MARAFA : LE CONFLIT DES SYMBOLES ET LA FABRIQUE D’UN MARTYR DE PACOTILLE

Marafa Hamidou Yaya:Camer.beContrairement à ce qui nous est souvent donné de voir, l’affaire dans laquelle est empêtré l’ancien puissant Ministre d’Etat avait ceci de particulier qu’à l’énonciation du verdict, l’on s’attendait déjà à d’autres spectres que les seules habituelles issues que sont la culpabilité ou la non-culpabilité. Ce qui fait que pour nombre d’observateurs, Marafa allait en sortir avec un statut de « martyr » s’il était condamné ou de « héros » s’il était acquitté, chacune de ses issues étant presque honorable pour l’ambitieux politicien, officiellement toujours membre du cénacle du parti au pouvoir, que le chef de l’Etat a paradoxalement voulu mettre en disgrâce.

Rien pourtant ne présageait un tel renversement pour ce proche collaborateur de Biya qui, ayant eu des occasions, n’a construit aucune légitimité historique pouvant faire de lui un martyr ou un héros. Avant l’arrestation de l’ex-Ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation et ex-Secrétaire Général de la Présidence de la République, plate-forme des renseignements nationaux, nombreux étaient les Camerounais qui voyaient en cet ancien cacique du régime, sinon la figure de proue de nombreuses répressions sanglantes ayant précipité des centaines de Camerounais dans les prisons et/ou dans les tombes comme en février 2008, du moins l’un des principaux responsables des mascarades électorales pour soutenir vaille que vaille un régime en échec, qui enfonce un peu plus chaque jour le peuple dans la misère sociale. Même agissant sous les ordres, des crimes de sang contre le peuple qui ne revendiquait que ses droits les plus élémentaires sont aussi imputables à Marafa, qui a clairement pris le parti du tyran plutôt que celui du peuple. Cela s’appelle une trahison. D’ailleurs, traitre dans l’âme, il n’aura aucun remord à livrer ses anciens collaborateurs. Lucien Émile Arnault avait raison : « qui put trahir quelqu'un n'est fidèle à personne ». Vu sous cet angle, la disgrâce de Marafa ne pouvait émouvoir. 

Et pourtant, elle émeut ! Parce que des précédents existent pour établir que tous les collaborateurs de Biya qui ont eu des ambitions présidentielles se sont retrouvés englués dans des procès politiques larvés (Titus Edzoa, J.-M. Mebara, etc.). On comprend que dans ce duel à distance, le peuple est plus que divisé mais avec du recul, la majorité n’est ni pour Marafa, ni pour Biya, renvoyés dos à dos et rangés dans le même sac. Et se complaisant en intrigues, en traitrises, se rendant coup pour coup, boudant dans leur coin comme des collégiennes trop gâtées. Avec ses préoccupations existentielles, il n’est pas faux de dire que l’attitude du peuple était comparable à celle d’un captif espérant sa libération en voyant se battre ses bourreaux. 

C’est pourquoi depuis la publication de ses lettres où il mit à nu, preuves à l’appui, l’amateurisme du régime dans la gestion du bien commun, Marafa passait facilement pour une victime et s’est attiré tous azimuts un capital de sympathie qui fit de son procès le plus médiatisé qu’aura connu le régime groggy de Paul Biya. On en oubliait presque que, tant que tout allait bien pour lui, et pas pour le peuple, ce système retors lui convenait. Allons donc : Marafa, victime d’un système qu’il a soutenu et consolidé à la tête de l’administration du territoire national ? Tyran du peuple et en même temps martyr de celui-ci ?

Ennemi de la démocratie, Marafa n’est pas l’homme providentiel qu’il faut au Cameroun. Le peuple ne veut pas d’un traitre pour Messie. Il n’est pas son Sauveur. Il n’est pas non plus martyr. Tout au plus, un faux, précautionneusement encagoulé, déguisé, ruminant son humiliation derrière son masque. Il n’aura pas de destin national. En tout cas, ce n’est pas bon pour le peuple, pour qui il n’est rien sans ses lettres. D’ailleurs, il nous doit bien une lettre sur le pétrole, lui qui fut PCA de la Société

Nationale des Hydrocarbures. Oui, « on aime la trahison, mais le traître est odieux », disait César Auguste dans « Vies parallèles » (Plutarque - Romulus). Que Marafa ne se fasse donc pas d’illusion, pas même sur l’équité de son procès. Car même maquillé dans une affaire de prévarication avérée, un procès politique n’est jamais équitable. Le peuple n’en a « rien à cirer » d’un Narcisse qui n’a jamais eu d’yeux que pour lui-même.

Ainsi des 10.000 pièces de procédure versées aux greffes, environ 25 kg de dossier, dont aucune des parties au procès, pas même les juges, n’auront le temps de s’imprégner en une dizaine de semaines, qui s’en est inquiété vraiment ? Pas le peuple en tout cas. L’expertise, la technicité de ces pièces et la complexité des débats en l’absence d’un peuple tenu à l’écart par des brigades armées ne fait aucun doute sur le bâclage du procès dans lequel l’Exécutif n’a cessé de régenter l’essentiel des actions. Biya lui-même n’avait-il pas poussé le bouchon jusqu’à demander au juge, supposé indépendant, une explication pour le verdict d’acquittement rendu en faveur de Mebara ? Où en est-on avec la séparation des pouvoirs,  « principe de base » (Thomas Hobbes) d’une république démocratique ? Biya n’ordonna-t-il pas une enquête contre le précédent juge, devenu incontrôlable ? Rien que ça !

On comprend la non élucidation des questions essentielles dans ce procès : « Pourquoi avoir décidé d’acquérir un Boeing 767-300 Vip en lieu et place du BBJ-II (Boeing 737-800) déjà fabriqué? » Une question sans réponse, à la réponse soupçonnée. vite écartée par les juges. La jouant cynique, le chef de l’Exécutif n’a-t-il pas renouvelé par deux fois sa confiance à Marafa dont il feignait d’ignorer l’existence de lettres le compromettant ? Dans un monde de faux-semblants, il fallait que la justice feigne aussi d’ignorer la réponse à cette autre question de Marafa à la fin de sa 3ème lettre : « Pour quelle raison le ministre de l’Economie et des Finances a-t-il préféré transférer l’argent à GIA International plutôt que d’utiliser la solution sécurisée de la «stand by letter of credit» qui était proposée? » On ne gère pas une nation comme ça, avec des coups de fils. 

L’occasion faisant le larron dans un univers de pourris, c’est cette situation qui ouvrira la voie à toutes les dérives corruptrices, les compromissions, les indélicatesses et les concussions. Cité comme témoins dans cette affaire comme dans bien d’autres, le chef de l’Etat ne s’était-il pas montré au-dessus de la loi alors qu’il aurait pu se faire représenter, au moins pour l’image ? 

Cette omniprésence de l’Exécutif par la mise au pas des magistrats, des journaux de révérence et les libéralités que se permirent policiers, gendarmes et militaires n’est pas étrangère à l’accueil de l’accusé au cri de « Marafa Président », une situation cocasse choquante quand on prend du recul, quand on a à l’esprit les aspirations profondes du peuple. Ce retournement hideux est due à l’obstination et au sadisme d’un chef d’Etat honni sournoisement, en ce compris par ses plus proches supporters parce qu’eux aussi reprochables et dans l’expectative. Comme le citoyen italien sous Machiavel, ils craignent le Prince plus qu’ils ne l’aiment. Dans un univers peuplé de faux-semblants, la politique n’est qu’un jeu. Le cynisme de la situation c’est donc que malgré lui, Biya aura bricolé, c’est selon, le « martyr » ou le « héros » Marafa, très loin de mériter l’un ou l’autre de ces statuts. 

Tout ce cirque judiciaire aurait pu être évité. Car après 17 ans aux plus hautes fonctions d’un des Etats les plus corrompus du monde, d’autres motifs plus incisifs auraient pu être imputés à celui donc le but était d’anéantir politiquement, sans qu’il ne paraisse éloquent dans sa défense. Marafa a-t-il senti venir le vent et influencer par sa 3ème lettre le choix du chef d’accusation qu’on lui imputerait, alors qu’il était sous mandat de dépôt sans motif précis ? C’est à se demander si son arrestation même n’est pas une erreur de casting, et le motif invoqué, une bourde, surtout en considérant les

controverses soulevées et la psychose engendrée. Poussé à la faute, Biya aurait secoué le mauvais arbre. Et les fruits lui sont retombés sur la tête. Le plus célèbre de ses prisonniers aurait pu être facilement confondu avec un chef d’accusation autre. Qu’importe à la fin, Biya tient la barque et toute justice équitable est « sans objet ». Injustice !

Dans Le mariage de Figaro, De Beaumarchais résumait ainsi la politique : « Mais, feindre d'ignorer ce qu'on sait, de savoir tout ce qu'on ignore ; d'entendre ce qu'on ne comprend pas, de ne point ouïr ce qu'on entend ; surtout de pouvoir au-delà de ses forces ; avoir souvent pour grand secret de cacher qu'il n'y en a point ; s'enfermer pour tailler les plumes, et paraître profond, quand on n'est, comme on dit, que vide et creux ; jouer bien ou mal un personnage ; répandre des espions et pensionner des traîtres ; amollir des cachets ; intercepter des lettres ; et tâcher d'ennoblir la pauvreté des moyens par l'importance des objets : voilà toute la politique, ou je meure ! »

© Pour Camer.be : Betran KOMNANG – Bruxelles, Belgique


05/10/2012
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