Il aura passé 15 mois de détention à la prison centrale de Yaoundé, aux côtés de l’ex-Adg de la Camair et de l’ancien Minatd. Emprisonné dans le cadre de l’affaire du Programme international d’encadrement et d’appui aux acteurs du développement (PID), l’ex-représentant résident de cet organisme a été blanchi et libéré par la justice au mois d’août 2012.
Il se raconte que depuis votre relaxe en août 2012, vous faites l’objet de menaces. Elles sont de quel ordre ?
Lorsque des hauts dignitaires du régime vous font savoir qu’il serait sage pour vous de rester motus et bouche cousue sur ce qui vous est arrivé en dépit des persécutions dont vous avez été victime, car tout cela pourrait concourir à salir davantage l’image de notre pays, lorsqu’il vous est intimé l’ordre d’observer le silence pour ne pas attirer les foudres des vieux démons de la répression parce que vous êtes fiché par les services secrets qui peuvent vous kidnapper comme la première fois et vous retourner au cachot d’autorité, lorsque…je crois que cet ensemble de manœuvres s’appelle : harcèlement, intimidation, menaces…
Qu’est-ce que vous appréhendez à travers ces manœuvres?
On n’est jamais à l’abri de quelque désagréable
surprise, même au pire lorsqu’on a survécu à des enlèvements, à des
tortures, à des menaces sur votre vie, à un emprisonnement.
Souvenez-vous que c’est dans votre journal en avril 2011 que le
président du comité de gestion chargé de la restructuration du PID,
Martin Biwole, dans une interview où il faisait savoir que « tous les
fossoyeurs du PID doivent rendre gorge », question de faire entendre sa
détermination à aller jusqu’au bout dans le processus de redressement du
PID, dénonçait les menaces de mort dont son collaborateur, le
représentant résident que j’étais, faisait l’objet. Nous travaillions
résolument pour l’intérêt général.
Des jours plus tard, curieusement j’étais kidnappé par un commando de la
Direction générale des renseignements extérieurs (DGRE), torturé dans
ses cellules, à la police judiciaire, au commissariat central N°1 de
Yaoundé. J’ai été embastillé de mai 2011 à août 2012 à la prison
centrale de Yaoundé. Interdit de soins, j’y ai presque perdu ma vue. En
fin de compte, la justice m’a signifié un non lieu au terme d’une
information judiciaire de 15 mois, au total j’aurais passé 16 mois de
captivité.
Qu’est-ce qui a fait de vous un « acteur gênant » ?
J’ai été victime d’une répression aveugle et tyrannique. Des forces tapies dans le pouvoir voulaient implémenter sur le territoire camerounais les vents révolutionnaires qui terrassaient des dictatures arabes et pousser M. Biya à la porte. La mission de redressement que nous menions contrariait ces projets de déstabilisation à travers la crise du PID.
Tandis que nous avions charpenté un plan de restructuration pour résorber la crise prévoyant le remboursement progressif des cautions à des adhérents impatients à travers le fonds des recouvrements des appuis financiers octroyés, et que le président Martin Biwole avait même initié des poursuites judiciaires contre des présumés responsables de détournements des fonds et des biens sociaux, des spécialistes de la déstabilisation avaient surgi mobilisant et incitant des foules à descendre dans la rue, à marcher sur le palais d’Etoudi.
Le drame c’est que ces pyromanes qui avaient cru devoir exploiter la crise du PID pour générer une insurrection populaire avaient maintenu ces mouvements incitatifs aux troubles sociaux malgré la mise en œuvre des enquêtes judiciaires par les pouvoirs publics. Il y a lieu de s’émouvoir de leur étonnante impunité.
Quelle est la trame des menaces et intimidations exercées sur vous aujourd’hui ?
Manifestement ma cohabitation avec Yves Michel Fotso et Marafa Hamidou Yaya durant mon séjour en prison est un délit. C’est le délit de cohabitation (rires). Le règne de la surenchère, de la manipulation, de l’affabulation, des mensonges pour régler les comptes est à son pic au sein de l’establishment. Les Camerounais ont longtemps franchi les frontières de l’éthique citoyenne, de la peur de Dieu, ils déciment des vies sans vergogne.
Vous avez côtoyé Marafa Hamidou Yaya et Yves Michel Fotso à la prison centrale de Kondengui. Quels genres de prisonniers étaient-ils ?
Au Cameroun, il y a un système d’accompagnement diffamatoire et mensonger qui consiste à vous dépouiller de toute honorabilité, de toute présomption d’innocence lorsque vous êtes embastillé. C’était des détenus ordinaires, soumis aux mêmes tortures. Nous étions tous embastillés au 13 bis, un bâtiment nouvellement construit de quatre cellules classé en quartier VIP.
Placé en isolement dans la cellule N°1, M. Yves Michel Fotso en était le premier et unique occupant lorsque j’arrive en mai 2011. Le régisseur s’était fait le devoir de m’y transférer, j’étais traqué par des affabulations de détournement de 4 milliards FCFA dans l’affaire PID.
Je découvre un Yves Michel Fotso bien qu’affecté par ses déboires judiciaires, mais déterminé dans son combat pour la justice et la liberté. Il me faisait cas des désaffections amicales, des retournements de veste dans son entourage, des dissensions familiales.
En dépit de ses propres tribulations, il était devenu le recours des nécessiteux de tous bords, prisonniers et personnel pénitentiaire confondus. Fait remarquable, son sens de générosité et de partage s’accompagnait d‘un effort de discrétion absolue. Nous avons vécu ensemble un an durant jusqu’à sa déportation nocturne du 25 mai 2012 pour le SED.
Le ministre Marafa Hamidou Yaya a séjourné parmi nous durant 45 jours. A notre premier contact le jour de son arrivée à Kondengui, dans la cellule N°4 où il venait d’être affecté, c’est un homme à la fois flegmatique et sobre, en rien impressionné par son emprisonnement. C’est cet homme que je rencontre. Il me confie que : « même s’il me venait à disparaître, il y aura d’autres Marafa ».
Au régisseur de la prison qui l’avait reçu des heures plus tôt, il avait signifié qu’il est un prisonnier politique, mais que son embastillement pourrait malheureusement lui engendrer des ennuis, à lui simple fonctionnaire affecté à son musèlement. Le régisseur n’a pas tenu un mois de plus à son poste. M. Marafa avait fait montre d’une extraordinaire adaptation en milieux carcéral de même qu’il avait su se faire adopter par les prisonniers à travers ses sorties épistolaires.
Quelles étaient vos conditions de détention?
Elles étaient très rudes à mon arrivée ; nous faisions face à des traitements inhumains. Pas accès aux soins, j’en ai presque perdu la vue. Une traque morale et psychologique était exercée sur nous. Dès 18h nous étions séquestrés dans des cellules, lesquelles n’étaient rouvertes par nos geôliers que le matin à 07h, parfois au-delà. Il est arrivé que nous soyons séquestrés jusqu’à 10h. Nous étions les seuls dans la prison centrale à être soumis au même régime que les condamnés à mort.
C’était une période d’enfer. M. Yves Michel Fotso était brocardé comme le prisonnier le plus dangereux. La prison fourmillait de rumeurs de toute sorte à son sujet. Il se racontait par exemple qu’il disposait d’un commando d’élites sud-africaines qui viendrait organiser son évasion. Le pouvoir s’était cru obligé d’infiltrer des espions et des agents jusque dans nos cellules en plus du dispositif sécuritaire affecté aux contrôles de nos moindres faits et gestes.
Est-ce qu’il vous est arrivé de discuter avec eux de l’affaire de l’avion présidentiel ?
Oui, nous avons souvent parlé des affaires et des affaires de l’avion présidentiel, non pas d’une seule. Mais essentiellement avec M. Yves Michel Fotso avec qui nous avons passé plus de temps. Il y a eu la première affaire aux Etats-Unis, affaire entendue ici comme procès. C’était lors de la liquidation de GIA international.
Cette affaire m’avait-il appris, fut jugée devant les tribunaux américains par la signature d’un accord dénommé « Settlement agreement and mutual release ». Le Cameroun héritant de 52 °/° des actifs de la liquidation de GIA International avait bénéficié d’un Boeing 767-200 d’une valeur de $ 16 Millions qu’avait acheté GIA chez Rothwell, et d’une somme de $ 853 163, 27. Qu’en vertu d’une disposition de cet accord, il était exempt des poursuites judiciaires en qualité d’ancien dirigeant de la Camair. Il y fondait sa foi en la justice et l’espoir de recouvrer la liberté.
La deuxième affaire de l’avion présidentielle, c’est celle pour laquelle il était incarcéré. M. Yves Michel Fotso confiait qu’il redoutait d’être pris dans un concasseur visant à broyer politiquement son ami Marafa dopé par des ambitions présidentielles. Qu’on avait fait croire qu’il était son pourvoyeur de financements. Il nourrissait ces inquiétudes sur deux faits : on lui avait demandé de livrer le ministre Marafa et de sortir de la banque CBC dont il est le promoteur contre sa libération, m’avait-il confié.
De curieux émissaires de la présidence venaient souvent le rencontrer au bureau du régisseur de la prison. Il leur répondait qu’il n’était pas le bon inventeur de mensonges. Selon lui, il payait le prix de son amitié avec Marafa. Un jour, alors que le hasard avait voulu que nous nous retrouvions dans la cellule N°4 du ministre Marafa, il l’a presque agressé en ces termes « C’est toi qui m’a emmené en prison!» Marafa ne comprenant pas où est-ce que son jeune ami allait en venir, il était ébahi. Et de lui demander : « Mais comment ça Yves ? » «Mais puisqu’on m’a demandé de te livrer», avait répliqué Yves Michel Fotso.
Comment ces détenus furent transférés de la prison de Kondengui au Secrétariat d’Etat à la Défense ?
C’est un évènement qui a plongé la prison dans l’émoi et la consternation. L’on était renseigné sur leur éventuel transfèrement depuis des jours. Les anciens ministres Atangana Mebara, Olanguena Awona, Henri Engoulou et l’ex-premier ministre Chief Ephraïm Inoni étaient aussi cités. Le débat était à son pic sur les violations de loi impliquant leur éventuel bâillonnement dans un camp militaire, jusqu’à ce que surviennent l’enlèvement nocturne du vendredi 25 mai 2012 aux environs de 20h par un commando du SED.
Cette opération militaire dans une prison fut émaillée des violences et des tortures abominables sur le détenu Yves Michel Fotso. La protection, la préservation de l’intégrité tant physique, que morale et psychologique des personnes en détention est pourtant un principe des droits universels de l’Homme. Le Cameroun a réalisé un recul antique dans la barbarie.
Le silence des autorités camerounaises à la suite de ces graves incidents me semble ambigu. Il flottait une ambiance de peur et de deuil en prison, il planait comme une sorte d’incertitude sur le sort qui leur sera réservé. Lors des célébrations de messes et cultes le dimanche d’après, des détenus appelèrent à des intentions de prière et de messe pour recommander ces frères à la protection de Dieu.
Quel retentissement avaient les lettres de Marafa Hamidou Yaya au sein de la prison ?
La présence de l’auteur soit parmi nous concédait forcement une résonance autrement particulière à ces correspondances. C’étaient des obus qui transpiraient courage et défiance, laissant frémir des fracas d’une rupture entre M. Marafa et M. Biya. La population carcérale s’était mise à rêver de voir d’autres pontes reclus jaillir de leur mutisme de carpe pour exposer au peuple les tréfonds nauséeux du système dont ils ont été des piliers. Ce ne fut qu’un rêve.
Dans un environnement où la majorité privée de liberté n’est pas jugée, où les victimes de l’injustice et de l’arbitraire pâtissent des défaillances et atrocités du système, le pourfendeur passe naturellement pour le rédempteur, le sauveur. A chacune de ses rares sorties pour une communication au parloir, il était affublé de « monsieur le président.» Les détenus lui avaient pardonné d’avoir été un pilier du système qu’il pourfendait. Plus sérieusement, les révélations contenues dans ces correspondances ont ravivé au sein de la population carcérale le sentiment d’une justice à tête chercheuse, d’une justice à la solde du plus fort. D’où ces interrogations sans réponses qui hantaient les prisonniers.
Comment le bénéficiaire des actes de corruption ayant provoqué la mort de 71 personnes dans le crash du Boeing 737 de la Camair le 03 décembre 1995 pour mauvais entretien n’a-t-il jamais été inquiété et de surcroît, jouit de la confiance du président de la République? Où sont partis les 32 milliards 500 000 FCFA remboursés au Cameroun dans un compte de la SGBC à Paris par la SAA (South African Airways) coupable d’actes de corruption dans son contrat avec la Camair ?
Marafa avait-il rédigé les trois premières lettres du fond de sa cellule, à Kondengui ?
M. Marafa écrivait ses lettres depuis sa cellule. A ce que je sache, il consacrait l’essentiel de son temps à l’écriture en général notamment celle de ses « pré-mémoires ». Il était seul maître de son timing et réussissait à générer l’effet surprise à chacune de ses sorties épistolaires. Après ses deux premières correspondances, lors d’un échange qu’il m’avait fait honneur de partager, je lui avais fait savoir que par respect pour les Camerounais auxquels il s’adressait, il serait indiqué de leur parler de l’affaire qui l’avait entraîné dans les liens de la Justice.
Que ce vœu émanait des nombreuses réactions qui découlaient de ses deux premières lettres. Il m’avait rétorqué qu’il se réservait le droit de le faire à travers un procès équitable, devant une justice indépendante. Quelques jours plus tard, le locataire de la cellule N°4 du quartier 13 bis rendait public sa troisième missive. Elle portait sur l’affaire BBJ-2. M. Marafa avait donc silencieusement décidé de répondre à la poussée d’interrogations des Camerounais qui se demandaient pourquoi il ne s’exprimait que sur des sujets autres que celui pour lequel il était présumé être incarcéré.
Fotso et Marafa entretenaient-ils toujours des rapports étroits en prison ?
La relation amicale entre les deux hommes est de notoriété publique. Celle-ci n’a aucunement été altérée par leurs déboires judiciaires. Lorsque M. Marafa est écroué à Kondengui, l’administration pénitentiaire est face à un dilemme: où le loger? Yves Michel Fotso est en prison depuis 16 mois déjà. Le seul bâtiment alors vide est le Quartier 5 bis à côté du quartier 5 féminin. Le régisseur opte d’y transférer l’ancien premier ministre Inoni Ephraïm.
Pour des raisons d’inconvenances évidentes, il s’est gardé d’y transférer l’ex Minatd. Les mêmes préoccupations vont se poser pour les quartiers VIP 7 et 11 où sont détenus respectivement l’ex-SGPR Jean Marie Atangana Mebara et M. Hubert Ottele Essomba. Le Dga de Apm avait même exprimé son aversion contre un éventuel transfèrement de Marafa dans son quartier.
C’est dans ces circonstances que l’ex-Minadtd est finalement transféré au Quartier 13 bis dont son ami Yves Michel Fotso était le « commandant », une sorte d’interlocuteur entre les détenus du quartier et l’administration pénitentiaire. Ce n’est pas Yves Michel Fotso qui avait été demandeur. Contraints de cohabiter, d’échanger, de partager, leurs rapports sont demeurés étroits, je dirais plutôt qu’ils se sont même renforcés dans l’épreuve.
Vous respirez maintenant de l’air frais, celui de la liberté. Comment appréciez-vous les peines infligées à Yves Michel Fotso et Marafa Hamidou Yaya ?
J’ai humainement été bouleversé par le sort de mes anciens compagnons d’infortune. On ne peut commenter une décision de justice. Je suis fortement engagé contre les atteintes à la fortune publique, à l’intérêt général de façon globale. Mais j’ai engrangé une connaissance assez consistante des faits portant sur l’affaire BBJ2. Je m’en suis constitué une opinion, mais une opinion n’a pas force de décision de justice malheureusement. L’ultime round de l’affaire BBJ2 va se jouer au TCS dans le cadre du pourvoi. Je suis fondé de faire confiance à la Justice jusqu’au bout dans cette affaire en dépit des manœuvres d’obstruction à une justice équitable et indépendante qui impactent et discréditent l’opération épervier.
Le procès aura lieu, des juges de la haute cours fédérale des Etats-Unis ont approuvé la plainte. Elle est pendante devant le tribunal fédéral d’Eugène dans le district de l’Oregon sous le numéro de procédure 06h12-cv-01 415-TC. Elle oppose M. Yves Michel Fotso contre l’Etat du Cameroun et autres, c'est-à-dire l’officier et le sous officier de gendarmerie l’ayant torturé lors de son kidnapping à Kondengui pour le SED.
Selon Me Kelly l’avocat américain de M. Yves Michel Fotso, l’affaire sera jugée en vertu de l’ «Alien Tort Statute» (ATS), une loi américaine qui est devenue populaire dans les années 1980 comme un instrument de défense des droits universels de l’homme devant les juridictions américaines et de la violation par l’Etat du Cameroun, à travers les poursuites judiciaires contre l’ancien Adg de la Camair, du « Settlement Agreement », l’accord signé suite à liquidation de GIA international.