Mali. Des putschistes au milieu du gué
Aujourd’hui
26 mars 2012, cela fait 21 ans qu’Amadou Toumani Touré était entré dans
l’histoire du Mali en déposant le despote Moussa Traoré, inaugurant
ainsi l’ère démocratique de son pays. Mais il n’aura pas eu le temps de
célébrer cet anniversaire ; si tant est qu’il ait eu la tête à la fête.
En
effet, alors qu’il devait passer la main dans la plus pure tradition
républicaine à l’issue de la présidentielle du 29 avril prochain,
l’homme du 26 mars a été balayé par un coup d’Etat le 22 mars dernier.
Prenant
prétexte de l’incapacité et de l’incompétence du régime à gérer la
crise qui secoue le Nord Mali depuis le 17 janvier, des soldats sont
entrés par effraction au palais de Koulouba, alors qu’ils s’étaient
mutinés la veille, dans le seul but de revendiquer des moyens
conséquents pour contrer le Mouvement national de libération de l’Azawad
(MNLA). Et le moins que l’on puisse dire est que le capitaine Amadou
Haya Sanogo n’était pas vraiment préparé à la tâche. Avec son petit air
de Dadis (1), le chef de la junte est bien obligé, aujourd’hui qu’il est
au milieu du gué, d’improviser pour éviter de se noyer et avec lui,
tout le Mali !
A dire vrai, il y a quelque chose de déprimant dans cette tambouille. Jugez-en donc :
- une démocratie qui fonctionnait tant bien que mal, brutalement stoppée ;
- une classe politique divisée entre les “cocos stratégiques” (2) qui espèrent profiter de la courte échelle que leur offrent les putschistes, pour se propulser au-devant de la scène ; et les irréductibles défenseurs de l’ordre constitutionnel dont certains sont d’autant plus dépités qu’il espéraient succéder à ATT ;
- des scènes de pillage, des actes de vandalisme et des ruptures dans l’approvisionnement de certains produits de première nécessité ;
- une rébellion touareg qui profite de cette instabilité pour gagner du terrain, menaçant de prendre Kidal et même Gao.
Quand
on contemple ce triste tableau et la chienlit qui est en train de
s’installer petit à petit, on se demande bien si le remède de Kati (d’où
sont partis les putschistes) ne sera pas pire que le mal qu’ils
prétendent soigner. Oui, ATT avait ce côté molasson qui pouvait agacer ;
Oui, la démocratie malienne, à force d’être consensuelle, avait fini,
aux yeux de certains, par devenir incolore, inodore et sans saveur ;
Oui, il était tellement pressé de transmettre la charge, et avec elle la
patate chaude à son successeur élu, que le locataire du palais de
Koulouba n’avait plus, semble-t-il, le cœur à l’ouvrage. Oui, mais tout
cela ne saurait constituer une excuse absolutoire pour des militaires
qui ont fait faire à leur chère patrie un bond de géant en arrière...
Reste
à savoir comment leur faire rendre le plus rapidement possible ce
pouvoir qu’il ont désormais en travers de la gorge. De plus en plus
isolée, la junte de Bamako a déjà essuyé la condamnation sévère de la
Communauté internationale et de ses voisins. Et les premières sanctions
ne se sont pas fait attendre à travers des bailleurs de fonds tels que
l’Union européenne, les Etats-Unis, l’Union africaine et la CEDEAO.
Un retour de bâton qu’accompagnera certainement le Sommet
extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO convoqué
de toute urgence et qui doit s’ouvrir demain à Abidjan. Espérons qu’à
cette occasion, l’Organisation panafricaine aura la main suffisamment
leste pour leur faire passer l’envie de garder le pouvoir beaucoup plus
longtemps.
(1) Le capitaine Moussa Dadis Camara, chef de la junte militaire en Guinée de décembre 2008 à janvier 2010.
(2) Expression en Noutchi (argot de Côte d’Ivoire) qui désigne un opportuniste.