Marchandage autour de la citoyenneté

Cameroun : Marchandage autour de la citoyennetéSemences, intrants agricoles, espèces sonnantes...,sont proposés aux Camerounais après une inscription sur une liste électorale

Pour s’inscrire, le pouvoir installe la corruption

Au jour J moins 2,  Elecam atteindra t-il le chiffre fétiche de 7 millions d’électeurs ? Tous les moyens sont bons pour réveiller le civisme au cœur des populations, afin qu’elles accomplissent le geste citoyen qui consiste à s’inscrire sur les listes électorales. Au nombre des moyens utilisés, la communication n’a pas prospéré. Alors  à défaut de contraindre les électeurs à accomplir leur devoir de citoyen dans un pays normal,  des responsables politiques accompagnés des experts d’Elecam ont choisi l’intéressement, d’autres diraient la corruption pour amener les électeurs à s’inscrire.

Rien n’a été laissé au hasard. Elecam est sorti des bureaux feutrés pour la rue, les bars, les agences de voyage etc. Ce qui aurait pu être perçu comme un travail de proximité a plutôt créé un doute. Pourquoi cet acharnement à amener les populations à accomplir leur devoir citoyen ? Y a-t-il urgence en la demeure ? D’aucuns ont vu dans cet activisme la volonté du pouvoir à organiser les sénatoriales.

Mais il apparait que les sénatoriales participent  du suffrage indirect. En effet, aux termes de l'article 222 de la loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral, «les sénateurs sont élus dans chaque région par un collège électoral composé de conseillers régionaux et de conseillers municipaux». Effectivement, les conseillers régionaux qui n’existent pas encore ont été ignorés et seuls les conseillers municipaux constituent les grands électeurs. Mieux, il s’agit non pas des cartes prises en compte dans le cadre de l’inscription sur les listes électorales.

L'article 225 quant à lui dispose que tout électeur sénatorial reçoit une carte d'électeur sur laquelle figurent ses nom et prénom, date et lieu de naissance, photos, empreintes digitales, nature du mandat électif, filiation, profession, domicile ou résidence. Les sénatoriales sont donc périphériques à la préoccupation d’Elecam de faire le plein d’inscrits  avant terme, alors que les populations ont jusqu’à la convocation du corps électoral pour s’inscrire, déjà que l’on pourrait se passer des non-inscrits et organiser les élections quelles qu’elles soient.

C’est ici que l’empressement d’Elecam et d’autres acteurs de la société civile, la classe politique, à conduire tout le monde dans les bureaux d’inscription demeure suspect. En dehors des sénatoriales, une élection peut-elle en cacher une autre ? Pourquoi cette absence de calendrier électorale qui pourrait édifier les citoyens, votants et éligibles, afin de se préparer en conséquence ?

Unanimisme politique

Or, depuis 1992, en tout cas après la présidentielle,  les législatives et les municipales de cette époque- là, les populations ont commencé à marquer leur défiance vis-à-vis des urnes confisquées. Depuis le retour au multipartisme au Cameroun, toutes les élections ont été contestées tant par les acteurs que par les observateurs sérieux. Conséquence, les inscrits ont commencé à se faire rares, les votants aussi. Aujourd’hui, personne ne croit plus à la volonté des pouvoirs publics de favoriser un tant soit peu l’alternance démocratique. A quoi bon voter alors si le pouvoir Rdpc vote pour tout le monde ? A quoi bon s’inscrire si, au demeurant, les doublons sur les listes électorales sont légions?

Plus grave, le personnel politique tous bords est déprécié. Les opposants ne font plus rêver. Petit à petit, l’unanimisme politique s’est donc installé, amenant les partis à suivre le pouvoir dans sa logique de confiscation du pouvoir par les urnes. Les partis politiques, toutes tendances confondues, se sont lancés dans la mêlée, la corruption en plus. Certains proposent dans les zones rurales des intrants agricoles, des semences, pour ceux qui s’inscrivent. D’autres toute honte bue, sans possibilité de faire quoi que ce soit dans ce sens, proposent des soins de santé gratuits pour les citoyens qui s’inscriraient sur les listes électorales…avant la date butoir de fin mars fixée par Elecam, en toute violation du règlement en la matière.

Focal. Inscription-corruption

La participation des populations camerounaises à des élections au Cameroun tend ainsi à se réduire à une «affaire de sous», et à s'institutionnaliser comme une opportunité de gain et de lucre. L'on voit des caravanes de grands commis de l'Etat mobilisés avec les moyens de l'Etat écumer le territoire national au prétexte de ces inscriptions, avec des mallettes garnies d'espèces sonnantes et trébuchantes destinées à lubrifier les articulations de tous ces pauvres qui auront consenti de se déplacer devant les guichets des inscriptions.

Bien des confidences sur ces inscriptions inscrivent donc le Cameroun dans le registre de la « mercantilisation électorale ». En ce qui concerne la gratuité de la carte nationale d’identité, Charly Gabriel Mbock le dit avec son langage savoureux : «Point ne sera donc besoin de s'attarder sur l'injure faite aux Camerounais par l'invitation à brader leur identité nationale par laquelle se reconnaît leur citoyenneté ; il n'en demeure pas moins que par son indécence, cette drôle d'invitation établit la propension du pouvoir de Yaoundé à exploiter jusqu'à l'indigence des populations pour compenser ses propres manquements civiques. La mise en gratuité de la carte nationale d'identité confirme déjà la paupérisation d'une population. Elle confirme surtout que du fait de son indigence, cette population avait été exclue de ses droits - dont le plus imprescriptible est celui de jouir d'une identité nationale, partant d'une nationalité. Faute de Carte nationale d'identité (Cni) il existe donc encore des Camerounais expatriés de l'intérieur du Cameroun, étrangers à leur propre pays, de véritables Apatrides nationaux non identifiés (Ani)».

© Le Messager : Edouard Kingue


27/03/2013
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