Nécrologie Sérail: Le Vieux nègre avale sa médaille

Par jean.francois.channon | Vendredi 11 juin 2010 | Le Messager

La scène relève du pathétique. Il est un peu plus de 13 h ce jeudi 10 juin 2010 au Palais de l’unité à Yaoundé. Le déjeuner que le président de la République du Cameroun vient d’offrir en l’honneur du SG de l’ONU vient de s’achever. L’hôte du jour quitte Etoudi pour l’hôtel Hilton où il a pris ses quartiers depuis la veille, jour de son arrivée. Les nombreux invités au déjeuner présidentiel, dont les membres du gouvernement et autres corps constitués s’apprêtent eux aussi à quitter le palais de l’Unité. L’atmosphère est plutôt sympathique. Le ministre d’Etat Léopold Ferdinand Oyono, ancien ministre de la Culture et depuis près d’un an ambassadeur itinérant à la présidence de la République du Cameroun est lui aussi présent. Bien que physiquement affaibli par la maladie et le poids de l’âge (officiellement il est né le 14 septembre 1929 et des sources familiales affirment qu’il vivait depuis un certain temps en alerte médicale permanente), l’ancien Mincult a été presque contraint de prendre part à ce déjeuner.

Et pour cause ? Ancien représentant résident du Cameroun aux Nation-unies à New York, le président de la République (dont on dit qu’il l’avait en haute estime) aurait tenu absolument à ce qu’il soit présent aux différentes cérémonies protocolaires organisées au palais de l’Unité en l’honneur du secrétaire général des Nations unies. De plus, ses hautes fonctions d’ambassadeur itinérant à la présidence de la République l’y contraignaient en quelque sorte, malgré son état physique jugé délicat par ses proches. On se souvient déjà qu’il y a encore quelques jours, lors des récentes festivités marquant le cinquantenaire de l’Indépendance du Cameroun, il avait été désigné par le chef de l’Etat pour le représenter personnellement à la soirée théâtrale du Cinquantenaire qui s’est tenue au Palais polyvalent des sports de Yaoundé. La soirée fut intense en émotion artistique. « Le Vieux nègre » (comme aimaient l’appeler affectueusement certains artistes), bien qu’affaibli physiquement était venu à cette autre fonction honorifique de représentation que lui avait confiée « son frère et ami » Paul Biya. Jusqu’à cette date du 10 juin 2010, ce fut l’une de ses dernières apparitions publiques.

Un vieil homme à la tâche

Malheureusement, à force de ne pas ménager ce vieil homme qui depuis était secoué par la maladie, l’irréparable s’est produit hier au perron du palais de l’Unité. Des sources bien introduites avancent que c’est là où il s’est écroulé, après avoir eu un malaise, alors qu’il attendait comme tous les autres membres du gouvernement et associés son véhicule de fonction. Immédiatement, l’alerte est donnée par les services de sécurité et l’équipe médicale du chef de l’Etat le prend en charge. Nos sources indiquent que c’est pendant qu’il était conduit vers l’hôpital qu’il aurait rendu l’âme. Hier dès 14h, la nouvelle du décès du ministre d’Etat Léopold Ferdinand Oyono a fait le tour du sérail, avant d’être confirmée peu après par des sources familiales. Plus tard au journal parler de 17h, au poste national de la CRTV, un communiqué laconique annonçant son décès a été lu. Ainsi s’achève la vie d’un homme d’Etat, qui depuis plus de 50 ans, est resté au service du Cameroun. Jusqu’au bout de ses dernières forces et de son dernier souffle, il aura été utilisé dans les plus hautes sphères de l’Etat, pour continuer à travailler quand bien même la force physique l’avait pratiquement abandonnée.

Tué à la tâche

Léopold Ferdinand Oyono et l’actuel chef de l’Etat camerounais entretenaient une relation qui fusionnelle. Lorsque Paul Biya accède à la magistrature suprême le 6 novembre 1982, des sources dignes de foi affirment que l’un des premiers hommes qui l’entourent dans son intimité au lendemain du jour de sa prestation de serment s’appelle… Léopold Ferdinand Oyono. Ce dernier, baron du régime du président Ahidjo occupait alors les fonctions de représentant du Cameroun au siège des Nations unies à New York. L’anecdote rapporte qu’à l’annonce le 4 novembre 1982 de la démission d’Ahmadou Ahidjo de ses fonctions de président de la « République Unie du Cameroun » en faveur de son successeur constitutionnel de l’époque, ce dernier aurait immédiatement joint au téléphone l’ancien ambassadeur du Cameroun à Paris, son ami de toujours, pour lui demander de rallier immédiatement la capitale camerounaise. Après le passage de témoin, Léopold Ferdinand Oyono intègre aussitôt le cercle restreint des décideurs du nouveau régime.

On le retrouve ainsi tour à tour secrétaire général de la présidence de la République (l’anecdote raconte qu’il y fut limogé alors qu’il disputait une partie de « Songô » avec le président de la République qui ne lui avait rien dit ; en fait c’est un de ses proches qui l’informera alors qu’il était encore devant son ami), ministre de l’Urbanisme et l’habitat. Puis après un bref passage à vide (qui ne dure pas longtemps d’ailleurs), il réintègre le gouvernement au début des années 90 comme ministre des Relations extérieures, avant d’être fait en 1997 ministre d’Etat, ministre de la Culture. Il restera à ce poste jusqu’en septembre 2007. En fait, assez malade depuis quelque temps, Paul Biya dont il était pratiquement de tous les voyages (officiels et privés) depuis près de 20 ans, avait alors enfin consenti à le décharger des fonctions au gouvernement qu’il n’arrivait d’ailleurs plus véritablement à assumer.

On croyait alors que c’était le repos pour ce haut commis de l’Etat qui pendant 50 ans aura connu tous les honneurs et qui aura été de tous les grands moments du régime du Renouveau national. On lui prédisait notamment une bonne retraite dans son merveilleux château construit sur les hauteurs de son village dans l’arrondissement de Biwong Bane, département de la Mvila, région du Sud. Que nenni ! Il y a un an, le chef de l’Etat l’a à nouveau rappelé au sein du sérail dans les fonctions assez prestigieuses, mais surtout prenantes sur le plan protocolaire d’ambassadeur itinérant à la présidence de la République. C’est là où la mort est venue le trouver. Cette fois c’est le repos définitif dans l’au-delà. Il y trouvera alors ses frères et amis d’enfance tels qu’Alexandre Biyidi Awala dit Mongo Beti, Engelbert Mveng, Jean Marc Ela et bien d’autres, avec qui hélas, il n’aura pas pu partager les mêmes convictions politiques dans ce bas monde. On voudrait espérer que là-haut, ils pourront enfin se réconcilier. Paix à son âme.



15/06/2010
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