Il y a quelques mois, un rapport d’un organisme australien «Atrocity forecasting project» annonçait que le Kamerun se trouverait dans une zone de turbulence avec possibilité de risque de génocide(1). Aujourd’hui, c’est International crisis group qui lance à Paul Biya, comme un ultimatum, de ne pas se présenter à la présidentielle de 2018, sous peine de poursuites judiciaires (2). Et au moment où, la bataille contre les djihadistes de Boko Haram commence à prendre forme sous l’aspect de nos victoires militaires sur un ennemi étranger, anti laïque et criminel, certaines voix s’élèvent au Kamerun et à l’étranger, pour nous apprendre sans preuves à l’appui que : l’ennemi ne serait plus Boko Haram, mais une rébellion armée soutenue par des « élites » au Nord-Kamerun, contre le pouvoir totalitaire et pillard du Rdpc. Malgré tout, qui peuvent donc être ces « rebelles » Kamerunais dans le grand Nord ?
La menace terroriste djihadiste est devenue une réalité mondiale et africaine. Boko Haram étant une ramification de cette menace, « notre pays fait face à de nouveaux défis. A ce titre, il a besoin d’une union sacrée pour enrayer cette spirale dangereuse qui menace l’intégrité du territoire, la région de l’Extrême-Nord et la sécurité de cette partie de la Cemac. » (3). A cela, dernièrement, Cameroon Tribune titrait opportunément : « Guerre contre Boko Haram : Tous derrière nos soldats. » (4).
Cela étant, ni l’ « Appel de la Lékié » ni la réponse de M. Cavaye Yeguié Djibril, les deux se proclamant à tort représentants de ceci ou de cela, ne pourront jamais amener les patriotes Kamerunais à perdre de vue les vrais enjeux de la nature des attaques de Boko Haram. Encore moins la réaction de l’ambassade de la France au Kamerun, au vu des multiples enjeux géostratégiques, d’aujourd’hui. Ce qui n’exclut en rien, que certaines multinationales ou Etats étrangers puissent penser à instrumentaliser cette funeste réalité.
Néanmoins, la récurrence de certaines analyses politiques plaçant notre pays, probablement dans l’œil du cyclone – risque de génocide-, parfois sous la menace d’une rébellion interne, surtout celle des Kamerunais du grand Nord, nous amènerait à formuler quelques précisions. D’abord, le Kamerun est une Nation, au-delà de tout. C’est précisément le dictateur sanglant Ahmadou Ahidjo qui nous abusait en présentant les Citoyens du Nord-Kamerun comme un groupe à part ou spécifique.
Du Nord, au Sud, à l’Est, comme l’Ouest, le Kamerun vit réellement dans sa diversité et ses disparités. Partout au Kamerun, au-delà des mystifications, aucune homogénéité socio politique n’est réelle ni tangible. En dehors de la répression socio politique et la corruption, dans toutes nos ethnies et régions vivent sensiblement, une majorité qui souffre des affres de la précarité et une minorité dans laquelle se retrouvent les apparatchiks du régime dictatorial et pillard de Paul Biya et ses affidés et d’autre part, ceux qui, d’une façon ou d’une autre, s’en sortent.
Avec le « renouveau » apparaît le terme : grand-Nord. Ce concept relève également de la même manipulation mystificatrice car des ethnies diverses vivent dans cette aire géographique, où les classes sociales et des groupes d’intérêts sont multiples, se croisent ou s’affrontent.
QUI SERAIT LA REBELLION DANS LE NORD-KAMERUN ?
Nous notons que c’est avec M. Cavaye Yeguié Djibril qu’apparaît le terme « les complices Kamerunais de Boko Haram ». Plusieurs paramètres tendraient, cependant, à accréditer l’idée selon laquelle, il serait difficile à tout groupe armé même dans le cadre d’une guerre asymétrique, de mieux atteindre ses cibles dans notre territoire, sans une bonne connaissance des localités et parfois le bénéfice d’une complicité interne.
Et nous n’ignorons point la proximité ethnique de part et d’autre de la frontière Kameruno-nigériane. Mais, l’activisme religieux à outrance des djihadistes et la manipulation de fortes sommes d’argent, peuvent, aussi, trouver un terreau fertile dans un espace de précarité sociale. Néanmoins, ceux de nos compatriotes qui succomberont aux avances des djihadistes, ne peuvent constituer qu’un élément marginal.
Par contre, nous savons très bien que dans le Nord-Kamerun, plusieurs groupes d’intérêts et personnalités subsistent et peuvent, à fortiori, couver une dimension déstabilisatrice interne sociale ou politique :
- Tout d’abord, une certaine classe politico bourgeoise peuhle, réactionnaire et néocoloniale, restée attachée au prétendu accord néocolonial de partage de pouvoir entre le Sud et le Nord qui, attendant son tour d’accéder à la mangeoire, voit non seulement le temps s’étirer et même se dissiper avec les arrestations de plusieurs de leurs élites.
- Ensuite, les marginales autorités traditionnelles soupçonnées et parfois prises la main dans le sac, à travailler activement avec les coupeurs de route, et dont la militarisation à outrance de la zone d’activité semble avoir perturbé les anciens trafics.
- Et enfin, une radicalisation de quelques compatriotes musulmans, émules des djihadistes.
La tentation est forte de ne point aligner Guérandi Mbara, au-delà de son savoir-faire militaire, dans ce listing, car ce dernier, normalement, ne serait plus aujourd’hui, le soldat de l’ex Garde républicaine, mais un homme politique Kamerunais et panafricaniste. Même si la scène politique nationale demeure un espace complexe.
Ainsi, même la prétendue « rébellion armée » du Nord pourrait bien n’être que la manifestation d’un mouvement réactionnaire et néocolonial ou du grand banditisme. Seule une vraie démocratisation du Kamerun nous permettant d’exercer librement des luttes socio politiques ou une armée soutenue entièrement par le peuple peuvent nous épargner ces visées réactionnaires et néo coloniales ou ces forfaitures.
A QUI PROFITERAIT LA PROPAGATION DE CES AFFIRMATIONS ENCORE A PROUVER ?
Nous souhaitons nous attarder sur la signification et les conséquences sur notre scène politique de ces affirmations propagées par des acteurs politiques autochtones. Nous sommes surpris d’entendre, certains leaders et personnalités politiques d’opposition soutenir que cette « rébellion armée » serait l’œuvre de la France pour déloger Paul Biya, qui serait le meilleur défenseur des intérêts du Kamerun (face à l’impérialisme) que d’autres pions du néo colonialisme. Certes, des luttes féroces de succession ouvertes ou latentes tenaillent le Rdpc. Que la France qui est le parrain de tous ces pions néo coloniaux (y compris Paul Biya), veuille choisir un autre pion de sa préférence, cela ne serait nuisible aux vrais patriotes que si ceux-ci s’avéraient incapables d’orienter différemment le processus d’accession au pouvoir politique d’Etat. Par ailleurs, même dans cette incapacité probable de l’opposition politique, le départ de Paul Biya, sous quelque forme que ce soit, en dehors d’une prise de pouvoir politique d’Etat par les forces de défense, ne pourra jamais faire reculer le processus de démocratisation, grippé par Paul Biya.
Alors d’où proviendraient ces allégations sans preuves formelles et à quel service seraient leurs auteurs ?
Il n’est pas exclu que dans cette probable période crépusculaire du régime néocolonial et pillard du Rdpc, que le « Père » voulant jouer à l’apprenti sorcier, ne tire les ficelles dans cette effervescence pernicieuse, afin de pouvoir sensiblement détecter les derniers embusqués dans sa clique contre son régime et sûrement le voir perdurer. Et, peut être, en accord complexe avec des officines étrangères !
Pour les affidés de Paul Biya, ils demeurent, naturellement, dans leur jeu politique lugubre.
Cette opposition politique, qui s’y mêle aussi dans cette chorégraphie ubuesque serait celle qui a tant pioché hier pour un Kamerun Nouveau, se lassant par la longueur du chemin restant à parcourir et également, le fardeau à porter, préfère bêcher nuitamment ailleurs. On ne sait jamais !
Certes, le chemin de la Révolution est parfois long et harassant et la charge, quelquefois, lourde ! Mais le peuple ne sera pas dupe.
En attendant des confirmations, ces allégations perturbent nos soldats au front. A telle enseigne qu’un journal de la place relayant une source de notre défense disait : « Ces hommes politiques à Yaoundé et à Douala, qui parlent de rébellion, sont pour nous de vrais dangers ici. Nous disons à nos soldats que l’ennemi vient du Nigéria et qu’il faut à tout prix garder étanche notre frontière. Eux, ils disent que l’ennemi est camerounais et est dans leur dos. Cela crée des suspicions des soldats vis-à-vis des chefs. Ils vont finir par nous croire peu crédibles nous aussi. » (5) ? En fin de compte, le climat socio politique devient malsain.
Par contre nous sommes d’avis avec Sosthène Médard Lipot que : « Du nord au sud, de l’est à l’ouest, si complot il y avait, ce serait plutôt celui de la mal gouvernance contre le peuple souverain. La cherté de la vie sur toute l’étendue du territoire, le pouvoir d’achat réduit comme peau de chagrin depuis 30 ans, le chômage endémique qui nourrit une misère galopante, le clientélisme ambiant, l’incapacité du régime à organiser des élections claires et transparentes et la corruption érigée en système de gouvernement, (…). Ces maux constituent un ensemble de détonateurs de la contestation d’un Etat de droit. Le régime doit prendre ses responsabilités, (…). Les Camerounais sont de nature pacifique, ce qui n’est pas le cas de la mal gouvernance qui est, de nature, belliqueuse. Changeons d’avenir dans la paix ! » (6).
1- Joseph Olinga N., Charles Ngah Nforgan : « Il s’agit d’un complot contre le Cameroun ». Le Messager du Mercredi 23 avril 2014. P, 3..
2 Jean Simon Ongola Omgba, « Vaincre Boko Haram : Relever le défi de la division. » Le jour n° 1759 du jeudi 04 septembre 2014, p, 6
3- Cameroon Tribune, mercredi 03 septembre 2014, p, 1
4- Aziz Salatou, L’ennemi est nigérian. Le jour n° 1759 du jeudi 04 novembre 2014, p, 4 6- Jules Romuald Nkonlak, Sosthène Médard Lipot, « Pas de complot nordiste ». Le jour n° 1258 du mercredi 03 septembre 2014, p, 4