Monsieur le Président de la République,
Je vous écris de la prison centrale de Kondengui où je suis incarcéré.
Avant tout, je réitère solennellement mon innocence pour les faits qui
semblent m'être reprochés et j'espère bien avoir l'opportunité de le
prouver devant les tribunaux compétents.
Si je vous saisis aujourd'hui, c'est pour solliciter à nouveau que justice soit rendue dans une autre affaire d'avions (déjà!) où j'avais injustement été incriminé il y a plus d'une dizaine d'années. Décidément, l'histoire a l'art de bégayer ou plutôt de se répéter.
Rendez-moi enfin justice et indemnisez les
victimes. Car seule une application saine de la justice permettra à
notre Pays de bâtir une société de confiance.
D'emblée, permettez-moi de présenter mes très sincères excuses à nos
compatriotes qui ont perdu des êtres chers dans le crash du Boeing 737
de la Camair à Douala en 1995. Je ne réveille leur douleur que pour
demander à nouveau que justice soit enfin rendue et que les ayants-droit
des victimes de cet accident soient adéquatement indemnisés. C'est
aussi cela le rôle de l'État.
En mai 1994, des accords écrits avaient été conduits à Paris, en France, par lesquels la South African-Airways (Saa) s'engageait à assurer la maintenance des Boeing 737 et 747 appartenant à la défunte Camair.
Du fait de la défaillance et de la grossière
négligence dans l'exécution de ces contrats, le Boeing 737-200
immatriculé TJ-CBE et baptisé Le Nyong, s'est écrasé à Douala le 03
décembre 1995, coûtant la vie à soixante et onze (71) personnes. De
même, en 1997, le Boeing 747-200 Combi, Le Mont Cameroun, a perdu un
réacteur en plein vol, aux environs de Paris, en France. Un de nos
compagnons de détention à Kondengui était un des passagers de ce vol. Il
en est encore traumatisé (..)
En 1999, alors que j'étais Secrétaire général de la présidence de la
République, le Ministre d'État délégué à la Présidence, chargé de la
Défense, Monsieur Amadou Ali vous a fait parvenir une note résultant
d'un entretien qu'il a eu avec son ami Mila Assoute, d'où il ressort que
la négligence de Saa était due au fait que cette entreprise corrompait
des autorités du Gouvernement camerounais et de la Camair.
Cette corruption mise à nu, rendait juridiquement nuls les contrats conclus entre Saa et Camair. De ce fait, les paiements de soixante-cinq (65) millions de dollars US (soit au taux de 1$US = 500 frs Cfa, Trente-deux milliards cinq cent millions (32.500.000.000) francs Cfa) perçus par Saa dans le cadre de ces contrats devraient être restitués à Camair. En outre, des dommages et intérêts devraient être exigés.
A l'époque le Ministre d'État, qui m'a toujours
jalousé pour des raisons qui lui sont propres et avec qui j'ai entretenu
des relations heurtées pendant notre cohabitation au Gouvernement,
ainsi que les autres intervenants camerounais dans ce dossier, m'ont
présenté comme le principal bénéficiaire des fruits de cette corruption.
Dès lors, tout a été mis en œuvre pour que ma "culpabilité" soit connue
de tout le monde. Les mêmes journaux qui ont préparé l'opinion en vue de
mon incarcération avaient été mis à contribution, dans le cadre d'une
campagne haineuse et particulièrement violente à l'époque.
Imaginez-vous, Monsieur le président de la République. J'étais votre principal collaborateur. Vous me receviez en audience tous les jours. J'étais supposé être au centre de ce tragique scandale, et je devais vous regarder dans les yeux tous les jours (…).
Sur vos instructions, j'ai saisi par
correspondance en date du 26 août 1999, le directeur général de
Trans-Net Ltd de cette affaire (cf. Annexe 1). Par la suite, j'ai signé
un arrêté en date du 14 novembre 2000 portant création d'un comité de
suivi de l'exécution des contrats de maintenance des avions entre Camair
et Trans-Net-Saa (cf. Annexe 2).
Ce comité avait pour mission entre autres, «d’ester en justice et
défendre les intérêts de Camair et de l'État du Cameroun dans les
différends pouvant naître à l'occasion de l'exécution de ces contrats».
Dans le cadre du travail de ce comité, le
mécanisme de cette corruption a été mis à nu, les différents acteurs et
bénéficiaires ont été identifiés et certains l'ont reconnu formellement,
au vu du rapport de mission en date du 07 décembre 2000 que le comité
vous a adressé.
A Aucun moment mon nom n'a été associé à cette scabreuse affaire. Je
vous avais alors proposé que le gain financier que notre pays devait
tirer de l'action engagée en justice puisse être utilisé de la manière
suivante:
a) Indemniser les ayants-droit des victimes de
l'accident du Boeing 737 à hauteur de cent millions (100.000.000) de
francs Cfa par personne.
b) Renflouer la Camair avec la différence afin de consolider les fonds propres de cette compagnie.
Dès lors, j'étais devenu le témoin gênant. En effet, ceux qui avaient
intérêt à ce que je sois présenté comme le bénéficiaire des fruits de
cette corruption avaient été formellement démasqués et ont été pris de
panique. Non seulement la presse ne parlera plus de cette affaire, mais
une stratégie insensée et diabolique sera mise en œuvre pour me
discréditer définitivement.
C'est ainsi que les concernés ont pris langue avec Monsieur Bantu
Holomisa, à l'époque membre du parlement sud-africain, président du
parti politique "United Democratic Movement" et en mal de notoriété.
Celui-ci a écrit une lettre ouverte en date du 27 mars 2002 adressée à
Son Excellence Thabo Mbeki, alors président de la République d'Afrique
du Sud et à vous-même (cf. Annexe 3); lettre qu'il a lue en séance
plénière du parlement sud-africain, demandant la constitution d'une
commission d'enquête judiciaire sur l'affaire de corruption impliquant
la société Transnet.
Dans cette lettre, Monsieur Bantu Holomisa reprend, selon lui, les allégations faites dans la presse camerounaise selon lesquelles mon épouse (Nommément citée) aurait fait plusieurs voyages en Afrique du Sud pour recueillir les pots de vin de la société Transnet.
Effectivement, à l'époque, mon épouse avait fait
plusieurs voyages en Afrique du Sud pour des raisons de santé. Elle y a
subi plusieurs hospitalisations et opérations chirurgicales dans des
formations sanitaires et par des praticiens également connus. Elle
continue d'ailleurs à s'y rendre et à s'y faire suivre; son dernier
voyage remonte au mois de mars 2012 (…).
J'ai sollicité une audience au cours de laquelle je vous ai fait part de
cette mise en garde de mes avocats. Vous m'avez demandé de mettre fin à
cette procédure afin de préserver les intérêts de notre pays. A mon
corps défendant, j'ai dû suspendre cette procédure, me privant ainsi de
l'opportunité de restaurer mon honneur et celui de mon épouse.
Je vous ai réitéré, à l'occasion de cette audience, la nécessité
d'indemniser les ayants-droit de l'accident du Boeing 737 à hauteur de
cent millions (100.000.000) de francs Cfa par personne, comme je vous
l'avais déjà proposé. Ce qui serait justice.
Quelle ne fut ma consternation lorsque quelques années plus tard, les bénéficiaires de cette corruption ont été promus dont certains à des fonctions gouvernementales! Je vous avais alors fait part de Mon refus de collaborer avec Monsieur Issa Tchiroma en particulier, par respect pour la mémoire de mes deux (02) amis et des autres victimes du crash du Boeing 737 de la Camair en 1995.
Monsieur le Président de la République,
Rendons justice à ces victimes. Car seule la justice nous permettra collectivement de bâtir une société de confiance.
Les tergiversations pourraient excéder et exaspérer nos compatriotes,
comme elles ont excédé et exaspéré Cromwell à son époque pour moins que
cela.
Monsieur Le Directeur Général de Transnet Ltd Private Bag x 47, Johannesburg - South Africa 2000
Monsieur Le Directeur Général,
Nous avons l'honneur de vous adresser la présente lettre au sujet des accords écrits conclus à Paris, France, en mai 1994, par lesquels la Saa s'engageait à assurer la maintenance des Boeing 737 et 747 appar¬tenant à la compagnie publique Camair.
Selon des informations reçues de Advanced Technics
Trust Ltd et confirmées ensuite par une mission d'enquête dépêchée a
Johannesburg, dont les membres ont rencontré les dirigeants de Transnet
LTD le 06 juillet 1999, vous affirmez clairement dans votre réponse à
une instance introduite contre vous par ATT à la High Court de
Johannesburg que vous n'êtes pas tenu de payer la somme due à ATT parce
que l'accord aux termes duquel vous deviez le faire est illégal en
raison du fait que, et nous citons «il a été conclu pour pouvoir verser
des pots-de-vin à des cadres de la Cameroon Airlines (Camair) et à des
hauts fonctionnaires camerounais afin de les influencer, en leur qualité
de responsables de l'attribution des marches de la Camair ou en tant
que personnes dont la collaboration et/ou le consentement et/ou
l'intervention dans l'attribution de tels mar¬chés étaient requis, pour
qu'ils concluent, collaborent à la conclusion, facilitent la conclusion
ou approuvent la conclusion entre South African Airways et la Camair
d'un portant sur des services de maintenance à effectuer sur les avions
de la Camair».
Il ressort également que vous avez déclaré dans votre réplique que vous
avez donc versé, à titre de pots-de-vin, la somme de 26.971.178,39 ZAR à
ATT.
Pour notre part, nous ne sommes toujours pas au courant de la corruption
dont vous parlez. Toutefois, nous sommes stupéfait que vous admettiez,
très sincèrement avoir intentionnellement et consciemment versé, à des
fins de corruption, plus de 26.971.178,39 ZAR à des employés de la
Camair et à des autorités camerounaises influentes pour inciter la
Camair à conclure un contrat avec vous.
Permettez-nous de vous informer qu'aux termes des articles 134 et 142 du Code pénal camerounais, la corruption est un délit. Les déclarations contenues dans le dossier au Tribunal et celles publiées dans la presse et sur Internet ne constituent pas seulement une grossière diffamation à rencontre de l'État camerounais et de la Camair, mais aussi un sérieux préjudice quant aux contrats passés et en cours de validité entre Saa et la Camair.
Par conséquent, nous vous deman¬dons, dans un délai de 15 jours après réception de la présente lettre :
1- de nous communiquer les noms de tous les employés de la Camair et des
hautes autorités camerounaises qui se sont laissés corrompre ;
2- de préciser les montants, les noms des bénéficiaires et le mode de paiement ;
3- d'expliquer en vertu de quoi :
a. les contrats conclus entre la Camair et vous en mai 1994 à Paris ne
devraient pas être considérés comme nuls et non avenus, compte tenu de
vos aveux de corruption, dont la conséquence serait le remboursement des
65 millions dollars EU que la Camair vous a versés.
b. le contrat en cours avec la Camair ne devrait pas être résilié en
raison de votre mauvaise foi et les sommes versées dans le cadre dudit
contrat restituées.
c. l'État camerounais et la Camair ne pourraient pas demander réparation en vous estant en Justice pour diffamation.
d. l'État camerounais et la Camair ne pourraient pas, étant donné votre
conduite, vous rendre responsable des deux accidents, premièrement celui
du Boeing 737 à Douala le 05 décembre 1995 qui a coûté la vie à de
nombreuses personnes et, deuxièmement la perte du réacteur du Combi 747 à
Paris en 1997, du fait de votre défaillance ou de votre grossière
négligence dans l'exécution des contrats conclus avec la Camair.
Nous nous réservons le droit d'entreprendre toute action en attendant votre réponse.
Veuillez agréer, Monsieur Le Directeur Général, l’expression de notre haute considération./-
Annexe3 3
«Lettre ouverte de M. H.B. Holomisa, député, président du United
Democratic Movement (Afrique du Sud) à leurs Excellences Messieurs Thabo
Mbeki, president de la République Sud-africaine, et Paul Biya,
président de la République du Cameroun
Objet : Demande de constitution d’une commission d’enquête judiciaire
sur l’affaire de corruption impliquant la société Transnet.
Excellences,
Au cours d'une récente session parlementaire, j'ai soulevé le problème
d'un pot-de-vin de 26,9 millions de rands versés par Transnet dans ses
transactions au Cameroun. Veuillez trouver ci-joints une copie de mon
discours et des documents qui étayent mes déclarations. Si nous nous
félicitons de ce que l'affaire soit aujourd'hui portée devant les
tribunaux, l'argument selon lequel l'affaire est en instance, ce qui
interdit tout commentaire de la part du gouvernement, ne saurait
s'appliquer dans ce cas, étant donné l'importance de la couverture
médiatique et les nouvelles révélations faites dans les médias
camerounais » .