Motions de soutien politique : ouf ! Quelles émotions

 

Alain Fogue Tedom*
 
Au regard de la Constitution – compromis de 1996, 2011 aurait dû être une année  de transition politique au sommet de l’Etat et donc, celle d’une compétition totale au sein du RDPC, en raison du retrait du président BIYA de la course présidentielle, comme il s’y était engagé lors de la Tripartite. Mais il y a eu la très polémique modification constitutionnelle de février 2008 et notamment de l’article 6,2. 
 
L’ambiance délétère de cette modification et les questions politiques et juridiques qu’elle suscite ont conduit les hiérarques du pouvoir à organiser un contre feux politique connu sous le nom de motions de soutien. Une évocation, même superficielle, du bilan politique sur lequel elles s’adossent s’impose. 
Lorsque le président BIYA arrive au pouvoir en 1982,  nombreux sont ceux qui manifestent et placent en lui d’importants espoirs. En écho à cet accueil, il se présente au peuple comme l’homme du Renouveau mieux, il affirme placer la « Rigueur » et la « Moralisation » au cœur de son action.  
 
Trente ans après, plus personne ne pense que le président BIYA a tenu ses engagements. Sous son règne il s’est instauré un siphonage systématique et déterminé de l’argent public ; les questions de mœurs de certains notables et l’emprise des sectes diverses sur la vie publique organisent aujourd’hui les débats publics.  Son système est aujourd’hui laminé par les affaires tant et si bien qu’il est devenu insécurisant d’accepter d’y occuper une haute fonction. La fracture sociale est totale et l’élément de distinction social unanimement reconnu est l’impunité politique. 
 
Il faut probablement un ordinateur avec une mémoire aussi puissante que celle qu’utilisent  les scientifiques de la NASA, pour calculer ce que coûtent depuis 1982 au contribuable camerounais les innombrables « courts séjours privés » du chef de l’Etat à l’étranger.  Tenez, selon les journaux, de janvier 2009 à mars 2010, celui - ci a passé 123 jours à l’étranger. Entre le 03 août 2010 et le 16 août 2011, c’est environ 124 jours qu’il a passé hors du pays, pour à peine une dizaine de jours couvrant trois voyages officiels et quelques participations à différents sommets ! 
 
Par extrapolation, si on retient une moyenne de 80 jours que le président passe par an à l’étranger et aux frais du contribuable de 1982 à 2011, soit 2.320 jours (80jrs x 29 ans), si le coût journalier du voyage est de seulement 1 milliard de francs CFA ( location d’avion, suite, shopings, frais de missions, pourboires divers etc.), on arrive à la rondelette somme de 2.320 milliards. Il serait intéressant pour ses soutiens « inconditionnels » et « granitiques » de dire au peuple à combien ils évaluent le retour sur investissement. 
 
La campagne présidentielle du président BIYA  de 2004 s’était construite sur le slogan des Grandes Ambitions. A quelques jours du scrutin d’octobre, c'est-à-dire à l’heure du bilan, on s’interroge sur la réalité du contenu de ce slogan, tellement le Cameroun continue de faire la course en queue des nations sur presque tous les plans : développement humain ; revenu par tête d’habitant ; scolarisation ; développement technologique et infrastructurel ; accès aux soins, à l’eau ; gouvernance ; efficience des actions gouvernementales  etc. 
 
Les centaines de morts déplorés à cause du choléra ces derniers temps ou le contraste entre le confort insolant de l’école des « Coccinelle » et la situation insoutenable des millions d’écoliers à travers le pays, le désespoir des millions de jeunes désœuvrés ou celui des mamans retenues prisonnières dans les dispensaires publics avec leurs nouveaux nés pour insolvabilité sont là quelques images de l’échec du système que certains déclarent soutenir. 
 
Le dépeçage du pouvoir d’achat des Camerounais par le pouvoir lui a permis d’instaurer un système de contrôle des consciences redoutable. Le système patrimonial et clientéliste qui en a découlé a conduit l’élite politique et les intellectuels pantouflards à une forme insidieuse d’auto – censure qui se nourrit de l’espoir qu’ils ont d’accéder aux affaires ou de conserver leurs postes dans un contexte où la responsabilité ne renvoie pas à l’adéquation : Pouvoir + devoir de rendre compte. 
 
En laissant l’élite politique, administrative et d’affaire s’enliser dans une gestion sans la crainte des lois, le président BIYA s’est patiemment constitué une clientèle politique qui aujourd’hui, ne mobilise pas parce qu’elle croit qu’après trente ans de règne sans partage il peut être encore la solution pour le pays, mais simplement parce qu’elle est liée. Conscients  de la sévérité du châtiment qu’administre habituellement leur système à tous ceux qui de l’intérieur sont soupçonnés vouloir « cracher dans la soupe », les hauts dignitaires du RDPC ont, à travers une technique de camouflage de leurs convictions politiques et au mépris de l’histoire, décidé de se débarrasser de leur sens critique. 
 
Tétanisés par l’idée d’être accusés de subversion politique à l’intérieur d’un système dont ils sont eux – mêmes les ouvriers, ils se sentent obligés de mobiliser de façon démonstrative et de porter de motions dithyrambiques. A défaut de pouvoir afficher leurs ambitions présidentielles, l’establishment au pouvoir considère que le maintien de M. BIYA au pouvoir est après tout une forme d’assurance –vie politique voire matérielle. C’est pour cela que ses membres s’investissent, en abusant de l’utilisation des moyens publics, dans la collecte, quelquefois à l’insu du plein gré de leurs « clients »/ « victimes », des signatures. Pour optimiser leurs collectes ces ingénieurs des motions en sont arrivés à faire passer l’idée, fausse, selon laquelle le soutien politique  à M. BIYA est désormais l’élément de mesure du patriotisme ou de l’attachement de leurs concitoyens à la paix et la stabilité. 
 
Il y a fort à parier que ces sacrés génies nous préparent un volume spécial du très lucratif  « l’appel du peuple » cette fois, fait de compilations des motions des chômeurs de leur village, puisque l’un des ressorts de cette curieuse littérature est villageois, ou mieux, de ceux des enfants à naître dans leurs familles.
 
Rêvons ! Et si le président BIYA écoutait plutôt ces Camerounais au patriotisme suspect et ennemis de la paix et de la stabilité qui pensent qu’il est temps pour lui de se reposer, que feront les « motionneurs » ?  En vérité, leur zèle débordant laisse voir, y compris chez les tous petits de la maternelle, qu’ils sont francs du collier et c’est pourquoi l’on est tenté de leur conseiller pour l’après BIYA : gare aux images d’archives. En effet, demain les Camerounais peuvent solliciter leur scientifique commentaire des arguments  qu’ils leurs servent aujourd’hui. 
 
*Universitaire et 
homme politique.


08/09/2011
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