La secte islamiste Boko Haram est devenue un sujet de préoccupation majeure pour le Cameroun. En plus des assassinats et enlèvements perpétrés en terre camerounaise et la guerre que mène le pays, il y a une hyper agitation du landerneau politique : les uns et les autres s’opposent sur l’existence présumée du « Boko Haram camerounais ». Avant Boko Haram, le Cameroun a connu d’autres épouvantails qui ont fait long feu.
LE SPECTRE DU « BOKO HARAM CAMEROUNAIS »
Dans une de ses lettres, Marafa Hamidou Yaya laissait entendre qu’il y avait des complices de la secte islamiste Boko Haram au sein de l’establishment. Mais la sortie épistolaire de l’ancien ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation ne donnait aucun indice fiable permettant d’identifier avec précision ces chauves-souris. De même qu’il s’est empêché de citer les noms de ceux qui sont actionnaires de cette duplicité au sein de l’appareil d’Etat. Parlant des collusions internes dont pourrait bénéficier la secte islamiste Boko Haram au Cameroun, Cavayé Yéguié Djibril a affirmé le 11 juin dernier à l’ouverture de la session ordinaire de l’Assemblée nationale que : « Beaucoup sont parmi nous !
Certains font même preuve d’un activisme pour montrer aux autorités qu’ils travaillent contre la menace. Ils collaborent pourtant avec l’ennemi. Dénonçons-les ! » Le propos du président de l’Assemblée nationale n’a pas cependant contribué à évacuer l’ambigüité sur les identités de ceux qui « collaborent pourtant avec l’ennemi ».
L’appel de la Lékié, signé fin août dernier, n’a pas usé de circonlocutions. Ses signataires ont clairement parlé du « Boko Haram camerounais » en suggérant de dénoncer les complicités internes, surtout dans les régions septentrionales. Cette sortie épistolaire a aussi pêché par l’agitation spectrale : aucun nom, aucun indice palpable n’a été évoqué. La contre-attaque du président de l’Assemblée nationale publiée quelques jours après est juste venue dégager la responsabilité des natifs du « Grand Nord » dans ce que d’aucuns ont baptisé « le Boko Haram Camerounais », conforté par des allusions journalistiques de Fanny Pigeaud qui relayait la thèse d’un « complot nordiste » en se contentant de relayer quelques ragots.
Dans cette agitation, les « élites » ont publié un appel sous forme de serment d’engagement au chef de l’Etat qui a déclaré la guerre à cette secte islamiste le 17 mai dernier à Paris. Paul Biya, le président de la République, est donc le dénominateur commun de tous ces appels et de ce serment d’engagement, chacun affirmant soutenir l’action de l’Etat à travers sa fidélité au chef de l’exécutif. Mais le propos est contradictoire sur une même question. Dans ces batailles que se livrent des dignitaires du régime, le spectre du « Boko Haram camerounais » est agité : l’évocation de cet épouvantail est effrayante pour celui dont la proximité d’avec la secte est présumée. Son destin politique peut en dépendre.
Certains n’hésitent pas à prédire la débâcle politique de ceux-là qui s’étripent au tour du « Boko Haram camerounais » qui pourrait être un rouage de règlement de comptes politiques. C’est donc avec impatience que d’aucuns attendent la sentence discrétionnaire de Paul Biya.
LE G11 : CES FANTÔMES QUI LORGNAIENT LE FAUTEUIL DE PAUL BIYA
Le soupçon politique a fini par criminaliser l’ambition présidentielle au Cameroun. Tous ceux qui étaient cités comme faisant partie du groupe dénommé « Génération 2011 », plus connu sous l’appellation générique de « G11 » en savent quelque chose. Alors que le président de la République Paul Biya consommait allègrement son septennat obtenu au terme de la présidentielle d’octobre 2004, certaines langues ont commencé à évoquer des ambitions successorales de certains dignitaires du régime. A l’époque, la constitution préconisait la limitation des mandats présidentiels à deux septennats. En 2004, Paul Biya avait engagé son deuxième septennat, dont inéligible en 2011. Qui allait être le candidat du Rdpc à la présidentielle de 2011 ? Paul Biya allait-il se retirer de la vie publique ? Ces interrogations taraudaient certains esprits, à la lumière des dispositions constitutionnelles d’alors.
Comme pour brouiller les consciences inquisitrices, certaines sources, aux allures manipulatrices avérées, ont brandi l’existence d’un groupe d’ambitieux dont l’objectif final était d’hériter du fauteuil présidentiel en 2011 : le G11 voulait prendre le pouvoir après Paul Biya. D’aucuns évoquaient même des réunions secrètes entre les membres de cette nébuleuse. Dans une de ses lettres, Marafa Hamidou Yaya avoue avoir dit clairement au président de la République de ne plus briguer un autre mandat après celui de 2004. Fait qui aurait été utilisé contre l’ex Minatd, selon les dires de Marafa : des caciques du régime lui ont prêté une ambition présidentielle en lieu et place de Paul Biya.
L’ex SGPR pense que cette allusion a été le catalyseur de sa descente aux enfers. Certains anciens ministres happés par l’opération Epervier croient dur comme fer que leur éviction du gouvernement et leurs déboires judiciaires ne sont que l’aboutissement d’une sentence politique dont la genèse tient à leurs accointances présumées avec le « G11 ». Urbain Olanguena Awono, en ce qui le concerne, parle clairement « d’épuration politique ». En 2011, aucun cacique du régime ou ancien hiérarque n’a challengé, de près ou de loin, le candidat du Rdpc à la présidentielle. Or, c’était l’occasion pour le G11 de matérialiser ses ambitions. Paul Biya est toujours au pouvoir, le verrou de la limitation des mandats présidentiels ayant sauté.
BRUTUS : UN AUTRE COMPLOT CONTRE LE POUVOIR DE BIYA
Paul Biya, apparemment, est le coeur de la cible de plusieurs complots de la part de ses « créatures ». « Nous venons très respectueusement auprès de votre haute bienveillance vous tenir informé de façon urgente et impérieuse du complot que préparent les membres du groupe Brutus, complot que nous qualifions de haute trahison à l’endroit du chef de l’Etat qui a toujours su récompenser les siens. En effet, le groupe Brutus use de chantage parce qu’il a joué le rôle d’intermédiaire entre madame Balme et le chef de l’Etat pour « soigner l’image du Cameroun » c’est pour cela que pour ce faire payer, ce groupe aussi dangereux que le G11 se fait passer de compte d’opération du Cameroun », indiquait une correspondance que les dénonciateurs du groupe Brutus auraient adressé au chef de l’Etat en mars 2009. A en croire les auteurs de la correspondance, les membres de cette nébuleuse se recrutaient dans les cercles huppés du pouvoir: Urbain Olanguena Awono, Grégoire Awona, Narcisse Mouelle Kombi, Jacques Fame Ndongo, Marafa Hamidou Yaya, Moukoko Mbonjo, Maurice Aurélien Sosso, Luc Sindjoun, Sani Tanimou, Mengot Arrey, Bakang Mbock, Séraphin Fouda, Martin Okouda, Adoum Garoua, David Etame Massoma, Laurent Esso, Grégoire Owona, Henri Eyebe Ayissi…
Il était dit à l’époque que les renseignements destinés au Minatd se retrouvaient sur la place parisienne par l’aval de celle qui officiait comme secrétaire de Marafa Hamidou Yaya que l’on présentait aussi comme partisan du groupe Brutus. Ce réseau était soupçonné d’avoir des connexions avec les milieux homosexuel et francmaçon dans l’Hexagone. L’objectif de ce groupe était d’écorner l’image de Paul Biya auprès de Nicolas Sarkozy, le président français d’alors. « Pour eux, compte tenu des services rendus en amenant madame Balme, vous n’auriez pas dû arrêter les leurs (Atangana Mabara, Olanguena Awono, Polycarpe Abah Abah) », lit-on dans la correspondance qui aurait été adressée au chef de l’Etat à propos du groupe Brutus dont les membres feindraient le soutien à Paul Biya, alors que « ce sont les mêmes qui s’apprêtent à lui assener le coup fatal que Brutus donna à césar, en feignant de lui être fidèle ».
Ce groupe aurait aussi manifesté l’intention de s’opposer à l’anticipation des élections sénatoriales et présidentielles, tout en faisant reporter l’échéance d’un remaniement ministériel. Le groupe Brutus aurait voulu : décrédibiliser et fragiliser le régime de Biya ; manipuler le président de la République en orientant le choix des ministres et directeurs généraux acquis à la cause de Brutus, et, enfin, prendre… le pouvoir. Crime suprême. Une chose est sûre : les membres présumés de Brutus ont connu des fortunes diverses. Certains comme Marafa Hamidou Yaya ont été emprisonnés pour détournement de deniers publics, tandis que d’autres jouissent du statu quo politico-administratif. Le complot du groupe Brutus avait les mêmes contours que celui du G11.
LA SAISON SANS MOISSON DES « LISTES »
Le 25 janvier 2005 Mgr Simon Victor Tonye Bakot, ci-devant archevêque métropolitain de Yaoundé, a fait une homélie très critique : le prêtre décriait l’enrichissement illicite et les tares de notre société. L’homme d’église avait vertement fustigé les relations sexuelles contre nature qui ont tendance à se normaliser dans certains cercles, malgré les dispositions légales qui penchent exclusivement pour l’hétérosexualité au Cameroun. Ce que l’officiant de la messe de la nativité ignorait était la tournure que son prêche allait prendre.
Début 2006, des journaux en parlent abondamment, en publiant la liste des homosexuels de la République. D’un journal à l’autre, les noms diffèrent. Chaque canard a son « top 50 ». L’information fait rage et le caractère scandaleux meurtri certaines personnes nommément citées comme entretenant des rapports sexuels contre nature. Tout y passe. Des plaintes pleuvent dans les tribunaux pour diffamation. Journalistes et analystes politiques s’en donnent à coeur joie lors des débats d’actualité. Les journaux contenant des listes se vendent et se photocopient abondamment.
Le petit peuple se délecte des lamentations des « gens d’en haut » dont les lèpres étaient étalées au grand jour. Dans la même lancée, des listes des milliardaires sont publiées dans les journaux. Sans que ces faits ne dévoilent tous leurs secrets, les journaux étrangers, notamment Jeune Afrique, faisaient étaient d’une liste de présumés prévaricateurs que détenait Amadou Ali le ministre de la Justice d’alors dont la mainmise sur les destins judiciaires des dignitaires du régime était indéniable. Par la suite, Wikileaks dévoilera que le même Amadou Ali et Dooh Collins auraient mené une traque des comptes des Camerounais qui se seraient enrichi illicitement et qui avaient sécurisé leurs avoirs dans des comptes des banques étrangères.
L’on parlait aussi d’une « liste ». Un avocat français, Me Verges, avait même été mis à contribution dans ce dossier aux contours nébuleux. Ces multiples « affaires de listes » et leurs inconnues ont fait croire aux observateurs avertis de la scène politique qu’il y avait de la manipulation et des règlements de compte entre dignitaires du régime qui se livrent constamment des batailles à fleurets mouchetés en se servant de certains faits comme prétexte.