Manassé Aboya Endong : Le Cameroun n’est pas à l’abri d’une crise post-électorale
L'éclairage du politologue, par ailleurs Directeur exécutif du Groupe de
recherches sur le parlementarisme et la démocratie en Afrique (Grepda).
Quels sont, selon vous, les gages de transparence dans l'organisation des prochaines consultations électorales au Cameroun ?
A
l'évidence, les gages de transparence dans l'organisation des
prochaines consultations électorales sont loin d'être nombreux. Ils
concernent d'une part les membres d'Elections Cameroon (Elecam) qui ne
peuvent bénéficier a priori que d'une présomption de bonne foi dans
l'accomplissement de leurs missions ; d'autre part, Elecam lui-même,
pris notamment de droit, comme institution de gestion électorale à part
entière, qui ne peut finalement bénéficier aussi que d'une présomption a
priori d'indépendance et de neutralité censée animer son
fonctionnement et sa capacité de réappropriation citoyenne de ses
prérogatives au profit d'un scrutin espéré juste et transparent.
Les
partis d'opposition, notamment le Sdf, déclarent que l'inféodation
d'Elecam au Rdpc n'augure pas d'avancées décisives en matière de
transparence dans le jeu électoral. Qu'en dites-vous ?
C'est un
débat qui a la peau dure et qui continue d'alimenter les positions
radicales des uns ou des autres sur la perception de la neutralité
censée avoir entouré la nomination par décret présidentiel des 12
membres du Conseil Electoral d'Elecam. Le Sdf a toujours défendu le
constat susceptible d'être fait a priori sur cette neutralité alors que
le Rdpc avait opté pour un constat a postériori de la neutralité de ces
membres. Quoiqu'on dise, aujourd'hui on a des membres à la tête d'Elecam
dont la filiation avec un parti politique ne peut plus être valablement
établie. C'était cela la finalité de la loi qui a eu le malheur d'être
alimentée par ces deux positions doctrinales, somme toute fortes et
pertinentes, mais naturellement appelées à être tranchées.
A mon
sens, la trajectoire actuelle devrait concilier ces deux tendances et
asseoir une convergence politique susceptible de crédibiliser la
consolidation progressive d'Elecam qui ne se réduit pas essentiellement à
ces 12 membres. Tant le gros problème portant sur Elecam réside au
niveau de la Direction générale des élections (Dge) qui est la véritable
structure opérationnelle de cette institution. Et qui n'emporte pas
également dans l'ensemble, une présomption de neutralité absolue. Mais
c'est justement sur elle que tous les acteurs doivent travailler, en vue
de l'améliorer pour crédibiliser l'aboutissement final du processus
électoral. C'est clair, Elecam a des imperfections manifestes. Mais
Elecam est justement appelé à se perfectionner avec le concours de tous
les acteurs politiques. En politique, on peut aussi faire l'option
d'être constructif sans que cela ne puisse rien enlever au statut
d'opposant, si tant est que ce statut est fondamentalement dynamique.
Comment
appréhendez-vous la sortie du Chairman du Sdf, qui soutient qu'il n y
aura pas d'élections au Cameroun avec Elecam dans sa configuration
actuelle ?
A moins de 7 mois de la présidentielle, cette position
persistante dénote d'un manque de réalisme politique de la part du
Chairman du Sdf qui entend par cette affirmation crédibiliser
l'avènement d'une forme de démocratie sans les urnes, avec tout ce que
cela comporte comme dérives contre-productives. Plus grave, le débat ne
devrait plus se focaliser sur la probable tenue ou non de la
présidentielle d'octobre prochain avec ou sans Elecam. En tant que
leader d'un parti politique ambitieux, il s'agit de résoudre en temps
réel une petite équation du premier degré, à savoir : « comment gagner
la présidentielle à venir avec Elecam ? ». Car manifestement, il n'y a
plus d'autre alternative envisageable qu'Elecam, du moins d'ici le mois
d'octobre prochain.
L'opposition réclame également, depuis
des années, l'informatisation de l'ensemble du processus électoral, qui
n'est pas toujours effective. Y a-t-il des freins qu'on pourrait
qualifier d'objectifs par rapport à cette informatisation et qu'est-ce
que cette informatisation apportera concrètement au processus ?
L'informatisation
de l'ensemble du processus électoral pose globalement le problème de la
transparence, aussi bien en amont qu'en aval des élections. Mais la
faisabilité de cette demande pose effectivement beaucoup de difficultés
opérationnelles, relatives notamment à la vulgarisation et à la maîtrise
de l'outil informatique applicable à l'ensemble du territoire national,
tout au moins à tous les bureaux de vote. Ce faisant, il faut tenir
compte de l'enclavement en énergie électrique de certaines régions du
Cameroun, tant il est difficile de promouvoir l'outil informatique sans
fourniture en énergie électrique. Outre la maîtrise de l'outil
informatique, il faut également relever que la fiabilité des listes ou
des résultats électoraux est toujours tributaire de la probité morale et
du degré de bonne foi des acteurs.
Or le Cameroun est un cas
reconnu comme atypique en matière de probité morale et de corruption
systémique de la société. En effet les documents de l'état civil exigés
aux électeurs sont souvent à l'origine des fraudes électorales. A
l'évidence, il paraît très clair que pour tenir le pari de la
transparence, il faudrait naturellement aussi obtenir l'engagement ferme
et sincère de tous les acteurs qui interviennent à tous les niveaux du
processus électoral, car si les acteurs ne cultivent pas l'esprit de la
transparence, cela pourrait se ressentir dans la conduite du processus
électoral et anéantir donc les efforts consentis dans l'informatisation
du fichier électoral tant revendiqué. Cet aspect place donc les
technologies de l'information et de la communication comme un
facilitateur et non comme la pièce maîtresse tant clamée pour la
transparence souhaitée des élections. A la suite des partis politiques
qui évoquent cette perspective, on peut donc indiquer que la démocratie
et l'Etat de droit ne sauraient se passer de l'action de l'homme sous
prétexte que le système informatique est performant ou suffisant. Car au
Cameroun, l'action de l'homme est tout le problème. A défaut d'être le
principal problème !
Autre exigence de l'opposition, la
refonte des listes électorales. Pour vous, le choix de la révision
opérée par Elecam est-il une volonté manifeste de ne pas inverser la
tendance à la fraude décriée par l'opposition ?
Ce n'est pas
évident de valider une telle hypothèse. L'éventualité de la refonte des
listes électorales était envisageable si Elecam n'avait pas eu besoin
d'hériter du fichier électoral détenu par le Minatd. C'est cette
perspective qui a ouvert la voie à Elecam pour la révision des listes
électorales, conformément aux dispositions de la loi n° 97/006 du 10
janvier 1997 fixant la période de révision et de refonte des listes
électorales. Cette opération consiste simplement en un travail de mise à
jour des listes électorales à partir de l'existant. Alors que la
refonte des listes électorales est une opération beaucoup plus complexe
de remise en cause de l'existant pour reconstituer un fichier électoral
nouveau. Elle s'assimile à une sorte de recensement de la population en
bonne et due forme. Et pourtant, en ayant de bonnes prédispositions
d'esprit, les deux démarches peuvent aboutir au résultat recherché : une
liste électorale authentique reflétant la configuration du corps
électoral.
En scrutant de près l'environnement juridique des
élections au Cameroun, notamment de l'élection présidentielle, l'on
remarque que des textes règlementaires se chevauchent. Par exemple,
l'élection présidentielle est organisée par la loi N°92/10 du 17
septembre 1992 fixant les conditions d'élection et de suppléance à la
présidence de la République, modifiée et complétée par la loi n°97/020
du 9 septembre 1997, mais certaines des dispositions qui la constituent
sont remises en cause par la loi n°2006/011 du 29 décembre 2006 portant
création organisation et fonctionnement d'Elections Cameroon (Elecam). A
quoi peuvent conduire ces chevauchements ?
Ces chevauchements et
entrecroisements juridiques sont naturellement regrettables et
incongrus pour un pays comme le Cameroun qui dispose pourtant
d'excellents juristes qui peuvent travailler à leur harmonisation. Ils
indiquent toutefois un attachement inutile, tout au moins congénital de
l'Etat à la confusion et à l'opacité. En clair, un cocktail juridique
dissonant, voué à l'encadrement des mêmes problématiques a
l'inconvénient d'invoquer les conflits dans le cadre électoral. Au
détriment de la paix tant recherchée !
Peut-on s'attendre dans les prochains jours à l'avènement d'un code électoral unique au Cameroun ?
A
quelques mois de la prochaine présidentielle, une telle perspective
n'est envisageable qu'à la faveur de la session parlementaire qui se
tient actuellement à l'Assemblée nationale. Sinon, on continuera
toujours à gérer une telle complexité. Et pourtant, il est urgent de
mettre sur pied un code électoral qui aura l'avantage de comporter en
son sein, des dispositions générales communes et des éléments
spécifiques applicables à chacune des élections à venir.
Tout
dernièrement, des diplomates onusiens en séjour au Cameroun ont exhorté
le gouvernement à modifier la composition du conseil électoral d'Elecam,
à accorder plus de marge de manœuvre à cet organe et à organiser un
scrutin présidentiel à deux tours. Le gouvernement peut-il se plier à
ces propositions, qui viennent des Nations-Unies, symbole de la
communauté internationale ?
Dans la liste de ces exhortations
très importantes, il y avait aussi l'idée d'instituer un bulletin de
vote unique pour les élections et la nécessité d'instaurer un dialogue
plus régulier entre Elecam et les acteurs du processus électoral, y
compris dans les régions et les départements. Le moins que l'on puisse
dire c'est que toutes ces exhortations visent à crédibiliser l'organe
chargé de conduire le processus électoral au Cameroun. Il s'agit de
faire avancer Elecam en crédibilité et en impartialité, autant d'aspects
qui tardent à fédérer l'ensemble des acteurs politiques. Toutefois, ces
exhortations ne sont que l'amplification des exceptions soulevées
chaque jour par les différents partis politiques. Les Nations-Unies
relayent tout simplement ici les revendications formulées
quotidiennement par les partis politiques. Aussi, au-delà de ces
recommandations, la décision appartient-elle toujours aux autorités du
pays.
Selon les promoteurs de l' «Offre orange», avec une
masse critique d'électeurs qui sont prêts à contrôler leurs votes,
l'alternance au sommet de l'Etat est possible au Cameroun, même avec
Elecam. Souscrivez-vous à cet avis ? Quel rôle peut jouer l'électorat
dans un système jugé peu perméable à la transparence ?
Les
élections se jouent toujours autour de la loi de la majorité. C'est le
fondement même de la démocratie, perçue comme le gouvernement de la
majorité, sous le contrôle de l'opposition et l'arbitrage du peuple. Si
la majorité d'un corps électoral est conscient de son poids politique,
vérifiable sur la base manifeste de son déploiement sur le terrain,
aucune fraude n'est facilement envisageable. Cette éventualité des
promoteurs de l' «Offre Orange» est donc envisageable si la majorité est
de leur côté. Car la fraude frappe davantage les groupes faiblement
représentés, parce qu'ils n'ont aucun ancrage sur le terrain. Ils ne
peuvent donc couvrir l'ensemble du territoire national aussi bien en
termes de candidats qu'en nombre suffisant de scrutateurs. Or tant que
les partis resteront campés sur une configuration périphérique, il sera
quasiment difficile de régler les aspects relatifs au contrôle des
votes. Ce qui peut permettre de relativiser sensiblement les
propositions formulées dans l' « Offre Orange ».
Il y a
quelques temps, le cardinal Christian Tumi affirmait que l'une des
causes possibles d'instabilité politique au Cameroun, c'est la mauvaise
organisation des élections, notamment le manque de transparence. C'est
un avis recevable ?
Bien sûr que cet avis résume convenablement
la vie de l'Afrique électorale. En effet, depuis le début de la
démocratisation, le bilan des processus électoraux reste mitigé, car la
plupart des élections organisées depuis les années 1990 ne débouchent
pas nécessairement sur la démocratisation des pays africains ni sur
l'alternance politique. Pire encore, ces élections sont bien souvent
source de conflits politiques et de répressions sanglantes. Les exemples
zimbabwéen, ivoirien, gabonais et béninois viennent apporter la preuve
que les élections représentent des périodes de tensions sociales et
politiques qui peuvent conduire à des conflits internes ou même
régionaux. Le Cameroun ne saurait être à l'abri de ce type de risques au
regard des passions observées ici et là dans les différents
états-majors des partis politiques.
En effet, comme partout
ailleurs, l'enjeu de la compétition électorale est le contrôle de
l'État, et surtout de ses ressources, car il est à la fois la plus
grande entreprise et le plus grand pourvoyeur d'emplois et de revenus.
Mieux, même les entreprises privées vivent des marchés publics,
autorisés ou facilités par les instances étatiques sans oublier l'accès
aux emplois de l'administration publique, à l'instar de ce recrutement
annoncé de 25 000 jeunes diplômés qui suscite un engouement quasiment
mystérieux. Ainsi, l'ethnie qui a le pouvoir politique est encline à
détenir tous les autres pouvoirs, notamment économique, militaire,
judiciaire, etc., au détriment des autres ethnies concurrentes. Raison
pour laquelle, perdre les élections, c'est un peu comme perdre l'Etat.
Aussi, faut-il donc faire très attention au mauvais calibrage d'un
processus électoral, en négligeant notamment les recommandations
formulées ici et là !
Propos recueillis par Alain B. Batongue