olanguena Awono, et qui a, par le passé, participé à la défense de M. André Booto à Ngon, ancien président du Conseil d'administration du Crédit foncier, préfère nuancer. Pour payer les honoraires, les accusés de l'opération Epervier «se battent.» Cet avocat explique qu'ils n'ont pas toujours une surface financière importante après leur arrestation. Car une interpellation, dans ce cas d'espèce, est toujours accompagnée d'une réquisition envoyée aux banques par les services de la police dans le but de bloquer tous les comptes appartenant aux accusés. De même, tous les biens connus sont scellés et placés sous main de justice. Les accusés en détention préventive sollicitent l'appui des amis et des parents pour les aider à payer leurs honoraires. Dans le cas contraire, ils s'en remettent à l'Etat qui est tenu de commettre un avocat d'office. C'est ce qu'a fait M. Joseph Edou, l'ancien directeur général du Crédit foncier du Cameroun. Coaccusé dans le procès de détournement de 6 milliards de F CFA intenté à M. Polycarpe Abah Abah, il s'est dit indigent pour s'offrir les services d'un avocat. C'est Me Pierre Fouletier qui a été désigné par le tribunal pour assurer sa défense, aux frais du contribuable, comme le prévoit la loi en vigueur.


LES PRESSIONS DU POUVOIR SONT MONNAIE COURANTE

Les conditions de travail de ces avocats de l'opération Epervier ne sont pas toujours faciles. En plus de leurs honoraires collectés de toutes parts, quand ils sont payés, ils font face à d'autres difficultés que beaucoup révèlent sous anonymat. À commencer par les pressions du pouvoir. «Les coups de fil anonymes, les menaces contenues dans des lettres anonymes sont monnaie courante», explique un de ces avocats. Il continue: «Il est arrivé que quelqu'un m'appelle et me dise, le ton menaçant: «vous autres avocats ne vous croyez pas intouchables.»» Le rouleau compresseur de l'Etat, selon un autre avocat, va plus loin. Il fait mention de plusieurs factures que l'Etat refuse de payer, sans réelle explication.

Me Richard Assamba explique pour sa part que souvent «ce sont les ainés qui vous expliquent que vos plaidoiries ne sont pas appréciées «plus haut».» Et certains avouent qu'il leur est même devenu difficile de constituer certains dossiers administratifs. Des conséquences incommodantes de leur implication dans ces procès jugés «politiques» par certains. Et cette politisation va jusqu'à gripper les conditions de travail des avocats. À commencer par les visites de travail rendues à leurs clients en prison. La loi en vigueur donne le loisir aux avocats de rencontrer leurs clients, tous les jours, de 6 heures à 18 heures. Bémol, il arrive quelquefois que l'administration pénitentiaire empêche ces visites. Mais jusqu'ici, ces dysfonctionnements restent un épiphénomène que certains avocats craignent malheureusement de voir grandir avec le temps.

Dans les prétoires, ces avocats sont obligés d'organiser leur défense essentiellement avec les seuls documents utilisés par les juges d'instruction.

Leurs clients n'étant plus aux affaires, ils n'ont pas la facilité de se procurer certains documents à décharge. Surtout que certains chefs d'accusation remontent à plusieurs années. C'est le cas du détournement des médicaments, l'un des chefs d'accusation auquel doit répondre M. Urbain Olanguena Awono, d'une valeur de 7 milliards de F CFA à la Centrale nationale d'approvisionnement en médicaments essentiels (Cename), qui remonte à plus de cinq ans. Dans ce cas, rassembler les documents capables de dédouaner les accusés relève de la gageure.


CE QUI ATTIRE CES AVOCATS

Les avocats de l'opération Epervier indexent aussi «l'impartialité» du tribunal qui les empêche souvent de mener à bien leur défense. Ils sont tout le temps interrompus par les juges qui, en plus, accordent des faveurs au parquet, au point de créer souvent des remue-ménages du côté du banc des avocats. Une fois dans le procès intenté à l'ancien ministre de la Santé publique, M. Urbain Olanguena Awono et à six autres coaccusés, c'est le bâtonnier de l'Ordre des avocats en personne, Me Etah Bessong, qui a usé de son influence pour remettre de l'ordre au milieu de ses collègues. Le bâtonnier dans cette affaire défend Mme Rose Chia. Lors de la dernière audience de ce procès, c'est l'ancien bâtonnier, Me Ebanga Ewodo, qui sort de ses gongs et signifie, tout énervé, aux trois juges de le laisser mener à bien sa défense, sans être interrompu tout le temps.

De quoi se demander ce qui les attire dans ces procès au vu de toutes ces difficultés auxquelles ils font face. Ils sont nombreux dans les milieux de la justice qui croient que la réponse est liée à la médiatisation de ces procès. «L'opération Epervier est pour nous une forme de publicité», fait savoir Me Richard Assamba. La preuve: à chaque fois qu'un ancien baron du régime est arrêté dans le cadre de ce procès, il pense d'instinct à ceux qui défendent déjà les précédents accusés de ces procès criminels, assure un autre avocat. D'une manière générale, la médiatisation de ces procès profite à ces avocats. C'est une tribune qui leur sert à appâter des clients fortunés. Certains pourtant, récusent cette idée et proclament la grandeur de leur cause. «Je me suis engagé dans ce procès pour faire triompher la justice dans notre pays», déclare à cet effet Me Nouga.


30/07/2010
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