Maurice Kamto entre en politique
- Lundi, 30 Janvier 2012 09:01
- Stéphane Tchakam
Déclaration. Les explications de la démission de novembre dernier glissent bien vite à l’esquisse d’un projet politique.
In cauda venenum. A la queue gît le venin. « Nous serons du mouvement.
Pour ce faire, nous présenterons au pays, dans les temps qui viennent,
des idées et une équipe pour les porter.
Il s’agira d’hommes et de femmes acquis à la cause de la paix par la
justice, respectueux des institutions de la République et résolument
tournés vers l’avenir : celui de la Renaissance nationale pour un
Cameroun qui gagne. Vive le Cameroun ! »
C’est à la fin de la déclaration de Maurice Kamto que se trouve le plus
intéressant auquel chacun donnera sa couleur. La déclaration que
l’ancien ministre délégué à la Justice devait prononcer au cours de la
conférence de presse interdite, la semaine dernière à Yaoundé, n’a pas
fini de faire parler d’elle. L’homme qui a claqué la porte du
gouvernement, l’année dernière, semble, à lire entre les lignes, se
préparer à jouer un autre rôle dans le pays. Comme, à leur manière et en
leur temps, d’autres ministres démissionnaires, Garga Haman Adji et
Titus Edzoa notamment.
Les explications sur le sens de cette démission ressemblent au
personnage. Policé, fin, ferme. Ceux qui attendaient le grand déballage
en sont pour leurs frais. Ce n’est pas le genre de cet homme que l’on
dit effacé. D’ailleurs, en tant que ministre délégué auprès d’un
ministre de la Justice, garde des Sceaux et vice-Premier ministre, il
n’avait pas beaucoup le choix. Maurice Kamto a choisi une déclaration,
dans le souci d’apporter une solennité particulière à sa sortie.
Fallait-il une déclaration pour donner des explications à une sortie du
gouvernement, il y a deux mois ?
Ruse
A en croire le professeur Léopold Donfack Sonkeng, « les raisons
évoquées ne participent pas d’une justification de la démission mais de
la construction d’un projet ou d’un programme qui est révélé en
pointillés dans la déclaration. Il y a là comme une ambition, en
pointillés. Il me semble qu’il faille décoder là une ruse qui est
caractéristique de l’homme ». Mieux encore, cet agrégé de droit public
et de science politique a « du mal à croire que l’on passe sept ans dans
une équipe gouvernementale alors que le costume ne vous sied pas. Et je
suis de ceux qui sont persuadés et convaincus que le président Paul
Biya aura tout donné au professeur Kamto et que la République ne lui est
redevable de rien du tout ».
Ces propos très sévères trouvent réplique dans la déclaration,
elle-même : « En 2004, j’ai accepté d’entrer dans le gouvernement de la
République. Mes désaccords sur bien des aspects de la conduite des
affaires du pays étaient connus. Mais j’ai toujours pensé la politique
comme une recherche collective, dans le dialogue des contraires voire
des antagonismes, de ce qu’il y a de meilleur pour la vie d’une Nation…
Je me suis donc engagé sans réserve et j’ai servi avec dévouement et une
loyauté absolue ».
Maurice Kamto considère donc que le régime de Paul Biya et lui sont
quittes. L’ancien ministre peut donc, à présent, en appeler « à tous
ceux qui entendent les échos de cette Terre… Que les partis politiques
de l’opposition, les acteurs de la société civile, les membres éclairés
du parti dominant, les nombreux citoyens anonymes… trouvent dans cette
Terre aux espoirs souvent trop vite gaspillés, la puissance du
dépassement pour porter cette espérance à son accomplissement ». De tels
accents lyriques sont certainement pour préparer à quelque chose de
grand. Un destin ?
Au lendemain de la démission de son ancien collègue, Grégoire Owona,
actuel ministre du Travail et de la Sécurité sociale et secrétaire
général adjoint du Rdpc, se demandait « si on n’est pas en train de
s’engager trop tôt vers les enjeux de 2018… Mais j’ai peu d’éléments
pour être affirmatif. Je pense qu’il est bon que nos compatriotes
puissent s’habituer à voir un Camerounais affronter Paul Biya, en plein
congrès du Rdpc, ou démissionner d’un gouvernement que l’on a bien servi
et dont on a partagé la politique pendant sept ans ».
On ne sait pas si Grégoire Owona a, à présent, davantage d’éléments
pour être affirmatif. Il semble bien, cependant, que les Camerounais
vont s’habituer à bien plus d’événements encore. Comme de voir Maurice
Kamto entrer ou revenir en politique. Soutien de John Fru Ndi en 1992,
l’universitaire a été ministre de Paul Biya pour, maintenant, quitter le
navire et laisser entendre qu’il reprendra du service au grand bénéfice
du Cameroun. Sans ambigüités ni contradictions, à son avis.
Stéphane Tchakam
L’après Biya
Positionnement. L’ancien ministre délégué auprès du ministre de la Justice dévoile ses ambitions.
Aujourd’hui, l’on en sait un peu plus sur les motifs du départ de
l’ex-ministre délégué auprès du ministre de la Justice. Dans une
déclaration rendue publique le 25 janvier dernier, il évoque plusieurs
déceptions. Celle, par exemple, de ne pas voir le « destin exceptionnel »
du Cameroun se réaliser. Maurice Kamto regrette la déchéance du
Cameroun. Celui qui est entré au gouvernement en décembre 2004 évoque
une autre déception, celle qui semble avoir été la goutte d’eau qui a
fait déborder le vase : l’absence de résultats de l’ère Paul Biya. «
J’étais résolu à apporter ma pleine contribution pour la réussite du
septennat qui s’ouvrait en 2004 et qui était joliment baptisé septennat
des grandes ambitions. Je rêvais le président de la République en
bâtisseur. Il fallait qu’il entrât dans l’histoire dans cette stature »,
dit-il.
Maurice Kamto relève aussi le manque de visibilité sur l’après-Biya. Le
président en poste ne prépare pas sa succession, avec toutes les
conséquences que cela pourrait entraîner. Pour le Cameroun, Maurice
Kamto ne souhaite pas « des recommencements infinis qui rythment les
échecs des hommes et où l’histoire débute à chaque nouveau chef de
l’Etat comme s’il émergeait du néant ».
Puisque Paul Biya brouille les cartes de sa succession, Maurice Kamto a
décidé de prendre les devants et apporte des précisions sur ses
projets. « Nous présenterons au pays, dans les temps qui viennent, des
équipes et une idée pour les porter. Il s’agira d’hommes et de femmes
acquis à la cause de la paix, par la justice, respectueux des
institutions de la République et résolument tournés vers l’avenir »,
explique-t-il. Maurice Kamto créera-t-il un nouveau parti politique ou
prendra-t-il la tête d’un parti déjà existant ? Il n’apporte pas encore
de plus amples explications. Ce qu’il tient par contre à préciser est
qu’il ne se bat pas contre Biya. Il se positionne pour l’après-Biya,
tout en souhaitant que celui qui dirige le Cameroun depuis 30 ans
réussisse ses grandes réalisations puisqu’ « une école, un port, une
route, un hôpital, un pont ou un barrage construit ne sera plus à
construire ».
Il revient sur son parcours politique et professionnel : son engagement
politique qui l’a, très jeune, amené à être porté à la tête d’un
mouvement de grève estudiantin en 1979, son refus de l’ « exil
volontaire » à la fin de ses études en France, la prison en 1985 pour
avoir fait une critique d’un ouvrage sur l’ « Idée sociale du chef de
l’Etat », le rôle qu’il a joué en 1994 au plus fort du conflit
frontalier de Bakassi, pour ne citer que ces quelques exemples.
Au plan international, Kamto semble aussi être bien vu, notamment, par
les Américains. Selon les câbles diplomatiques de l’ancienne
ambassadrice des Etats-Unis au Cameroun, Janet Garvey, rendus publics
par le site Internet Wikileaks, Maurice Kamto est le Barack Obama
camerounais. Il est présenté comme l’un des potentiels successeurs du
président Biya, avec une réputation d’intellectuel brillant et intègre,
qui a des idées fortes et progressistes sur la démocratie et les droits
de l’homme.
Anne Mireille Nzouankeu
« Le régime ne peut qu’avoir peur »
Christian Fouelefack. L’enseignant d’université analyse les causes de la démission de l’ex-ministre délégué auprès du ministre de la Justice.
Que pensez-vous de la démission de Maurice Kamto ?
Contrairement à bien de compatriotes, je pense que la démission de
Maurice Kamto est un épiphénomène dans un pays normal. Autrement dit,
c’est normal que celui qui n’est pas d’accord avec un certain nombre
d’actions posées par l’équipe à laquelle il appartient démissionne. Sauf
que celle-ci intervient dans un contexte anormal, un pays où
démissionner relève de l’exploit. Tellement les hommes d’Etat sont tenus
par des contrats et pactes au Cameroun que les convictions et les
ambitions personnelles ne comptent plus. Qu’ils soient d’accord ou pas,
ils restent au gouvernement. A la vérité, Maurice Kamto, qui était
accessoirement ministre délégué à la Justice, est avant tout un
intellectuel de haute facture. Pour un intellectuel qui se respecte, la
conviction c’est quelque chose de primordial. Sa démission est donc un
acte normal ou anormal en fonction de l’angle de compréhension.
Faut-il voir derrière cette démission les batailles politiques à venir tel que Grégoire Owona l’avait souligné ?
Grégoire Owona est un ministre de la République et homme politique bien
informé. Il pèse bien ses mots. Je pense que s’il l’a dit, c’est
évidemment parce qu’il est informé d’un certain nombre de choses. Ce
serait d’ailleurs normal que ceux qui veulent se positionner pour 2018
commencent aujourd’hui à se préparer et à se démarquer. Jusqu’à preuve
de contraire, ce serait tout de même lui faire un procès d’intention
tant qu’il ne l’a pas encore clairement signifié. Je pense que l’on ne
saurait réduire cette démission à la seule bataille à venir si cela
venait à être le cas. Il y aurait aussi un faisceau d’évènements qui
n’ont pas rencontré son accord au sein de ce gouvernement. Ce qui
constitue une des causes du ras-le-bol que Maurice Kamto lui-même
explique. Souvenez-vous, par exemple, de son ministre en chef, Amadou
Ali, qui a été l’auteur de propos d’une gravité incroyable, révélés par
les câbles diplomatiques mis en ligne par le site Wikileaks. Donc, même
si la bataille politique est mise en avant, il peut avoir certaines
frustrations encaissées progressivement au sein de cet appareil.
Fait-il peur au régime ?
Oui. L’auteur de « l’Urgence de la pensée » ne saurait partir sans
émouvoir le gouvernement. D’abord, il est important de noter que
l’inhabitude fait que les enchères de cette démission sont plus élevées.
Ensuite, la carrure de l’homme qui s’en va est très importante à
relever. Ce n’est pas un intellectuel alimentaire. C’est un juriste
prolifique et prolixe. Il est bourré de qualités et peut s’en sortir sur
bien de champs, y compris le champ politique. Il est aimé et respecté
par l’élite intellectuelle. Comment ne pas faire peur dans ce cas ? Le
régime ne peut donc qu’avoir peur de Maurice Kamto, même s’il a, à mon
avis, manqué à plusieurs reprises l’occasion de rentrer dans l’histoire
en démissionnant pour des raisons d’ordre général, telles que
l’arrestation et l’emprisonnement des centaines de jeunes en 2008, les
propos d’Amadou Ali révélés par Wikileaks et le non soutien du Cameroun
pour sa candidature à la Cour Internationale de Justice, etc.
Propos recueillis
par Boris Bertolt
Votre avis : Que vous inspire la démission de Maurice Kamto ?
« Réveil patriotique » : Kah Walla, présidente du Cameroon People’s Party (Cpp)
J’ai suivi comme beaucoup de Camerounais/es la démission du professeur
Kamto de ses fonctions de ministre délégué à la Justice à la veille d’un
remaniement ministériel. Je vois qu’il est l’objet d’un réveil
patriotique. Nous tenons à dire que M. Kamto a le droit de s’exprimer
comme tout autre Camerounais et sa conférence de presse n’aurait pas due
être interdite. De sa communication publique, je retiens trois choses :
1-La nature du régime Biya et son déploiement entraîne le Cameroun
inexorablement vers un affrontement à mort entre le parti-Etat et le
peuple; 2-Que les sources de cette crise sociale se situent
principalement entre le tribalisme érigé en mode de gouvernance et
l'indifférence face au chômage des jeunes qui constituent une
"infra-humanité"; 3-La volonté de M. Kamto de s'inscrire dans un
mouvement de "Renaissance du Cameroun" que porterait une élite éclairée.
Ces constats étaient déjà valides en 2004 quand il entrait dans le
gouvernement Rdpc et ils s’accroissent chaque jour dramatiquement. Son
entrée dans ce gouvernement était inexplicable à cette époque pour
certains d'entre nous qui connaissions ses positions et convictions de
l'époque.
Personnellement, dans une lutte que nous savons longue pour
l'émancipation d'un peuple, je suis volontiers indulgente avec ceux qui
se trompent et s'en rendent compte par la suite. Si je ne tire pas des
conclusions de son mouvement de pendule, je manquerais de rigueur dans
l’analyse et l'appréciation des acteurs. Si on retourne quelques années
en arrière, dans la période qui a précédé l'indépendance et même dans
les années 1990, on retrouve beaucoup d'autres personnalités qui ont
voulu changer le système de l'intérieur et qui se sont rendues compte de
l'impossibilité de la chose.
Il faut donc que je sois encore plus claire: nous serons indulgents
avec Maurice Kamto, mais pas complaisants. Nous sommes heureux que le
vieux camarade nous rejoigne à nouveau dans la lutte. Soit ! Mais ne
perdons jamais de vue qu'il n'y a rien de pire que de penser et d'agir
au nom et pour le peuple sans le peuple. Au Cameroun, en fait (et à mon
avis), on n'a vraiment pas besoin de héros ni d'"hommes providentiels",
mais simplement de gens qui ont une parole et à qui on peut faire
confiance parce qu'ils sont constants et d’un peuple qui se lève et
agit. "The People First", nous disons au CPP. Nous ne croyons
certainement pas à une "élite éclairée". Les Camerounais/es sont
intelligents et ont la capacité de concevoir et construire leur avenir.
Du bendskinneur au grand diplômé, nous avons tous quelque chose à
apporter. A Monsieur Kamto, nous disons : « Bon retour dans la lutte
camarade d'hier et d'aujourd'hui, adversaire d'un moment!»