Maquis et Boko Haram: La sortie de Biya choque des leaders d’opinion
DOUALA - 05 AOUT 2014
© Rodrigue N. TONGUE | Le Messager
En quittant le Cameroun pour les Etats-Unis, le président de la République a établi un lien entre la riposte à donner au terrorisme salafiste et la traque des «mouvements révolutionnaires» des années 1960.
© Rodrigue N. TONGUE | Le Messager
En quittant le Cameroun pour les Etats-Unis, le président de la République a établi un lien entre la riposte à donner au terrorisme salafiste et la traque des «mouvements révolutionnaires» des années 1960.
« On a éradiqué les maquis (des
mouvements révolutionnaires), on est venu à bout des villes mortes; ce
n’est pas le Boko Haram qui va dépasser le Cameroun. Nous continuons le
combat et nous les vaincrons». Voilà des propos qui feront certainement
date dans l’histoire politique du Cameroun. Ils ont été tenus, le 2
août 2014, par Paul Biya, président de la République, au pouvoir depuis
le 6 novembre 1982. Monté au créneau pour rassurer les troupes au front
contre la nébuleuse Boko Haram, combat derrière lequel les Camerounais
font front commun, le président a créé la polémique dans un dérapage
langagier qui choque dans les amphis, dans les salles de rédaction et
surtout sur les réseaux sociaux où leaders d’opinion font chorus pour
dénoncer l’assimilation de la lutte contre le colonialisme et le
néocolonialisme aux exactions de Boko Haram. A l’instar d’ Ezat El Dine,
ils sont nombreux sur la Toile qui pensent que M. Biya a fait étalage
de «sa réelle méconnaissance de l'histoire de notre pays et son mépris
vis à vis de ces héros que le système néocolonialiste, dont il est
lui-même issu, a décimé impitoyablement». L’ancien du journal Mutations
estime que «Cette attitude est impardonnable et grave. Très grave.
D'autant plus grave qu'il ose ajouter à cette ignoble assimilation, les
héros des années 1990, dont il a pu ‘venir à bout’ au cours des villes
mortes en les massacrant». Le caricaturiste souligne avoir marché en
1990 et ne peut qu'être méprisant devant de pareilles sottises. « C'est
lui qui n'a rien compris à ce pays, pas nous. Lui, il a juste compris
que pour rester et mourir au pouvoir, il faut faire usage de la terreur.
C'est tout», écrit-t-il.
Comparaison n’est pas raison Une opinion que n’est pas loin de partager Bertrand Teyou qui trouve que pour avoir salué la mémoire des nationalistes à Buea au cours de la célébration du Cinquantenaire de la Réunification, Paul Biya choque en changeant spectaculairement de position. « Il s’oppose aux maquisards, aux vandales des villes mortes et aux casseurs de février 2008 comme s’il avait besoin de rassurer ses amis impérialistes», se plaint l’écrivain en exil à l’étranger. Ce, avant de suggérer comme grille de lecture de la sortie du chef de l’Etat, le possible constat de ce que la filière locale de Boko Haram est peu être le germe d’une revendication interne contre le régime de Yaoundé. Mais, il regrette que putschistes ou simples bandits, le Boko Haram soit comparé au nationalisme. Ce que pense d’ailleurs Denis Nkwebo. Paul Biya «dit que l'armée nationale a lutté contre les révolutionnaires. Qu'elle a vaincu les révolutionnaires. C'est vrai ce qu'il dit même si mes propres parents étaient membres de l'Anlk [Armée de libération nationale du Kamerun. Ndlr]. Cela veut dire que Biya reconnaît l'existence d'une insurrection armée contre le Cameroun à partir du septentrion », explique le rédacteur en chef adjoint du quotidien Le Jour. Il se félicite d’ailleurs pour cette fleur faite à l’Upc qui avait tenu le flambeau de la « révolution» durant les années du maquis. «Ceux qui aujourd'hui tendent une perche aux nationalistes dans leur critique de ce discours de Biya sont les mêmes qui vilipendent souvent les upécistes et la lutte des nationalistes camerounais», constate-t-il. Quant à Sosthène Médard Lipot, porte-parole du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc), et conseiller en communication dans le civil, il emprunte à l’humour pour protester contre cette manière de voir de Paul Biya. Sur son mur Facebook il écrit : cynisme politique ; ou trou(ble) de mémoire du président ? Il déclare, sans remords, avoir combattu : contre les Nationalistes camerounais, les vandales des villes mortes… contre les délinquants des émeutes de la faim en février 2008... contre les terroristes aujourd'hui, ils « ne peuvent pas nous dépasser »... hum... comparaison n'est pas raison ! Ce post a déclenché sur le mur de l’homme politique, une flopée de réactions. Il y a celle du bloggeurs Bamen Youssouf selon qui le bout de phrase «nous avons éradiqué le maquis», le débat sur cette «phraséologie vient d'être ouvert pour que nous tranchons à la lumière des faits pour l'histoire vraie au Cameroun». Plus ironique encore, Hilaire Ngaoualeu Ham Ekoué affirme être « plutôt satisfait par cette déclaration du président du Rdpc (puisque celui de la République du Cameroun avait reconnu, -même s'il ne les avait pas nommés- la valeur de ces "maquisards"). L’Upciste souligne même que : « Monsieur Paul Biya, président du Rdpc a laissé parler clairement son cœur. Tout le monde sait maintenant : qui il est, pour qui et contre qui il travaille. Il revient au peuple kamerunais de tirer les conséquences». Et le débat ne fait que commencer sur cette bourde que les services de la présidence de la République ne jugent pas encore utile de corriger, sinon de repréciser. |
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