Nouvelle géopolitique camerounaise: Les luttes pour la succession se déportent au Sénat

Yaoundé, 19 Mars 2013
© Max Mpandjo | L'Indépendant

En attendant la publication des listes définitives des candidats aux sénatoriales par Elecam, la fièvre électorale qui semblait s'emparer des états-majors des partis politiques et particulièrement du Rdpc, est retombée. Le Président national du parti au pouvoir a procédé à une véritable chirurgie sans anesthésie. Des barons du Rdpc ont été recalés à l'instar de Cavaye, Sali Daïrou... Quelques jeunes loups aux dents longues aussi: Ateba Eyene, Messanga Nyamdi, Amougou Belinga, Bekolo Mbang... L'ouverture du contentieux post électoral promet des révélations croustillantes dans le Littoral. La configuration du prochain Sénat révèle une volonté présidentielle de demeurer le seul maître du jeu.


1-Rdpc: Controverse autour des investitures

Le caractère inédit du Sénat dans l'architecture institutionnelle camerounaise, suffit-il seul à justifier l'engouement de tous les barons du régime à postuler un siège à la Chambre haute? Des Députés aux anciens Ministres, en passant par des ex Dg de sociétés, tous n'ont pas freiné leurs ambitions. Et il aura fallu au Président national une bonne dose de cynisme, pour mettre les points sur les i.


Est

Quelques constantes transparaissent en parcourant en diagonale les investitures du Rdpc dans les 10 Régions du Cameroun. Une fois n'est pas coutume, commençons par la Région de l'Est: René Ze Nguele est écarté! Ce patriarche paye certainement sa bravade lors du dernier congrès ordinaire du Rdpc où il a défié le Président national. Paul Biya aurait-il la rancune tenace? Cela se murmure dans certains salons huppés de la République.

Personne ne comprendrait que ce pilier de la scène anthropologique de l'Est depuis les départs de Philémon Adjibolo et Sabal Lecko, ne siège pas au prochain Sénat. Paul Biya voudrait certainement faire preuve de hauteur en le nommant au Sénat, le confinant ainsi dans la posture d'un homme qui lui est redevable. Charles Sale, la tête de liste de l'Est a été au centre de toutes les controverses au sujet de son parcours académique douteux. Mais passons!

Si on peut se féliciter le retour d'un certain Benjamin Amama Amama qui jouit d'une grande côte de popularité auprès de ses concitoyens, et même de Badel Ndanga Ndinga dans une moindre mesure, les équilibres aristocratiques ont été exploités à fond. Plus qu'à une logique de genre et de parité, la consécration d'IsabelleTokpanou et la veuve Moampea Marie Claire, montre bien que dans le Sérail, on prend les mêmes et on recommence.


Centre

La plus grosse surprise vient de la tête de liste du Centre. En dehors de leurs cartes visites d'ancien Ministre et d'ex Dgsn, Sylvestre Naah Ondoua et Bell Luc René sont loin d'être des bêtes politiques, contrairement à un Anong Adibime dans le Mbam et Inoubi. Le Mbam et Kim est également représenté avec madame Okala Bile Nicole, fille de son père, Maire de Mbangbassina, et transfuge de l'Undp. La plus grosse déception vient d'Emmanuel Nnemde. Bien que jeune, il n'a pas 50 ans, cet ancien Député et actuellement Maire de Dieng (dans le Nyong et So'o) est un de ces personnages au parcours pour le moins nébuleux. Ancien marabout qui aurait guéri un proche-parent de la famille présidentielle, homme d'affaires qui a fait faillite, il s'est fabriqué un CV pompeux avec des titres académiques loin de son véritable niveau intellectuel. C'est le prototype de ces générations spontanées de politiciens de pacotille. Même si son activisme plaide pour lui.


Sud

En attendant de connaître ses 3 Sénateurs nommés par le Président de la République, le Sud confirme la montée en puissance d'une femme à la fois Présidente de la section Rdpc de la Mvila, membre du Bureau politique, et aujourd'hui véritable plaque tournante depuis l'éviction des Pierre Désiré Engo, Ondong Ndong et autres. Paul Biya a fermé la porte provisoirement à Michel Meva'a Mboutou, Jean Jacques Ndoudoumou, épinglés par l'actualité récente autour des scandales financiers. Que dire de Charles Ateba Eyene? Certainement un jeune un peu trop gênant. Pour le reste, on note une volonté de renouvellement de la classe politique dans le Sud.


Littoral, Ouest Nord-Ouest, Sud-Ouest, Grand-Nord

Le Littoral consacre carrément tous les vieux routiers de la politique. L'Ouest ressuscite le Ministre Ngoubeyou comme tête de liste, et fait la part belle à deux chefs traditionnels (S.M. Djomo Honoré et S.M. Pokam Max). Dans le Nord Ouest, on annonce une bataille épique et fratricide entre Achidi Achu et Ni John Fru Ndi. Dans le Grand-Nord, le Rdpc a fait un savant dosage entre élus locaux, hauts fonctionnaires et politiciens de base. Échaudés par l'affaire Inoni Ephraïm, les chefs traditionnels du Sud-Ouest pourraient peser de tout leur poids pour un vote-sanction contre le Rdpc.


2-Un refuge de has been?

De manière générale, les listes du Rdpc démontrent une volonté de recaser quelques has been. On y retrouve pêle-mêle anciens Ministres, anciens gouverneurs, ex Sg de ministères, bref, des hauts fonctionnaires à la retraite. Comme si le Président national avait voulu leur donner une bouffée d'oxygène. Mais plus sérieusement, ce constat est symptomatique du concubinage savamment entretenu entre le Rdpc et la haute administration. C'est cette dernière qui verrouille toute volonté d'alternance depuis la préfectorale à tout autre jeune fonctionnaire en mal de reconnaissance et de promotion. Comment donc s'étonner qu'en période électorale, l'armée, la police, le trésor public, la préfectorale, les Ministres et autres Dg de sociétés se comportent comme des instruments acquis à la cause du parti au pouvoir?


3- Les chances de l'opposition

Contrairement à une idée reçue, les sénatoriales sont loin d'être l'affrontement des idéologies politiques. C'est ici que se joue tout le capital d'estime dont jouissent les candidats. Le fait même que le collège électoral soit connu, induit plus de vigilance face à des élus qui vont être au fait du destin des collectivités territoriales décentralisées. Au-delà des conflits de chapelle politique, il faut donc des hommes intègres attachés au développement local et dont les œuvres parlent d'elles mêmes. Il y a de fait, une part d'affection dans l'élection des Sénateurs. C'est en cela que l'opposition conserve toutes ses chances. On pourrait avoir une belle percée des candidats Undp, Mdr, Andp, Fnsc dans les Régions septentrionales du Cameroun. Et ce n'est pas fortuit que la tête de liste du L'Undp dans le Nord, ne soit rien moins que l'épouse de Mohamadou Ahidjo, le fils de l'autre. Lorsqu'on mesure tout l'attachement affectif que continue de charrier ce nom dans cette Région, quelques belles surprises ne sont pas à exclure.

Le péché de L'Upc est de se présenter à ces sénatoriales avec 3 factions. Ce parti, au regard de son patrimoine historique, a maintenu au travers des âges, des foyers de sympathisants simplement contrariés par ses dissensions internes. Moins divisé, ce parti aurait pu faire mouche dans le Littoral et au Centre. L'Udc d'Adamou Ndam Njoya conserve toutes ses chances de contraindre le Rdpc à des proportionnelles à l'Ouest. La plus grosse confrontation sera certainement dans le Nord-Ouest où deux frères ennemis se retrouvent: Simon Achidi Achu du Rdpc et Ni John Fru Ndi du Sdf. Bien malin qui peut prédire le vainqueur de ce duel.


4- Nouvelle géopolitique

La géopolitique camerounaise a souvent été structurée par des règles non écrites. Des équilibres sociologiques et arithmétiques sur lesquels les pouvoirs successifs se sont appuyés pour asseoir leur règne. Depuis les années 90, cette logique de calculs clientélistes et tribaux s'est exacerbée au travers d'un triangle équilatéral entre le Grand-Nord, le Centre-Sud et les Régions anglophones: un Président de la République du Centre-Sud, un Premier Ministre du Nord-Ouest ou du Sud-Ouest et un Président de l'Assemblée nationale originaire du Grand-Nord. La mise sur pied du Sénat vient donc bousculer cette géopolitique. Seconde personnalité au plan protocolaire, le Président du Sénat n'en demeure pas moins le dépositaire légataire du destin du Cameroun en cas de vacance de pouvoir.11 assure l'intérim du Président de la République. Et bien qu'il ne soit pas candidat, il organise l'élection présidentielle. C'est donc un pilier essentiel pour le contrôle du pouvoir qui se profile déjà. Pour conforter sa neutralité, ne serait-il pas indiqué qu'il ne soit pas originaire de ce triangle équilatéral qui gère le Cameroun depuis plusieurs décennies?

Bien plus, et ce n'est pas faire injure à nos Députés, de dire qu'il y a eu comme une méconnaissance du travail parlementaire de leur part. Bon nombre se sont bousculés au portillon du Sénat comme pour minauder l'Assemblée nationale.

Si aux Usa par exemple, le Sénat ratifie les traités internationaux et entérine la nomination des Ambassadeurs et autres Ministres, le Sénat camerounais n'a pas les même pouvoirs. C'est une Chambre législative comme l'Assemblée nationale. Elle sert simplement à tempérer un déchaînement de passions auxquelles pourraient se laisser aller les Députés, en relisant en seconde instance les projets de loi pour y apporter quelques amendements. C'est une Chambre de sages qui modère et tempère le jeu politique avec un peu plus de recul.


5- Manœuvres politiciennes

Le modèle camerounais est un modèle hybride: 70 Sénateurs sont élus, et 30 sont nommés par le Chef de l'Etat. Un attelage qui peut paraître curieux. Si on se réfère au modèle américain, le fait même que certains Sénateurs soient nommés à vie, conforte leur indépendance vis-à-vis de l'exécutif. Ce n'est pas le cas au Cameroun où les 30 Sénateurs nommés seront des fabrications du Chef de l'Etat auquel ils devront allégeance et reconnaissance. Et là ne s'arrête pas l'incongruité. Il est bien difficile de distinguer le Président de la République du Président national du Rdpc. Cette confusion s'est encore observée avec les investitures du parti au pouvoir. Convoqué au palais de l'Unité, le Bureau politique a siégé pour la forme. Mais la décision finale est revenue au mandarin des mandarins. Les listes du Rdpc ont donc répondu à une logique de cooptation et de consécration des barons politiquement corrects. Le prochain Sénat perd donc au plan strictement méritoire, toute son envergure. A défaut d'être une Chambre d'enregistrement comme l'Assemblée nationale, il court le risque d'être un concentré des affidés et sbires du Président de la République. Un homme providentiel pourrait néanmoins surgir. Si l'Assemblée nationale a eu au perchoir de 1992, Cavaye Yeguié Djibril, c'est par la volonté du Chef de l'Etat qui a refusé de prendre tout risque. Mais le Sénat, et au regard des enjeux actuels, pour la succession, sera au centre de l'actualité. Que le Sénat participe à la nomination du Président du Conseil Constitutionnel, n'en rajoute qu'au suspense. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'avec sa mise sur pied, la Chambre haute ouvre déjà les luttes de positionnement pour l'après-Biya. Mais il ne faut guère enterrer trop vite l'homme lion. Par son sens achevé de la manœuvre, il n'a pas dit son dernier mot.



19/03/2013
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