Manip’ politique à l’Université de Douala
Manip’ politique à l’Université de Douala
Par frederic.boungou | Jeudi 15 avril 2010 | Le Messager
Devant leurs camarades et les caméras de télévisions, quelques leaders estudiantins, notamment présidents et/ou ex-présidents d’associations d’étudiants de l’Université de Douala, ont déroulé, selon un scénario huilé d’avance, leur rhétorique flagorneuse. Et pan ! Le morceau est enfin lâché : « Nous étudiants de l’Université de Douala, nous engageons à soutenir et à encourager les initiatives du chef de l’Etat à l’endroit de la jeunesse camerounaise en général et des étudiants en particulier », écrivent-ils dans leur déclaration, non sans égratigner au passage, des compatriotes de la diaspora. Reprenant en effet un discours déjà proclamé par les thuriféraires du régime, ces (pauvres) étudiants affirment que « ternir l’image du Cameroun à l’étranger, c’est empêcher les investissements directs étrangers, fondement même d’une création permanente d’emplois, surtout pour nous les jeunes, et de la bonne santé de toute économie », etc., etc.
Pascal Afiana, Louis Eric Pem, Cyrille Marcel Bomba Betala, Clément Abbaa Kalgong, Camille Paulin Franc Ntolo, Jacques Ekambi et les douze autres signataires de cette déclaration y croient-ils vraiment ? Rien n’est moins sûr et tout laisse croire qu’ils sont juste les bras séculiers d’une grosse escroquérie politique visant à manipuler l’opinion estudiantine en faveur du parti au pouvoir. « Je ne suis pas au courant. C’est même quoi ? », répondait hier un étudiant approché par Le Messager pour en savoir plus sur les contours réelles de cette démarche. De toute évidence, elle ne semble pas avoir fait l’objet de consultations préliminaires au sein de la communauté estudiantine. Du coup, la déclaration de Douala, qu’on présente comme émanant de l’ensemble des étudiants, ne serait que le fait de quelques individus, qui, fort du mandat de représentation à eux donné par leurs camarades, croient devoir parler au nom de tous. L’escroquérie est d’autant grossière que l’administration de l’Université semble avoir été également flouée dans cette affaire. C’est en tout cas l’aveu du service de la communication qui marque sa surprise. « Nous ne sommes pas au courant de cette cérémonie. C’est vous qui nous l’apprenez », affirment les responsables. Vérification faite, le recteur a bel et bien donné son onction, mais il aurait été trompé sur son objet, apprend-on.
Cette information est néanmoins nuancée par l’Association pour la défense des droits des étudiants du Cameroun (Addec). Joint hier soir au téléphone, l’un de ses dirigeants, André Benang, dit avoir eu vent de la préparation de la déclaration de Douala. Il voit parmi les responsables de l’administration universitaire de Douala, ses instigateurs. Concernant le contenu de la déclaration, « rien ne nous autorise à prendre position pour ou contre. Par contre, ce qui est clair, c’est que l’Addec ne peut avoir qu’un regard critique sur les réalisations du pouvoir actuel, notamment en ce qui concerne les Universités d’Etat. Il faut que cela soit dit de façon claire, l’Addec ne saurait approuver cette initiative qui sort du cadre universitaire », répond-il à chaud. A propos de la représentativité supposée des signataires, André Benang est formel : « J’insiste sur le fait que ces étudiants ne représentent pas la communauté estudiantine qui ne les a pas mandatés à cet effet. D’ailleurs, le texte signé n’a pas été conçu par eux. » Tiens, tiens, on se rappelle que celui de leurs enseignants en 2004 (voir encadré) avait été concocté à Etoudi…
A 18 mois de l’élection présidentielle (la dernière s’est déroulée en octobre 2004, ndlr), l’heure est assurément aux grandes manœuvres. Après le viol de la conscience collective de l’opinion nationale à travers des motions de soutien à Paul Biya concoctés de toutes pièces par quelques élites en mal de positionnement politique, motions présentées comme étant la volonté du peuple profond, après la récente mise sous contrôle des chefs traditionnels, les campus apparaissaient comme un bastion à prendre. La conquête de cet espace redouté est en marche avec la déclaration – en réalité un appel à soutien déguisé – d’hier 14 avril 2010 des étudiants en faveur du président de la République. La cérémonie s’est déroulée dans un amphi 200 du campus plein comme un œuf. Selon des observateurs avertis, il s’agit-là d’un ballon d’essai et il n’est pas exclu que l’initiative essaime les autres Universités d’Etat dans les jours à venir.
Focal: Vieille recette pratique
« Ils préparaient ça depuis quelque temps ». La confidence est d’une personnalité informée des milieux politiques de Douala. Selon notre source, la démarche a été initiée par des opérateurs politiques de la région du Littoral en quête de strapontins autour de la mangeoire nationale. Ce faisant, ils empruntent simplement à ce que le politologue Aboya Manassé appelle des « recettes pratiques ». Il s’agit, précise-t-il, d’encadrer les catégories socio-professionnelles importantes car cela participe de la stratégie globale ciblée que le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) met actuellement en œuvre.
« Il faut savoir que les étudiants représentent un électorat averti. Ils peuvent influencer autour d’eux car ils sont capables de comprendre les enjeux. Les avoir avec soi signifie que l’élite de l’avenir du pays qu’ils sont partage la vision du pouvoir. Voilà le calcul politique que font les vrais initiateurs de cette déclaration », analyse Aboya Manassé. Dans cette logique, non seulement il faut s’attendre à ce que les autres Universités d’Etat emboîtent le pas à Douala, mais on devrait également assister au quadrillage par le pouvoir des autres catégories socio-professionnelles qui comptent dans le pays…
En la matière, l’Université de Douala n’a pas inventé la poudre. On se rappelle qu’au lendemain de son discours de fin d’année 2009 annonçant l’instauration d’une prime d’excellence aux meilleurs étudiants, quelques étudiants, sur l’initiative du ministre de l’Enseignement supérieur, avaient organisé à Yaoundé une marche de soutien au chef de l’Etat (précision, il y eut une contre marche de l’Association pour la défense des droits des étudiants du Cameroun). La première initiative de ce genre remonte en 2004, lorsque 200 enseignants d’Universités d’Etat signent un appel à la candidature de Paul Biya. Bien que brocardée à l’époque, leur démarche semble avoir fait des émules au sein de leurs « disciples ». Une vieille recette pratique que quelques étudiants viennent de ressortir du placard, 6 ans après.