Manifestations publiques: Quand l’administration torpille la démocratie
DOUALA - 15 Février 2012
© Jean François CHANNON | Le Messager
Les autorités administratives sont presque toujours promptes à interdire et à faire réprimer les manifestations publiques dirigées contre le système en place. Par contre elles sont toujours disponibles pour le parti au pouvoir et ses affidés.
© Jean François CHANNON | Le Messager
Les autorités administratives sont presque toujours promptes à interdire et à faire réprimer les manifestations publiques dirigées contre le système en place. Par contre elles sont toujours disponibles pour le parti au pouvoir et ses affidés.
Vincent Sosthène Fouda vient de l'apprendre à ses dépens. L'homme politique, candidat recalé par Elecam et le Conseil constitutionnel à l'élection présidentielle du 9 octobre 2011, a été inculpé par le procureur de la République près du tribunal de première instance d'Ekounou à Yaoundé, pour «participation à une manifestation non autorisée». Vincent Sosthène Fouda a voulu appliquer un principe cher au vénérable Abbé Pierre. L'eunuque de Saint Vincent de Paul, fondateur d'Emmaüs, de son vivant avait l'habitude de dire que «il faut savoir se mettre en colère lorsque quelque chose est mauvais. Et se mettre en colère, c'est aller le dire à ceux qui organisent ce qui est mauvais». Avec des étudiants militants de la dynamique Association pour la défense des droits des étudiants du Cameroun (Addec), il est simplement allé dire aux responsables de l'hôpital gynéco-obstétrique de Ngousso à Yaoundé, que c'est mauvais de laisser voler un bébé à une gamine de 17 ans. Et que 6 mois après, c'est aussi mauvais de continuer à torturer moralement la pauvre jeune fille, sans lui dire où est passé son bébé. La police, envoyée par l'autorité administrative a chargé. Vincent Sosthène Fouda et ses amis de l'Addec ont été arrêtés, après avoir été molestés comme c'est souvent le cas en de telles circonstances au Cameroun. Présenté au procureur de la République, l'homme politique qui est enseignant d'université au Canada, et qui a eu la naïveté de croire que le Cameroun est un pays démocratique, où l'on peut manifester librement et spontanément face à des situations de déviances sociales comme cela se fait dans tous les pays à la culture démocratique établie, a été inculpé, puis présenté au juge, et risque une condamnation. Avant lui, c'est le journaliste Sismondi Barlev Bidjocka, président d'une association dénommée Rassemblement de la jeunesse camerounaise (Rjc), qui, voulant exprimer publiquement sa désapprobation pour la situation que vit Vanessa Tchatchou, a eu «l'honneur» de goûter à la mauvaise humeur de la police camerounaise, venue interdire la manifestation régulièrement déclarée qu'il entendait organiser. Deux poids, deux mesures Depuis toujours, et davantage depuis l'avènement des lois dites de libertés de 1990, sauf à être de mauvaise foi, de telles situations sont légion au Cameroun. Charles Ateba Eyene, le très prolifique écrivain et coordonnateur du Club éthique, qui croyait bien faire en publiant le livre à succès intitulé «Les paradoxes du pays organisateur...», a été interdit de dédicace par beaucoup de sous-préfets à travers la République du Cameroun, et davantage dans sa région d'origine du Sud. Les journalistes de la presse nationale, stimulée par l'Union des journalistes du Cameroun, qui, suite à la douloureuse affaire Bibi Ngota, du nom d'un journaliste mort en prison en 2009, et qui ont voulu organiser le 3 mai (journée internationale de la liberté de la presse) de cette année-là, une manifestation régulièrement déclarée, ont été brutalisés par la police, sur instruction d'une autorité administrative locale. En remontant encore plus en arrière, on a encore le souvenir de l'image du très regretté Mongo Beti, jouant les Martin Luther King avec les «I have a dream» (le célèbre écrivain reprenait la fameuse formule du célèbre pasteur noir américain en rêvant de voir un jour le Cameroun devenir un pays de libertés) sur une estrade de l'hôtel Hilton à Yaoundé, alors qu'il venait d'être interdit de conférence publique lors de son premier retour au Cameroun après 32 ans d'exil. Le prétexte est donc toujours le même: menace à la paix sociale et trouble à l'ordre public. Au Cameroun, jamais un sous-préfet n'osera donner une suite à une demande de déclaration à manifester par un parti d'opposition ou des membres de la société civile contre une situation sociale qui pourrait embarrasser le pouvoir. On vous prive d'électricité et d'eau potable, et vous voulez manifester pour dire non à cet état de chose? Jamais! Mais alors jamais, le sous-préfet du coin n'adhérera à votre projet pourtant d'expression citoyenne. On a encore le souvenir du drame d'Abong-Mbang en 2007, lorsqu’'une autorité administrative zélée, a cru devoir réprimer dans le sang, des jeunes élèves qui manifestaient contre les coupures intempestives et prolongées du courant électrique en pleine période d'examens de fin d'année scolaire. Tout comme on se souviendra toujours de la terrible répression des manifestants de fin février 2008, avec son lot de morts, et d'emprisonnements des jeunes qui voulaient juste dire leur ras-le-bol, face à un pouvoir liberticide, et qui n'accepte pas de mettre en place un système politique qui favorise un jeu démocratique honnête. Par contre, quand le parti au pourvoir a voulu organiser une manifestation politique publique quelques jours seulement après les émeutes de ce fin février 2008 à l'esplanade de l'hôtel de ville de Yaoundé, le sous-préfet du coin a tout de suite accordé l'autorisation, et le préfet, tout comme le gouverneur se sont retrouvés aux premières loges. Il s'agit bien là d'une politique de deux poids deux mesures que le système fait actionner, juste pour sauvegarder le système et le régime en place. Peut-on donc alors dire que la démocratie camerounaise est torpillée par les autorités administratives? Si l'on vit au quotidien l'expérience de la vie politique de ce pays, et pour peu que l'on est habité par un esprit de lucidité, on pourrait réponde par un gros oui. Pour un politologue du sérail qui a requis l'anonymat, le fait semble plutôt complexe. «Le Cameroun est un Etat de droit. Personne ne peut le nier véritablement et de manière convaincante. Des efforts ont été faits par le président Paul Biya. Nous sommes un pays en démocratisation. Le peuple sous la houlette du chef de l’Etat gagne chaque jour des espaces de liberté qu'il doit consolider. Personne, surtout pas le chef de l'Etat n'oblige les sous-préfets, les préfets, et les gouverneurs à se montrer zélés en refusant le droit de manifester aux citoyens. Parfois, il est des cas, ou cela frôle le ridicule. On a presque envie d'en rire. Je pense notamment à ce qu'un sous-préfet a fait à Yaoundé, en interdisant le Pr Maurice Kamto, ancien ministre de la Justice, de donner une conférence de presse. C'est vraiment ridicule. Car voyez-vous, une société qui ne respire pas, fini toujours par exploser. Forcément!». |