Le temps et surtout les appétits financiers poussés du leader du Social Democratic Front l’ont tellement rendu sympathique à l’endroit du parti au pouvoir qu’on a du mal à le considérer comme un cheval partant pour le changement au Cameroun.
Bien loin l’époque où le leader du Social Democratic Front(SDF) était aussi indiscutablement chef de file d’une véritable opposition assoiffée de changement au Cameroun. L’homme fort de Ntarikon n’est plus que l’ombre de lui-même. L’érosion du temps, comme dans une stratégie publicitaire de teasing, aura malheureusement contribué à dévoiler un produit politique de mauvaise qualité, individualiste, égocentrique, ennemi de l’alternance tant au sein de sa propre formation politique qu’à l’échelle nationale. Lundi dernier encore, le quotidien gouvernemental Cameroon Tribune offrait en petite Une, les échos du 8e congrès ordinaire du SDF tenu le weekend précédant à Bamenda.
Chose inimaginable au début des années 1990, époque de gloire et de splendeur du Social Democratic Front où le seul poing levé de Fru Ndi cristallisait les espoirs des milliers de camerounais et mettait en émoi le régime de Yaoundé. Seules les défections réelles ou feintes des opposants au profit du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais( RDPC) étaient médiatisées par la Cameroon Radio Television( CRTV) et Cameroon Tribune. En ce temps que les nostalgiques se remémorent aujourd’hui, chaque pas de Ni John Fru Ndi était compté. Toute manifestation du SDF obligeait le pouvoir en place à repenser son déploiement sécuritaire.
On a encore en mémoire ces meeting d’avant les élections présidentielles de 1992 qui auront battu tous les records d’affluence avec des forces de l’ordre essaimées sur le théâtre des évènements comme dans un état d’urgence. Rien qu’à son lancement lors de la marche historique du 26 mai 1990 à Bamenda il y eut 6 morts sur le carreau et de nombreux blessés. En 1992, après les élections présidentielles qui auraient dû le propulser à la magistrature suprême n’eut été les manigances de la Cour suprême et de la France, il sera mis en résidence surveillée plusieurs mois durant à Ntarikon Palace, sa résidence.
D’autres leaders comme Samuel Eboua seront arrêtés et humiliés par des fessées mémorables que d’aucuns n’ont pas manqué de qualifier de « souveraines ». Des milliers de camerounais, diplômés de l’enseignement supérieur, acteurs du monde rural, déflatés des sociétés publiques et parapubliques lui attribuaient quasiment sans sourciller, un rôle messianique sur la scène politique nationale. Mais hélas ! Cet engagement intrépide et martial a cédé la place, au milieu des années 2000, à une mollesse indicible qui n’a d’égale que les nombreux compromis dans lesquels le SDF s’est laissé apprivoiser par le RDPC.
Le deal avec Paul Biya
Quoique disent Ni John Fru Ndi ou les quelques irréductibles qui lui sont restés fidèles à ce jour, le SDF a perdu de sa superbe et ne représente pas moins qu’un épouvantail destiné à égarer et à distraire les camerounais en quête d’un véritable changement. Plusieurs faits marquants. La volonté de rapprochement du leader du SDF à l’endroit du pouvoir en place s’est traduite par l’acquisition d’une résidence au quartier omnisports à Yaoundé dans les années 2000. Il avait tellement pris l’habitude de planifier ses stratégies politiques depuis sa base de Ntarikon Palace qu’il était presque impossible de l’imaginer ailleurs que dans cette forteresse.
Sa sédentarisation poussée rendait donc inédit et insolite son établissement dans la capitale politique. En 2004, alors que les partisans de l’opposition sont sur le point de s’accorder sur une candidature unique de l’opposition, Fru Ndi s’illustrera par une volte face légendaire abandonnant sans raison valable Adamou Ndam Njoya et les autres sur le champ de bataille. Pour vraisemblablement 500 millions Fcfa. En effet, les commissaires Ebela et Zogo aujourd’hui en exil au Canada disent avoir accompagné Edgar Alain Mebe alors directeur du cabinet civil à l’époque au Djeuga Palace avec une mallette contenant cette somme d’argent.
Selon plusieurs enquêtes dont celles de Xavier Luc Deutchoua, John Fru Ndi aurait accumulé une fortune de plus de 125 millions de dollars, dont “plus de 70 % de l’argent provient de ses deals politiques avec le chef de l’Etat camerounais en fonction”, en particulier “entre juin 2002 et 2005”. L’histoire retiendra que c’est aux frais de la présidence de la république du Cameroun que Rose Fru Ndi, son épouse alors gravement malade en avril 2005 à la polyclinique André Fouda à Yaoundé, sera évacuée dans une formation hospitalière à Genève en Suisse. Les indiscrétions disent que les émissaires d’Etoudi auraient pris le malin plaisir de faire émarger le Chairman sur des documents écrits contre sa signature. Histoire de le lier et de le tenir en respect au cas où.
Cette immixtion subite du Palais d’Etoudi dans la prise en charge de Rose Fru Ndi avait suscité en son temps moult interrogations et bien des polémiques au sein du parti d’autant plus qu’une quête avait déjà été organisée dans les cercles du parti à Yaoundé pour les mêmes fins. Il s’agissait notamment du transport par ambulance (de la présidence de la république) de Yaoundé à l’Aéroport international de Douala ; des billets d’avions de la compagnie Swiss International, aussi bien pour la malade que les quatre personnes dont John Fru Ndi et un médecin qui l’accompagnaient à Genève ; des frais d’hospitalisation, etc. Une carte d’accès au centre hospitalier genevois aurait ainsi été remise à l’épouse du Chairman du Sdf. Ce centre serait le même où la famille présidentielle camerounaise se soigne en Europe.
Plus grave, nombre de cadres du Social Democratic Front avaient appris l’intervention présidentielle par la presse comme n’importe quel citoyen lambda. Tout ceci évidemment aura eu pour effet de créer des dissensions au sein de cette formation politique où le chef ne brillait plus par une communication emprunte de franchise. Résultat des courses en 2006, deux tendances s’affrontent pour le contrôle du parti. Cette confrontation se soldera par le meurtre de Grégoire Diboulè, secrétaire administratif du comité exécutif provincial pour le Centre. Une bonne frange des membres se désolidarisera de Fru Ndi au profit de Muna et mettront en place une nouvelle formation politique. Au fil des années, l’autorité de Ni John Fru Ndi a été constamment remise en cause par ses affidés qui ont du mal à se reconnaitre encore en lui.
Le 30 janvier 2010 à Bamenda, Pierre Kwémo, premier vice-président du SDF est accusé d’avoir manipulé les listes du parti lors des élections couplées Municipales-Législatives 2007. Il est suspendu de son poste, et frappé d’inéligibilité pour une durée indéterminée. Serge Noumba, député à l’Assemblée nationale, accusé d’avoir outrepassé l’interdiction du parti et d’avoir fait défiler des militants lors de la fête du 20 mai à Bafoussam, voit sa radiation annulée mais écope également d’inéligibilité au sein du parti pour une durée indéterminée. Romuald Tamo, l’ex président du CEPO (Comité exécutif provincial de l’Ouest) est radié lui aussi du Sdf conformément au 8.2 ainsi que ses camarades Fankam et Ngoulefack. L’exclusion de tous ces cadres issus de l’ère culturelle grassfield démontre à suffisance que l’homme de Ntarikon n’a jamais compris qu’en réalité ce sont les bamilékés qui ont porté le SDF à bout de bras. Aujourd’hui en réalité la majorité présidentielle est comme une pièce de monnaie avec côté face une vingtaine de formations politiques ouvertement acquises à Paul Biya et côté pile Ni John Fru Ndi.