Mali. Pourquoi la France en voulait à Amadou Toumani Touré
Paris
ne pleurera pas Amadou Toumani Touré. Sur la question touarègue, sur la
guerre en Libye, sur des questions bilatérales, le président malien a
beaucoup irrité l’ancien colonisateur ces derniers temps. Explications.
Officiellement,
Paris dénonce avec la plus vive énergie le coup d’Etat qui vient
d’avoir lieu au Mali. Mais en diplomatie, la vérité est dans les
nuances. Alors que les Etats-Unis et un communiqué du Conseil de
sécurité de l’ONU appellent très clairement au rétablissement du
président Amadou Toumani Touré dans ses prérogatives, la France se
contente d’exiger des élections au plus vite et de suspendre sa
coopération avec le Mali, comme le veut une coutume qui n’a été remise
en cause ces dernières années que pour les putschistes du CNT libyen. La
France avait de nombreuses raisons d’en vouloir à Amadou Toumani Touré,
même si l’on peut supposer qu’elle comptait davantage sur des élections
que sur un coup d’Etat pour s’en débarrasser.
La pomme de discorde du "pacte migratoire"
Paris en voulait à ATT pour des raisons bilatérales en premier lieu. Le président malien avait refusé de signer un «pacte migratoire»
avec Paris. Un pacte destiné à limiter l’immigration régulière, à
lutter contre l’immigration clandestine, et qui devait subordonner toute
aide au développement à l’adhésion du Mali aux objectifs français en
termes de contrôle des flux de population. «Malgré les pressions
exercées par le ministère de l’Intérieur ou le gouvernement français sur
l’État malien, ce dernier a refusé d’apposer sa signature. Pour le
Mali, le très faible taux de régularisation des ses ressortissants
présents en France (et qui risquent donc l’expulsion) est une question
sensible : pour cause, le montant des transferts de fonds effectués par
les Maliens vivant en France est estimé à 295 millions d’euros par an,
soit 11 % du PIB malien», révèle une note du Comité catholique contre la faim pour le développement (CCFD).
La question de la gestion de la crise en Libye et du problème du nord
L’opinion publique malienne a pris fait et cause pour l’ex-«Guide»
libyen Muammar Kadhafi durant son duel avec les rebelles du CNT, à tel
point que des marches de soutien ont été organisées à Bamako. ATT était
sur la même ligne et s’est clairement inquiété des conséquences de
l’équipée de l’OTAN en Libye pour la stabilité de son pays et a reproché
aux Occidentaux de n’avoir rien fait pour désarmer la Légion islamique
de Kadhafi – composée en grande partie de Touaregs aujourd’hui liés à
l’insurrection.
La France s’est par ailleurs montrée agacée par le refus d’ATT de la
laisser intervenir directement sur son sol dans le cadre de la lutte
contre AQMI (Al Qaida au Maghreb islamique) et est allée
jusqu’à accuser mezza voce son entourage de profiter du business des
rançons payées en échange des otages occidentaux. La Première Dame
malienne n’avait-elle pas payé des biens de consommation avec des
billets de banque ayant transité par les mains des preneurs d’otage ?
Paris complice du MNLA ?
Une
bonne partie de l’opinion malienne et des officiels du régime ATT
dénonçaient, ouvertement ou pas, la complaisance de la France pour les
rebelles du MNLA, malgré leurs crimes odieux. Alors qu’ATT insistait sur
le respect de l’intégrité territoriale du Mali, l’ancien colonisateur
était en tout cas – comme en 2002 en Côte d’Ivoire – favorable à un
cessez-le-feu et des négociations avec les rebelles touaregs sans aucun
préalable en termes de désarmement.
«C'est peu dire que l'éviction d'ATT a été suivie de près à
Paris, qui voit partir sans regret un partenaire jugé insuffisant face
aux grands défis du Sahel - instabilité, développement, immigration et
terrorisme. Certes, mardi, Alain Juppé a condamné le coup d'État, appelé
au respect de l'ordre constitutionnel et à la tenue «le plus vite possible»
des élections prévues le 29 avril. La France a aussi annoncé la
suspension de sa coopération avec le Mali, hormis l'aide humanitaire et
la lutte antiterroriste. Mais des sources diplomatiques n'hésitent pas à
jeter une lumière plus crue sur un président malien «fatigué» et un pouvoir «en manque de confiance» par rapport à la population. D'autres parlent d'un président «dans le déni»
de la gravité de la situation militaire au nord du pays, dans le déni
aussi du dialogue avec les rebelles touaregs, que Paris juge nécessaire», résume ainsi Le Figaro.
Par
deux fois, Christian Rouyer, ambassadeur de France au Mali, s’était
déjà signalé par des sorties peu diplomatiques (voir encadré). «J’ai
entendu que l’Etat n’a pas joué son rôle. En fait, la classe politique
n’a pas joué son rôle ! Combien de débats à l’Assemblée nationale sur le
Nord-Mali ? Combien même de questions orales ? (…) La classe politique a
démissionné au nom d’un consensus de façade qui lui a fait perdre tout
esprit critique», disait-il ainsi, appelant quasi-ouvertement les députés à contester les options d’ATT.
Philippe Brou
Renaud Vignal – Christian Rouyer : des similitudes troublantes Comment croire un seul instant que la France ne soit pas soucieuse de préserver la stabilité du Mali, alors qu’elle consacre, chaque année, des millions d’euros au soutien de son développement et accueille sur son sol des dizaines de milliers de Maliens ? Comment croire un seul instant que la France puisse s’associer à une entreprise qui compromettrait le processus électoral, à trois mois des élections, alors que des candidats de valeur se sont déjà déclarés ? Comment croire un seul instant que la France puisse ne pas se sentir solidaire du peuple malien, quand une partie de la population est jetée sur les routes de l’exil et menacée d’une crise humanitaire grave ? Comment croire un seul instant que la France qui a contribué à sauver la population de Benghazi, qui se pose en défenseur de celle de Homs, puisse ne pas condamner un massacre qui serait perpétré sur le sol malien ? Comment croire un seul instant que l’Ambassade de France à Bamako, du seul fait qu’elle s’efforce d’entretenir des contacts avec toutes les composantes de la vie politique malienne et de la société civile, chercherait à «déstabiliser le pouvoir actuel» ? Alors, de grâce, que cessent les
procès d’intention, les jugements à l’emporte-pièce, les récupérations
fallacieuses, les spéculations gratuites et les accusations sans
fondement, dont les auteurs ne mesurent pas les conséquences ! La
visite, le 9 février, du ministre français de la Coopération est venue
rappeler, à point nommé, la solidité des liens qui unissent la France et
le Mali, le souci de la France que l’intégrité territoriale du Mali
soit respectée, et la nécessité de parvenir le plus tôt possible à un
cessez-le-feu au Nord Mali, en préalable à l’ouverture d’un dialogue
ouvert et sans tabou entre tous. Cela seul compte !» |