Depuis quelques mois, je ne comprends plus ma petite sœur. Elle devient changeante à mes yeux et inquiétante à mon esprit. De bonheur elle ne se lève plus, ni pour s’atteler à ses tâches quotidiennes, ni pour la méditation qui se déroule toujours avant l’aube matinière. C’est parce qu’à la maison elle rentre parfois très tard, et très souvent elle ne rentre pas du tout. Crois-moi quand je te dis qu’elle a changé. Avant qu’elle n’obtienne en lettres et philosophie son bacc, tout le monde pouvait parier que, finirait au couvent cette immaculée conception. Elle était pauvre en esprit, mais pas pauvre d’esprit. Elle lisait, se cultivait, ne s’intéressait pas aux bas mais hauts débats, raisonnait avec des références pleines de sens et de puissances. Elle était chantre dans la chorale des jeunes, sa voix de rossignol mariait tellement avec sa beauté de luciole. A la maison on la retrouvait partout : dans brillance de la vaisselle, et dans les marmites pleines de succulentes odeurs. Ses modèles étaient des dames de fer allant de la politique aux amazones Bangangté de l’ouest Cameroun.
D’être avocate ma sœur rêvait, raison de son inscription à Soa pour poursuivre son rêve. Jeune fille candide et pleine de jouvence, éduquée de manière droite et rigoureuse, elle va faire une entrée brutale dans un monde hostile, cosmopolite et pétulant. Elle aura le malheur d’être belle et naïve, timide et attirante. Assez de poids elle n’aura donc pas pour discuter les premières places dans les amphis, pour résister aux avances agressives des garçons et aux tendances extraverties des jeunes filles de son univers cité plus haut. Celle qui l’habitude de la solitude avait cultivé, est frappée par la folie des « groupies ». Celle qui religieusement s’habillait, va suivre un programme d’ajustement vestimentaire sans précédent. Elle qui vierge jusqu’au mariage voulait rester, a enterré sa jouvence dans une ambiance de violence. C’était lors de cette fête en feu sans tête ni queue, où elle sera bourrée de vin, et fourrée bel et bien. Un viol suspect, car avec jouissance à l’appui.
C’est ainsi que pour voiler son violent viol, ma petite sœur va se dévoyer de ses vertueuses voies, pour emprunter le chemin le plus balisé. Elle va rejoindre je ne sais par quel miracle, un groupe de jeunes étudiantes réputées pour leurs activités débauchées. Elles qui se faisaient appeler de tous les noms d’oiseaux. Les « PAP » : donc toujours prêtes à partir ; « les panthères » : qui savent prendre tous les risques tout en restant félines et sauvages ; « les chats morts » parce qu’elles ne résistent à rien ni à personne... Elles sont les préférées des garçons, pour leur facilité qu’elles offrent. Il suffit de les inviter dans un coin chaud, glacé, pimenté, mijoté avec un zeste de Coco Argentée. A la troisième bière, c’est elles qui se frottent sur toi en criant béatement : « j’ai envie de…faire ». Elle qui dans un club plein de monde n’a pas refusé de fumer une cigarette, ne va pas refuser une bonne pipe entre quatre murs. Plutôt que de la fumer, elle préfère la sucer jusqu’à ce que sorte cette fumée blanche et gluante. Elle couche et se couche à nue, pour que la nuit n’ennuie pas après « coups ».
Pour être toujours à l’heure, les amies de ma sœur se mettent au pas de la mode. C’est ainsi qu’elles vont transformer leurs corps en un « objet de rentabilité », avant que d’être un « objet de beauté ». Or pour que le corps rapporte, il faut qu’il apporte. Elles se font à elles toute une philosophie: « on ne donne pas le lait », « est ce que ça fini ? », « mieux donner aux hommes qu’aux termites ». Elles font l’amour en bio, donc sans le port des plastiques non bio dégradables. Car « on ne mange pas la banane avec l’épluchure ».
Il faut aussi s’accommoder au « teint de l’heure », qui n’est rien d’autre que la couleur « jaune taxi », qui attire les hommes comme l’odeur de l’essence attire les femmes. Ce teint doit aller avec les habits de l’heure et tout le décor qui va avec. Cette bande de jeunes filles, si elles n’ont pas le Ventre, le Dos et les Cuisses dehors, estimeront qu’elles ne sont pas accoutrées. Quand les chaussures ne mesurent pas une dizaine et poussière de centimètres, alors elles pensent qu’elles ont un pas en arrière sur le temps. C’est ainsi que dans leurs chambres, « d’innombrables chaussures ont chassé les livres », la table d’étude est remplie de magazines cochons et autres objets de beauté.
Ma petite sœur avait reçu d’un de ses professeurs, une somme importante pour devenir en un temps record une « fille de l’heure ». Avec sa beauté naturelle, il ne manquait plus qu’une coiffure et une fourrure du même type. Son prof au volant d’une voiture de l’heure, l’avait donc déposé dans un salon digne de ma sœur. Celle-ci hésitait entre les rasta avec les mèches « couleurs-couleurs », une coiffure à la laine, une « rihanna », une « lynsha », l’implant d’une mèche brésilienne, ou une indienne comme l’une de ses enseignante de droit. Mais elle va opter finalement pour les « passe mèche ». Il fallait s’en douter, toutes ses copines ont la même coiffure. Qu’elles changent tous les samedis, question de déranger en boite de nuit. Et de gagner la concurrence avec un autre groupe de filles à Soa.
C’est dans ce salon de coiffure devenu un véritable réseau social, que ma sœur va entendre pour la première fois parler de toi Nathalie. Comme elle n’en croyait pas ses oreilles, celles qui étaient là pour la coiffer, lui montrait alors les photos t’ayant rendu populaire malgré toi. Ces photos avaient un air cochon mais quand même elles excitaient. Celle par exemple où tu es dans le lit avec un chanteur de la rumba zaïroise, qu’on taxe être dans le réseau des pédés. Dans cette photo tu as la langue dehors, c’est avec la même langue qu’on te voit en train de l’enfoncer dans l’anus d’un vieil homme. Il est nu, couché sur le dos, avec sa bite ivre morte couchée sur son ventre boursouflé et enflé. Toutes ces filles étaient d’accord que c’était l’anus d’un ministre de la république que tu léchais ainsi. Lui-même étant un autre pédé. Dans une autre photo, on te voit nue, les fesses en l’air, l’auri-cul-aire embouché, prête à te faire chevaucher…
Comme ma sœur venait d’avoir un téléphone de l’heure, on lui a envoyé à l’occasion une triste liste des jeunes filles et étudiants ayant banalisé la débauche. Des jeunes étudiants qui s’échangent les anus entre eux et avec tes têtes de ce pays. Les filles qui ont été tellement sautées par les garçons qu’elles organisent des soirées pyjamas pour s’allumer entre elles. Soirées où coulent à flot l’alcool, s’écroulent des jeunes gens, s’envole et plane la fumée de Bob. C’est en parcourant cette liste qu’elle reconnaît deux ou trois noms de ses copines à l’université. Elle apprendra qu’elles font partie de ces étudiantes sont mortes mira-cul-eusement la semaine dernière. Une parce qu’un inconnu l’avait invité à monter dans sa voiture fumée, et à donner le sein gauche et droit au chat qui miaulait au plafond de la voiture. A raison de 200.000 le sein. L’autre parce qu’elle est allée faire jouir un homme de la soixantaine dans un hôtel chic de la capitale. Et au moment de toucher ses 150.000f, l’homme
qui venait de pisser dans elle, se desquame, et elle ne voit plus qu’un énorme reptile secrétant les liasses de billets de banque et des bijoux en or...
Ma sœur me conte tout ce drame dans son lit d’hôpital. D’un fœtus dont elle ne connait point l’auteur, elle vient d’avorter. Opération clandestine qui aurait au drame pu tourner. Or c’est auprès d’un grand médecin spécialiste des généralités, qu’elle a obtenue toutes ces pilules. Dieu merci elle s’en sort avec quelques infections vaginales, mais pas de maladie gravement incurable. Dieu merci elle a aussi gardé son naturel teint et sa beauté pareille à celle qu’on vient d’arracher au sommeil. Celle qui voulait être une fille de l’heure comme Nathalie Nkoah, comprend qu’il faut plutôt éviter d’être en retard avec son avenir. La mode n’a pour acmé que de se démoder, car elle passe avec une fugacité chronique. Elle a compris qu’il ne faut pas se conformer au siècle présent, mais plutôt au renouvellement de l’intelligence. En plus qu’il ne faut pas toujours attendre de se perdre avant que de se retrouver.
Texte dédicacé à Rose-Marie Alima (fidèle lectrice)