Non à la caporalisation de la presse camerounaise !
FOCUS SUR L'ACTUALITÉ
Non à la caporalisation de la presse camerounaise ! (La Nouvelle Expression 25/08/2011)
L’approche de l’élection présidentielle en octobre prochain est indubitablement un moment de grosses incertitudes et de doutes pour le régime au pouvoir à Yaoundé. Incertitudes et doutes, pas forcément parce que des apparatchiks du régime
craindraient une alternance à la tête du pays, le contexte sociopolitique, économique et culturel plaidant plutôt pour une reconduction du candidat du parti au pouvoir, qu’il soit Paul Biya le président sortant, ou quelqu’un d’autre. Aussi curieux que cela puisse paraître, ces moments de doutes et d’incertitudes découleraient plutôt de la presse. Oui, cette presse courageuse, mais aussi professionnelle, qui, en l’absence d’une véritable opposition politique, se présente malgré elle, comme l’unique contre-pouvoir d’un régime finalement mi-démocratique et mi-autocratique. Une presse dont l’action permet aux Camerounais de gagner des espaces supplémentaires de liberté et dont une certaine opiniâtreté contribue à l’édification et à la consolidation de la démocratie.
L’analyse des faits et gestes du pouvoir, ou tout au moins, des atermoiements de certains thuriféraires du régime RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais), permet de constater que la presse est dans le collimateur des gouvernants. Lorsqu’on se montre critique vis-à-vis du pouvoir, l’on est généralement taxé d’être à la solde des « ennemis de la République », comme si le meilleur moyen de rendre service aux Camerounais était d’applaudir des deux mains, tout ce qui est entrepris par le pouvoir, y compris ses errements.
Certains au sein du régime considèrent toute critique envers le pouvoir comme une volonté de déstabiliser le pays, une manière de pousser « précipitamment » Paul Biya vers la sortie, alors qu’on n’a pas souvenance que ceux qui incarnent le pouvoir suprême aient une seule fois, déclaré publiquement leur infaillibilité. S’il serait hasardeux de parler d’une planification visant le musellement de la presse camerounaise, en tout cas, cette presse qui, par professionnalisme, refuse d’être la caisse de résonnance du parti-Etat, de fiables indices permettent d’affirmer cependant qu’une épée de Damoclès pèse sur la presse privée au Cameroun. L’on en veut pour preuve, la dernière actualité en la matière qui tente maladroitement de mettre les médias sous éteignoir, mais une actualité, qui est quasiment passée inaperçue dans la presse locale, alors qu’il s’agit en réalité de son devenir.
Le gouvernement pris dans son propre piège
Dans un communiqué publié lundi par le quotidien gouvernemental Cameroon-Tribune, il est mentionné que « le Premier ministre chef du gouvernement a présidé le 18 août 2011 dans son cabinet, une importante concertation consacrée à la campagne d’assainissement des mœurs et de protection de la fortune publique actuellement… Au terme de cette concertation, le gouvernement fait la mise au point suivante à l’attention de l’opinion nationale et internationale…
Le gouvernement déplore la dénaturation des faits par certains médias de l’opération d’assainissement de la gestion publique et appelle par conséquent à plus de mesure et de responsabilité dans le traitement de l’information en général et celle ayant plus spécifiquement trait aux procédures pendantes devant les juridictions… ». Curieuse belle leçon de journalisme et de patriotisme, si le gouvernement ne feignait pas d’oublier qu’une demi-douzaine d’années après le lancement de « l’Opération épervier », tout va dans tous les sens, parce qu’il n’a jamais cru utile de communiquer sur le sujet, et donner sa part de vérités aux Camerounais qui méritent du reste de connaître la vérité.
Pourtant, il n’est pas jusqu’aux députés de l’Assemblée nationale, aux formations politiques à l’instar du parti-leader de l’opposition parlementaire, le Social democratic front (SDF) ou du parti nationaliste, l’Union des populations du Cameroun (UPC), ou encore, des autorités morales de la trempe de l’archevêque émérite de Douala, le cardinal Christian Tumi qui aient publiquement interpellé les gouvernants sur la nécessité de communiquer sur cette opération, afin d’éviter une éventuelle désinformation.
L’assainissement de la profession.
Toute démarche entreprise auprès des autorités visant à accéder à « l’information officielle » sur le déroulement de « l’Opération épervier » est vouée à l’échec. Dans ce contexte, peut-on valablement reprocher à la presse de vouloir user de sa posture professionnelle pour « creuser, interroger, enquêter » pour mieux comprendre ce qui se passe afin de mieux informer son public? Encore qu’il faut toujours raison garder, faire une démarcation entre une « information officielle », dont pas forcément juste et fondée, surtout celle donnée dans de telles conditions par un gouvernement, et une information révélée par la presse découlant d’une rigoureuse démarche professionnelle.
Sans que cela puisse paraître comme une injure, aux jérémiades du gouvernement, l’on pourrait rétorquer aux gouvernants qu’à l’image du peuple qui n’a que le gouvernement qu’il mérite, le Cameroun, pour ne pas dire le gouvernement camerounais n’a que les médias qu’il mérite. En d’autres termes, si les dirigeants œuvraient pour l’amélioration des conditions de travail des journalistes, sans doute, il y aurait moins de dérapages comme on peut du reste, le constater en lisant, en écoutant ou en regardant certains médias. Des manquements professionnels qui sont dénoncés par la corporation, et c’est l’objectif poursuivi par des associations de journalistes à l’instar de l’Observatoire camerounais de la déontologie et de l’éthique dans les médias (OCADEM). Au regard de « la mise en garde » musclée du gouvernement, il n’est pas exagéré de dire que la presse pourrait faire les frais des dégâts collatéraux de « l’Opération épervier ».
Toutefois, là où les défenseurs d’une presse professionnelle, crédible et responsable ne sauraient accepter la pernicieuse démarche gouvernementale, c’est le passage visant la caporalisation de la presse camerounaise. Et c’est pourquoi, nous appelons les dirigeants à favoriser l’émergence de véritables entreprises de presse, au lieu de s’appuyer justement sur des « mercenaires de la plume et du micro », qui, pour une raison ou pour une autre, se détournent souvent contre leurs maîtres, n’hésitant pas à les mordre comme des chiens enragés.
Voilà pourquoi le gouvernement devrait se montrer moins menaçant à l’égard des journalistes lorsqu’il « rappelle par ailleurs que les chroniqueurs auteurs de ces dérives professionnelles intolérables et récurrentes, au mépris des prescriptions déontologiques, s’exposent aux sanctions prévues par la loi du 19 décembre 1990 sur la liberté de la communication sociale et le Code pénal ». Sanctionner c’est bon, mais assainir la profession, c’est encore mieux, chers messieurs et dames du gouvernement des « Grandes ambitions ».
Écrit par Par A. Mbog Pibasso
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