Le 13 avril, l’Assemblée nationale a adopté un nouveau code électoral. Ce texte régira l’ensemble des scrutins organisés dans le pays. Il prévoit la mise en place de la biométrie lors de l’inscription des électeurs sur les listes électorales, comme le souhaitait de longue date l’opposition. Leurs autres revendications n’ont, malheureusement, pas été entendues. Parmi celles-ci, leur hostilité à la hausse du cautionnement financier nécessaire aux candidats. Le texte prévoit en effet de multiplier par six la caution pour la présidentielle, désormais fixée à 30 millions de Francs CFA au lieu de 5 millions de F CFA précédemment, pendant que celles des députés passe de 500.000 F CFA à 3 millions de F CFA. La mise en place d’un scrutin présidentiel à deux tours, le bulletin unique ou le vote à 18 ans n’ont également pas été pris en compte. De même, le nouveau code supprime le droit pour chaque candidat de pouvoir désigner des scrutateurs pour le représenter dans les bureaux de vote. Deux mois après le vote de ce code, et une fois les tensions retombées, l’Archevêque métropolitain de Douala donne son avis sur le nouveau code électoral et estime que, avec l’adoption de ce code, le Cameroun s’installe dans une vraie dictature.
Le 13 avril dernier, le Cameroun a adopté un nouveau code électoral. Qu’est-ce qu’il vous inspire?
Ce nouveau code électoral n’est pas bon ; il n’a pas été conçu
selon les principes démocratiques, et il ne pourra pas favoriser
l’instauration d’une vraie démocratie dans notre pays ; cela est bien
dommage. Beaucoup de Camerounais s’attendaient à un code qui pût obtenir
l’assentiment des Camerounais ; mais il a plutôt provoqué la déception.
Quels sont les manquements que vous avez décelés dans ce nouveau code ?
Il y en a beaucoup. Commençons par noter ceci : presque toutes
les propositions faites par les partis politiques de l’opposition et la
société civile ont été rejetées. On comprend pourquoi les membres de
certains partis d’opposition ont refusé de participer à l’adoption du
projet de loi portant code électoral. Aujourd’hui, dans un pays qui veut
s’engager dans la voie de la croissance économique, le président doit
être élu selon les principes démocratiques, pas un vote à un tour, ce
qui existe depuis l’indépendance du pays.
L’indépendance de Elecam est, dites-vous, illusoire…
Tout à fait, Elecam n’est pas du tout indépendant ; il est
totalement soumis au Président de la République, qui en nomme les
membres : les 18 membres du Conseil Electoral, le Directeur Général et
le Directeur Général Adjoint. Il peut également mettre fin à leurs
fonctions en cas de défaillance et de dysfonctionnement notés, mais
lesquels ne sont pas définis (Art. 44). Il est évident que le président
de la République ne peut pas nommer des gens qui ne sont pas acquis à sa
cause, issus de l’opposition. Elecam n’a pas d’autonomie financière. Si
on veut bloquer son fonctionnement, il suffit tout simplement que le
Ministère des finances ne mette pas à sa disposition les fonds
nécessaires. Et même la composition d’Elecam fait sérieusement problème :
il est composé du Conseil Electoral et de la Direction générale des
élections. On se demande bien pourquoi ? Si ce n’est pour permettre à
ceux qui veulent pécher en eaux troubles. Tantôt c’est le Conseil
Electoral qui dépend de la Direction Général des élections, tantôt c’est
le contraire. Si on pousse l’analyse un peu plus loin, on voit bien
derrière la Direction Générale des élections le Ministère de
l’Administration Territoriale et de la Décentralisation, sinon quel rôle
peuvent jouer deux personnes, le Directeur Général et son Adjoint ? Le
moins qu’on puisse dire, c’est qu’Elecam n’est pas un organe libre
indépendant, capable d’organiser des élections selon des principes
démocratiques. En ce qui concerne les circonscriptions locales, leur
nombre est fixé par un décret du Président de la République (Art. 150)
ainsi que le nombre des députés. Un silence est gardé sur les critères
de ce mode de désignation. Je pourrai continuer de relever ces
manquements, ces insuffisances de ce nouveau code électoral, je m’arrête
là.
Selon les leaders de partis d’opposition qui ont quitté l’hémicycle pendant le vote de ce code il ne recherche pas le consensus…
Je ne suis pas à mon aise lorsqu’on parle de consensus à
trouver au sujet du code électoral. Nous savons très bien comment on
peut parvenir à un consensus, surtout dans notre pays. Cela peut
refléter l’intérêt de quelques individus ou de quelques groupes.
Heureusement que certains partis ne sont pas tombés dans ce piège. Les
conséquences peuvent être très néfastes pour notre pays : notre pays ne
sera presque jamais gouverné de manière démocratique. Il est à craindre
qu’il n’y ait plus de dialogue entre les membres du parti qui gouverne
et les partis d’opposition et la société civile. C’est la vraie
dictature qui s’installe, et la justice sociale, on n’en parlera plus
jamais. Les maux qui minent notre société camerounaise n’auront jamais
de solution.
Et que vous suscitent les discours autour de la lutte contre corruption au Cameroun?
Depuis bien longtemps, nos dirigeants prononcent beaucoup de
discours sur le phénomène de la corruption, le pillage du bien commun,
des structures de lutte contre ces phénomènes ont été créées ; mais rien
ne change. La misère de nos populations ne fait qu’augmenter ;
l’inégalité entre les populations camerounaises ne fait que se creuser.
Les conséquences peuvent prendre d’autres tournures : une partie des
Camerounais n’acceptera plus l’injustice qui leur est faite ; pensons à
tous ces gens de nos villes qui ne travaillent pas, qui vivent dans la
misère totale, ils obligeront ceux qui possèdent à partager avec eux, on
observe déjà d’ailleurs cela aujourd’hui. C’est une paix véritable qui
peut résoudre ces problèmes.
Les élections dans la majorité des grands
pays démocratiques sont à deux tours. Mais le Cameroun continue de
garder le système électoral à un tour. Ceci n’est-il pas un frein à
l’alternance politique dans notre pays?
La réponse à cette question est déjà dans la question.
Justement c’est le refus de l’alternance politique que les membres du
parti au pouvoir ont choisi à travers le nouveau code électoral. Toutes
les structures de l’Etat du plus bas au plus haut niveau sont contrôlées
par le parti au pouvoir à travers Elecam. Allez voir vous-même dans ces
différentes structures : Commissions chargées des opérations
préparatoires aux élections (Art. 52), commission de contrôle de
l’établissement et de distribution des cartes électorales (Art. 53),
commission départementale de supervision (Art.64), commission communale
de supervision et commission régionale de supervision (263), voyez qui
sont les membres de ces différentes commissions, et vous pouvez
vous-mêmes tirer la conclusion. Le Président de la République qui reste
en place et organise une élection présidentielle à un tour ne peut
jamais la perdre. Dans les pays d’Afrique où les élections
présidentielles sont à un tour, il y a presque toujours des troubles,
des contestations, à la suite des élections. Une loi maintenant les
élections à un tour traduit le refus catégorique de l’alternance
politique. Cela vient garantir le mandat illimité du Président de la
République, puisqu’il est rééligible (Art 116). Le Président de la
République peut garder le pouvoir tant qu’il veut. Ce n’est plus de la
démocratie.
Le montant des cautions aux élections
municipales, législatives et présidentielles augmente avec le nouveau
code électoral. Quelle appréciation faites-vous de ces augmentations?
Cela fait partie des moyens que les dirigeants actuels se
donnent pour se maintenir au pouvoir, eux seuls sont capables de trouver
facilement ces moyens financiers. Tout cela ne peut que favoriser la
corruption dans notre pays.
Je ne sais pas si cette question mérite d’être posée. Ce nouveau code électoral a été taillé sur mesure par le parti au pouvoir et pour le parti au pouvoir. Ce sont les députés du Rdpc qui l’ont voté, c’est le même parti qui envoie dans toutes les régions du pays des délégations pour expliquer ce code; c’est leur code. Pourquoi les Camerounais n’ont-ils pas été consultés avant ? On se moque quelque peu des Camerounais. Quelle honte et quelle misère!
Comment jugez-vous le paysage politique
camerounais, avec une mosaïque de formations politiques qui n’ont jamais
brigué le suffrage universel ?
Il y a quelque chose qui explique le grand nombre de formations
politiques dans notre pays, c’est la mauvaise compréhension de la vie
politique de la part des Camerounais ; bien des gens créent des partis
pour se faire un nom, pas toujours dans le but de participer à
l’organisation et à la construction du pays. Je me demande bien aussi si
certains chefs de parti ne créent pas leur mouvement politique sur
demande pour détruire d’autres partis d’opposition plus influents.
Quel rôle peut jouer les responsables religieux dans le processus électoral au Cameroun?
Il faut comprendre que les responsables religieux sont des
citoyens à part entière qui aiment leur pays. A ce titre, ils sont
appelés à se prononcer sur l’organisation et la gestion de leur pays.
Ils ont à intervenir par la proclamation de l’Evangile, qui est un
message de paix, de justice, d’amour, de réconciliation. Ils ont à
dénoncer tout pouvoir qui n’œuvre pas pour le bien-être des citoyens.
Dans le cas du processus électoral au Cameroun, nous les évêques, nous
avons souvent donné des propositions en ce qui concerne la loi
électorale, mais qui ont toujours malheureusement été rejetées. Cela ne
nous empêchera pas de continuer d’enseigner. Lors de notre dernière
Assemblée Plénière à Yaoundé, nous avons pris acte de la promulgation du
nouveau code électoral, et nous avons décidé de donner notre position
le concernant. Une analyse serrée de ce code donnera donc notre
position. Ce travail est en train d’être fait.