MM. Marafa, Abah Abah et Fotso: Ce que cache leur transfèrement au SED

YAOUNDÉ - 30 Mai 2012
© Dominique Mbassi | Repères

Pour diverses raisons, le pouvoir tient à avoir l’œil sur leurs faits et gestes

Le gouvernement camerounais est donc capable de célérité. Deux prisons secondaires ont été créées à Yaoundé et Douala le 25 mai par arrêté du ministre d'Etat en charge de la Justice. Un autre arrêté, signé le même jour par M. Laurent Esso, nomme les régisseurs. Un acte inédit de l'ex SG/PR qui, d'après certains anciens collaborateurs, a coutume de dire que les urgences se trouvent à l'hôpital central.

Comme toute décision prise visiblement à la hâte, celle créant les deux pénitenciers comporte des insuffisances criantes. Elle se contente par exemple d'indiquer que les deux établissements pénitentiaires relèvent respectivement des ressorts de Yaoundé VI et Douala 1er. Sans plus.

Autant subodorer que la décision de M. Esso érige le secrétariat d'Etat à la Défense (SED) et la légion de gendarmerie du Littoral en prisons ou alors loge des prisons dans ces deux camps militaires. D'autant que, le même jour aux environs de 20 heures, trois prisonniers de luxe sont transférés de la prison centrale de Yaoundé pour le SED.

L'acte du ministre de la Justice semble donc a priori animé par le souci de légaliser la détention de MM. Titus Edzoa et Michel Thierry Atangana incarcérés au SED depuis 1997, où ils ont été rejoints en 2007 par MM. Emmanuel Gérard Ondo Ndong, Joseph Edou et Gilles Roger Belinga, et celle de M. Alphonse Siyam Siwé, qui séjourne à la Légion de gendarmerie du Littoral.

Mais l'enchaînement inhabituel des événements juste après la décision du ministre de la Justice accrédite davantage la thèse que. MM. Marafa Hamidou Yaya, Polycarpe Abah Abah et Yves Michel Fotso sont des détenus embarrassants. En témoigne les méthodes utilisées pour extraire l'ancien ministre d'Etat, l'ancien ministre de l'Economie et des Finances et l'ancien administrateur directeur général de la Camair de Kondengui vendredi 25 mai.

Pour cette mission commandée, la trentaine d'éléments du Groupement polyvalent d'intervention de la gendarmerie nationale (Gpign), une unité spécialisée dans la lutte contre le terrorisme, débarque par surprise à la prison centrale autour de 19 h 30. Même le régisseur est pris au dépourvu en voyant ces hommes cagoulés et lourdement armés faire irruption dans son bureau.

Et pour bien montrer qu'ils prennent leur mission à cœur, ils n'hésitent pas à recourir à la force physique pour rudoyer M. Abah Abah ou traîner au sol sur plusieurs mètres M. Fotso qui s'en tire avec des contusions. Faisant fi de la présomption d'innocence, un officier supérieur de la gendarmerie justifie : «On ne ménage pas des criminels économiques». Une explication qui prouve que, plus que d'autres victimes de l'opération Epervier, ces trois détenus sont à tout le moins pris au sérieux au plus haut niveau.

D'après l'hebdomadaire L'Œil du Sahel dans son édition datée du 28 mai, le président de la République a instruit M. Alim Hayatou, secrétaire d'Etat auprès du ministre de la Santé publique et surtout lamido de Garoua, de «faire cesser le désordre de Marafa» dans la capitale régionale du Nord. D'autres stratèges devant s'atteler à cette mission à Yaoundé, en concoctant par exemple la stratégie ayant conduit à son extraction de la prison centrale réputée pour sa surpopulation. Un univers carcéral qui, dans l'analyse des sécurocrates du pouvoir, constitue «un bouillon de culture du désordre qu'un esprit ambitieux peut mettre à contribution pour la réalisation d'un dessein qui relève désormais du secret de polichinelle».

Convaincues qu'il n'est pas le rédacteur de ses lettres ouvertes et donc que de toutes les façons il va continuer de parler, certaines sources dans l'appareil sécuritaire se risquent à quelques confidences en indiquant que le transfèrement de M. Marafa au SED vise donc à l'isoler pour mieux affaiblir sa communication, jusqu'ici sa principale arme. Pour dire le moins.

Qu'a donc fait M. Abah Abah qui s'est toujours gardé de se fendre en déclarations? Initialement non visé par le projet de transfèrement des personnalités de Kondengui vers un univers plus sécurisé, c'est l'incident du vendredi 18 mai qui est venu placer l'ancien ministre de l'Economie et des Finances dans le champ du viseur. Autorisé à rencontrer son médecin, il se retrouvera avec son escorte dans sa résidence au quartier Odza. Interpellé, il sera inculpé pour évasion aggravée.

«La thèse de l'évasion ne convainc pas grand monde, même pas les tenants du pouvoir. En revanche, il est très probable que ceux qui ont inscrit Abah Abah sur la liste des transférés le tiennent pour responsable de la grogne annoncée des gardiens de prison qui se mobilisaient déjà pour réclamer la libération de leurs collègues incarcérés à la suite de cet incident. On ne sait pas ce qu'un tel soulèvement aurait pu faciliter», souffle une source.

Pour les personnels de l'administration pénitentiaire, les membres de l'escorte de l'ancien ministre inculpés pour complicité de tentative d'évasion aggravée se sont tout au plus rendus coupables de violation de consignes. Aussi, pendant que M. Abah Abah prenait le chemin du SED, ses geôliers étaient transférés à la prison principale aménagée il n'y a pas si longtemps pour héberger certaines personnalités. Si M. Abah Abah est perçu comme un instigateur du désordre, tel n'est pas le reproche fait à M. Yves Michel Fotso.

Et pourtant, les conditions carcérales de l'ancien Adg de la Camair ont toujours été rudes. «Dès son arrivée le 1er décembre à Kondengui, il est tenu dans l'isolement. De tous les détenus de l'opération Epervier, il est le plus surveillé au regard des mesures de sécurité prises à son encontre. Yves Michel Fotso, pendant tout son séjour dans ce pénitencier, avait spécialement droit à deux verrous, en plus du verrouillage du portail, il était en plus enfermé par les gardiens de prison dans sa cellule numéro un du quartier spécial 13 bis. Les mêmes venaient lui ouvrir à 7 h 30. Dans le même temps, toutes les autres personnalités avaient la possibilité de faire leur prière dès 5 h du matin dans la petite chapelle. Même les détenus ordinaires sont maîtres de leurs entrées et sorties dans leurs cellules après la fermeture du grand portail», s'inquiète une source proche de son entourage.

Pour ses conseils, le traitement infligé à l'homme d'affaires contraste avec sa posture depuis le début de ses déboires judiciaires. «Yves Michel Fotso s'est toujours montré docile, se gardant de s'attaquer à qui que ce soit. Et lorsque l'Etat a décidé de mettre l'accent sur la récupération des sommes présumées détournées, c'est le seul qui jusqu'ici a montré sa disposition à rembourser et curieusement la transaction censée rester confidentielle a été rendue publique par voie de presse dans le but de la torpiller».

C'est dire si l'homme d'affaires est un sujet qui préoccupe. «Son hyperactivité est incompatible avec son statut d'homme privé de liberté. En plus, sa fortune et ses amitiés nourrissent des inquiétudes», consent une source.




31/05/2012
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