Dans
un câble posté en octobre 2007, les diplomates américains étaient
troublés par le rôle de l'expert comptable et la destination des fonds
qui lui étaient attribués.
Quelle somme d'argent le Cameroun a-t-il dépensée dans le cadre de l'opération Epervier ? S'il est difficile de donner une réponse à cette question, un câble de l'ambassade américaine, publié par Wikileaks, permet au moins de savoir que des millions de F.Cfa ont été sortis par centaines, sans que leur destination soit très claire. Francis Dooh Collins, qui avait été choisi par Amadou Ali comme l'expert camerounais pour enquêter sur l'argent détourné et planquées à l'étranger, aurait avoué avoir reçu un million de dollars (environ 500 millions de F.Cfa pour sa mission).
Pour quoi faire ? En réponse à cette question, Francis Dooh Collins aurait déclaré au chargé des affaires politiques de l'ambassade que l'argent servait à s'assurer la coopération de certains gouvernements occidentaux. L'expert camerounais précisait d'ailleurs, lors d'un entretien, le 10 octobre 2007, qu'Amadou Ali allait demander 600 000 dollars (environ 300 millions de F.Cfa) de plus à Paul Biya dès son retour de Genève.
Cette fois-ci, il soutenait que l'argent servirait à payer un avocat luxembourgeois et d'autres partenaires qui participaient à l'enquête. Dans les commentaires qui figurent dans ce câble de Wikileaks en date du 15 octobre 2007, l'auteur est particulièrement intrigué par la destination attribuée par Dooh Collins à l'argent dépensé par le gouvernement camerounais (près de 800 millions de F.Cfa). Ce d'autant plus que ces allégations ont été démenties, pour ce qui concerne les Etats-Unis, par le département de la sécurité intérieure à Washington, saisi par l'ambassade de Yaoundé.
Bien plus, c'est la personnalité même de Dooh Collins qui trouble les diplomates américains. Ce câble du 15 octobre 2007 est d'ailleurs intitulé : « Cameroon Corruption Investigations: Who Is Dooh Collins? » Amadou Ali aurait justifié le choix de cet expert comptable par le fait qu'il est issu d'une famille réputée. Lui-même, d'après le document confidentiel publié par Wikileaks, indique qu'il a passé une grande partie de sa vie en France, où il a notamment travaillé pour les services secrets. Mais que ceux-ci s'opposent à l'enquête qu'il mène, car elle pourrait éclabousser certaines personnalités françaises.
Toujours d'après le câble diplomatique américain, Dooh Collins a déclaré que les services secrets français ont « cambriolé le bureau de Biya et emporté la liste « des suspects » pour ensuite la livrer à la presse afin de discréditer l'enquête. » Pour de ce qui est de son rapport à la politique camerounaise, Dooh Collins prétend avoir présenté à Paul Biya ses idées sur une meilleure gestion de certains secteurs, et a également envisagé avec les Américains la succession de Paul Biya, qui, d'après lui, avait jeté son dévolu sur Amadou Ali.
La lecture de ce câble, cinq ans après, et alors que d'autres personnalités (dont Inoni Ephraim que Dooh Collins citait déjà) ont été interpellées entretemps, suscite quelques interrogations. Les Américains avaient-ils des raisons particulières de se méfier de Dooh Collins ? Envisageaient-ils une collusion entre lui et Amadou Ali qui supervisait l'opération ? Qu'est devenue la mission confiée à Dooh Collins ? Qu'at- elle rapporté et à quoi a véritablement servi l'argent débloqué?
A la fin du câble, les responsables de l'ambassade des Etats-Unis indiquaient qu'ils proposeraient à Amadou Ali « de mettre en place bientôt une structure formelle chargée des présentes et d'autres requêtes semblables du gouvernement camerounais, ce qui pourrait aussi contribuer à réduire le facteur d'improbabilité lié au rôle énigmatique de Dooh Collins ».