Face
aux députés le 4 avril, ministre d’Etat, ministre de la Justice, Garde
des sceaux, a presque dressé le bilan des 18 premiers mois de cette
juridiction.
Le Tribunal criminel spécial (Tcs) est visiblement au travail depuis le
15 octobre 2012, date de son audience inaugurale. Répondant à
l'honorable Joseph Mbah Ndam, député Sdf de la Momo-Est, lors de la
séance plénière consacrée aux questions orales aux membres du
gouvernement, le Garde des sceaux est allé droit au but. « Le Tribunal
criminel spécial a hérité de 119 dossiers venant des tribunaux de Grande
instance ; 39 de ces dossiers ont été enrôlés immédiatement ; ces
affaires ont fait ou font encore l'objet de débats publics...»,
clarifiera-t-il. Et de continuer : « A la date du 03 avril 2014, le
Tribunal criminel spécial a rendu 52 arrêts dont 36 au fond et 16 avant
dire droit... 51 inculpés ont été condamnés… »
Laurent Esso a tenu à préciser que la mission du Tcs n’est pas de condamner à tout prix. Car, soutiendra-t-il : « Pour ce qui est des dossiers à l’information judiciaire, malgré la confidentialité qui entoure le déroulement de l’instruction, je peux tout de même vous dire, qu’à ce jour, 19 inculpés ont bénéficié d’un non-lieu et 107 ont été renvoyés devant le Tribunal criminel spécial… 26 inculpés ont été acquittés ». Dans la même veine, l’on apprendra que 16 inculpés ont pu bénéficier de l'arrêt des poursuites par le Procureur général, après restitution du corps du délit. Conformément à une nouvelle disposition du droit positif camerounais qui permet au procureur général d’arrêter les poursuites sur autorisation du ministre de la Justice (Minjustice), lorsque le corps du délit est resitué. A ce propos, l’ancien patron du secrétariat général de la présidence de la République ajoutera que, « S’agissant des montants déjà reversés dans les caisses de l’Etat, le Trésor public a encaissé 2.401.235.610 francs (2,4 milliards Fcaf, ndlr).
Ces sommes sont déposées dans un compte ouvert au Trésor public, ne concernent que la restitution du corps du délit par certains mis en cause qui sollicitent l’arrêt des poursuites.» Le meilleur est certainement à venir, puisque le garde des sceaux informe qu’« En ce qui concerne les dommages et intérêts, le Tribunal criminel spécial à ce jour, a déjà prononcé 12.164.682.504 Fcfa (12,1 milliards Fcfa, ndlr) de dommages et intérêts. Une procédure spécifique devant être engagée dès que la décision devient définitive, afin de permettre à l’Etat d’obtenir réparation… S’agissant des amendes et frais de justice… Ces sommes qui ne pourront être définitivement calculées qu’au terme d’une procédure, sont estimées à 1.000.000 Fcfa pour les amendes et à 602.323.612 (602,3 millions Fcfa, ndlr) pour les frais de justice.» Toutes choses qui démontrent à suffire que le Tcs est loin d’être cette caisse de résonnance et de purge politique, tel qu’une certaine opinion a tendance à le dire, pour décrédibiliser les institutions de la République.
Ces prétentions viennent des personnes qui ne s’intéressent qu’à quelques affaires et pour qui, selon le ministre d’Etat: «La libre expression tend à dénaturer le noble concept qu’est la liberté d’expression », dixit Laurent Esso qui, par ailleurs fustigera visiblement le comportement de ces gens qui se prennent pour des connaisseurs et veulent occuper la place qui n’est pas la leur: «… Dans l’opinion, trop souvent, tout le monde sait, sauf celui quoi est sensé savoir… De même nous savons tout ce qu’il faut faire pour juger une affaire. Nous savons tout sur la jurisprudence. Nous savons tout ce qu’il faut faire pour que le pouvoir judiciaire soit à la hauteur des attentes et manifeste son indépendance. Chaque Camerounais le sait, sauf le juge». Malgré cela, devant la représentation nationale, le Garde des sceaux rassurera : « Le ministère de la Justice reste attentif et veille à ce que les affaires pénales soient désormais traitées dans un délai raisonnable et dans les limites du temps fixé par la loi… son fonctionnement s’inscrit dans la pérennité et s’effectue dans la discrétion et non en terme d’opération», suivez notre regard.
Autrement dit, Laurent Esso, à l’évidence, invite les Camerounais à
observer autour de cette juridiction qui fait ses premiers pas, et dont
les actes sont plutôt encourageants, une grande sérénité. Une sérénité
qui crédibilise les institutions nationales. Une sérénité qui honore le
pouvoir judiciaire.
En rappel.
« L’institution qui tient son audience inaugurale aujourd’hui, n’est
pas une juridiction d’exception. Elle est la réponse législative aux
dérives de droits communs constatées en matière de détournement des
deniers publics… Pour bien situer la suite de mon propos, je voudrais
rappeler que dans la chaine de la lutte contre les atteintes à la
fortune publique, les juridictions ne font pas la prévention. Le
Tribunal criminel spécial prend place dans les mécanismes de
répression». Ainsi s’exprime le ministre d’Etat, ministre de la Justice
Garde des sceaux, le 15 octobre 2012, lors de l’audience inaugurale du
Tribunal criminel spécial. Laurent Esso rappelle ainsi à la nouvelle
juridiction, ses missions et l’étendue de son pouvoir. En effet, le Tcs
est chargé de connaître des cas de détournements, lorsque le préjudice
subi par l’Etat est supérieur à 50 millions Fcfa. C’est une institution
qui existait déjà sous une autre forme dans les années 60 et répondait
au besoin du législateur camerounais à lutter efficacement contre la
corruption et les atteintes à la fortune publique, pour une meilleure
construction de la nation.
«Purge politique, Opération à tête chercheuse».
Tout a été dit sur la lutte contre les atteintes à la fortune publique initiée par le président de la République. Pourtant, dès son accession au pouvoir, Paul Biya prévenait lors dans son discours de prestation de serment le 6 novembre 1982 : « … Dans les temps durs que nous vivons, la grande et longue œuvre de construction nationale implique… la rigueur dans la gestion et la persévérance de dans l’effort vis-à-vis des manœuvres de démoralisation… ». Et le 31 décembre 2005, dans son adresse à la nation, le chef de l’Etat martelait : «Le détournement de fonds publics se fait au détriment de la communauté nationale. Je voudrais dire aujourd’hui très solennellement qui l’il faut que cela cesse ».
Lors de sa communication au cours du conseil ministériel du 12
septembre 2007, le chef de l’Etat avisait : «Le détournement de l’argent
public, quelle qu’en soit la forme, est un crime contre le peuple qui
se voit ainsi privé des ressources qui lui reviennent. Il doit donc
être sanctionné avec la plus grande sévérité ». Pour ce faire, Paul Biya
a mis en place plusieurs institutions de lutte contre la corruption
dont, l’Agence nationale d’investigation financière (Anif) et la
Commission nationale anti-corruption (Conac). Malgré ce dispositif et
les mises en garde du chef à répétition de l’exécutif, les mauvaises
habitudes ont continué. C’est donc en réponse à cette déliquescence
accentuée, sur proposition du président de la République, l’Assemblée
nationale a voté le 6 décembre 2011, une loi portant création du
Tribunal criminel spécial. Et depuis sa mise en service, cette
juridiction fait ses preuves. « Son bilan, en quelques mois seulement,
est fort appréciable et donne espoir », commente un observateur.
Le Tcs a sa police.
Vendredi 3 mai 2013, le chef de l’Etat, Paul Biya, a signé un décret portant création, organisation et fonctionnement du corps spécialisé d’officiers de police judiciaire (Opj) du Tcs dont la compétence est national. Ces Opj, comme on les appelle vulgairement, sont placés directement sous la direction et le contrôle du procureur général près le tribunal criminel spécial. D’après l’article 3 du texte, ces Opj ont pour mission : «de diligenter les enquêtes relatives aux infractions de détournement de biens publics et infractions connexes lorsque le préjudice est d’un montant minimum de cinquante millions Fcfa (50 000 000 Fcfa)». Ils se doivent par ailleurs, «d’exécuter les mandats de justice et les commissions rogatoires relevant de la compétence du Tribunal criminel spécial ».
Cependant, le texte signé par le chef de l’Etat retirait
immédiatement à la police et la gendarmerie, tous les dossiers. C’est
qui ressortait clairement de l’article 15, concernant les dispositions
transitoires et finales. «Les dossiers en cours d’enquête préliminaire
dans les services de la Sûreté nationale et de la gendarmerie et
relevant de la compétence du Tcs sont, en l’état, transmis au procureur
général près ledit tribunal ». Ainsi, la gendarmerie et la police, qui
ont conduit les enquêtes et arrestations dans le cadre de l’opération
Epervier depuis 2006 sont aujourd’hui théoriquement « hors circuit».
Tous les pouvoirs ont été formellement conférés aux magistrats du
Tribunal criminel spécial.
La séparation des pouvoirs consacrée.
Une opinion, fortement répandue et relayée au Cameroun, affirme que le pouvoir exécutif a la mainmise sur les différents procès initiés dans le cadre de la lutte contre les atteintes à la fortune publique. Remettant ainsi en cause l’indépendance du pouvoir judiciaire et par ricochet, l’impartialité de la justice. Pourtant, à titre d’exemple, Paul Biya déclarait au perron de l’Elysée le 30 janvier 2013 : «Le problème de Michel Thierry Atangana, que j'ai connu dans des dossiers, je ne le connais pas personnellement, donc il ne peut pas être un ennemi politique, c'est un homme qui a été condamné par les tribunaux pour détournement de deniers. Et son affaire est en instance. Il a fait appel et il a saisi également la Cour suprême. Nous attendons la décision de la Cour suprême pour voir ce qu'il y a lieu de faire. Notre souci, c'est qu'il y ait le maximum de gens libres, mais je ne veux pas contrarier les décisions de justice». Il devient ainsi clair que le chef de l’exécutif camerounais, dans toutes les affaires pendantes devant les juridictions, n’entend pas interférer sur le travail des magistrats. Au nom de la séparation des pouvoirs.
Par ailleurs, le ministre Laurent Esso rappelait aux responsables du Tcs lors de l’audience inaugurale : « Le pouvoir judiciaire est une institution structurée et organisée… Son mode de fonctionnement est juridiquement encadré. Les principaux acteurs, magistrats et avocats sont spécialement formés pour l’exercer. Ils ont prêtés serment. Nous devons donc prendre garde. » Car, plusieurs observateurs expriment de temps à autres, leur point de vue sur l’opportunité des poursuites dans le cadre de l’opération épervier, et même sur la subordination hiérarchique des magistrats vis-à-vis de la Chancellerie. Le Garde des sceaux souligne à cet effet : « Les textes organiques donnent aux ministères de la Justice le soin de suivre ces activités pour que la politique répressive soit construite. Je dis bien politique répressive et non activités juridictionnelles. Et j’ajoute que, construire une politique répressive ne veut pas dire mener une répression politique… C’est comme cela qu’il faut comprendre le sens de la subordination hiérarchique ». Donc, l’exécutif n’intervient à aucun moment dans les décisions de justice rendu par la cour.
Et, pour tout couronner, Laurent Esso indiquait au président du tribunal près le Tcs : « … La pratique judiciaire est un art difficile, vous le savez bien. Votre parfaite maîtrise de la police d’audience et votre sérénité dans la conduite des débats doivent apporter la quiétude dans les esprits… Si pour le magistrat du siège, la loi et sa conscience déterminent son intime conviction, il faut relever que, l’indépendance du juge est au service de toutes les parties au procès… L’indépendance de la Justice c’est d’abord le respect de la loi. » Et de conclure : « L’indépendance du juge c’est aussi l’assurance que le justiciable connaitra l’équité malgré l’interprétation restrictive de la loi pénale. L’indépendance du juge est davantage la garantie d’une bonne administration de la Justice. Cette indépendance honore notre système judiciaire. »