Lutte contre la corruption Le triste diagnostic d’un fléau qui persiste
Malgré les multiples opérations gouvernementales pour enrayer le mal, la corruption continue allègrement son bonhomme de chemin, causant un sérieux dommage à la crédibilité de l’Etat. La publication du « fameux » classement des pays les plus corrompus de la planète en 2000 et 2001, dans laquelle la terre du « Char des dieux » avait consécutivement occupé le premier rang mondial, a permis de faire sortir le gouvernement Camerounais de son apathie afin d’endiguer le fléau. Une résolution gouvernementale qui, en plus de faire régresser le Cameroun du firmament mondial de la corruption, devrait permettre également d’assainir plusieurs secteurs gangrénés de l’administration publique.
A cet effet, la création de comité ad hoc établi dès l’entame des années 1998, composé paritairement des Administrations et de la société civile, a conduit à l’établissement d’une Agence Nationale d’Investigation Financière Anif, chargée de la lutte contre le blanchiment et les mouvements de fonds frauduleux, véritable tuyau d’échappement des deniers dérobés.
Par ailleurs, à travers la multiplication des sommets, des forums, des rencontres et ateliers stratégiques d’engloutissement de fonds, des structures complémentaires à l’instar de la Commission Nationale Anti-corruption, et de l’Observatoire de Lutte contre la Corruption ont vu le jour. Des structures renforcées dans leur action par des services complémentaires tels que le Contrôle supérieur de l’Etat, les juridictions des comptes, les inspections ministérielles de lutte contre la corruption, l’Armp, mais qui au final présente un bilan, contrairement aux attentes, loin de satisfaire l’ensemble des observateurs.
Griefs
Le Premier ministre de l’époque, Peter Mafany Musongue, sous haute instruction du chef de l’Etat, ayant fait de la lutte contre la corruption son principal cheval de bataille, s’était habilement évertué à dresser un diagnostic général à partir du quel était né le programme National de Gouvernance. Ce document stratégique qui dressait un profil de travail de 2006 à 2010, accompagné des mesures coercitives conséquentes, peine aujourd’hui à boucher les nombreux nids de poule qui parsèment le chemin vers la réduction raisonnable de la corruption. Un constat que les arrestations des criminels à « cols blancs », qualifiées par des observateurs proches de l’opposition d’incarcérations à « tête chercheuse », n’a pu reluire. En effet, les actions prônées par le Programme National de Gouvernance, aussi bien dans le court que le moyen terme, notamment au niveau de la sensibilisation à travers de vastes campagnes médiatiques concertées, le renforcement du cadre juridique et le renforcement du dispositif de lutte contre la corruption suivant l’évaluation des résultats des expériences pilotes, sont à la fin de l’échéance temporel préalablement établi, un échec cuisant.
Le constat dans sa globalité est décevant. A l’instar de l’incendiaire incendié, la Conac et l’Anif chargés de superviser la dite bataille, sont plutôt devenus des chantres « endurcis » de la corruption. Les frasques médiatiques et impopulaires de plusieurs de leurs membres, pris la main dans le sac en flagrant délit de chantage, illustrent les accusations. La mission périlleuse assignée par le Premier ministre de l’époque, aux observatoires de la corruption installés dans les différents ministères corroborent aujourd’hui, le pessimisme d’antan de Me Akéré Muna, bâtonnier de l'Ordre des avocats, qui pensait clairement que « les poissons ne peuvent pas voter un budget pour l'achat des hameçons ». Une métaphore qui trouve tout son sens dans la mesure où, la dépendance organique desdites cellules ministérielles envers leurs ministres respectifs a fragilisé l’efficacité de leur travail. Comment avait-on pensé voir un chef d’une cellule ministérielle de lutte contre la corruption occupant simultanément la fonction d’inspecteur général dans le même ministère, se porter à faux contre son supérieur hiérarchique, le ministre ? Incroyable.
Utopie
Malgré les difficultés d’ordre structurel qui continuent de paralyser le rendement des différentes institutions chargées de lutter contre la corruption au Cameroun, l’absence de pouvoir et le défaut de fonds constituent de sérieuses raisons. La création d’un Observatoire National de Lutte contre la corruption incapable de poursuivre les corrompus, confirme la qualification péjorative de cette structure de « soldat sans arme ». L’action spectaculaire d’une opération épervier incapable de rapatrier les fonds et la versatilité temporelle du rapace correctionnel dans le choix de ces cibles, déteignent la quintessence de cette mesure gouvernementale.
Par ailleurs, toujours dans le même allant, le non respect de l’article 66 de la Constitution constitue un facteur limitant majeur dans la lutte contre la corruption au Cameroun. Edward Kembeng interpellant en décembre 2008, lors d’une session ordinaire à l’Assemblée Nationale, le Vice-premier ministre, ministre de la justice, sur cet article et son impact dans le combat contre le détournement des deniers publics, s’était vu promettre par Amadou Ali, une mise en application effective prompte qui, deux ans après, bat toujours de l’aile.
L’article 66 de la Constitution qui assigne tous les hauts cadres de l’organe exécutif, judiciaire, législatif de l’Etat et acteurs de la société civile à se soumettre à une déclaration obligatoire des biens et avoirs, à priori et à postériori de leur mandat ou fonction, est considéré par la plupart des camerounais, comme une véritable chimère. Une nouvelle limite dans cette lutte « difficile » renforcée par la faiblesse des fonds octroyés aux différents organismes de lutte contre la corruption.
Sur les 915 millions Fcfa demandés en 2006 par le Premier ministère dans le cadre du Programme National de Gouvernance afin de mener à bien cet assainissement massif, seul le tiers a été mis à la disposition de celui-ci, fragilisé davantage par les différentes mutations à la tête du gouvernement.
En attendant de voir des améliorations structurelles et institutionnelles être apportées, le tableau est toujours sombre. Des pans importants de l’administration continuent d’être le réceptacle d’un fléau qui appauvrit le trésor public et écorne l’image du Cameroun. Un constat pérennisé par la Conac lors d’un atelier de deux jours à Yaoundé, qui dévoilait un taux de corruption au Cameroun de l’ordre de 7,5 sur 10 au niveau du Budget d’Investissement Public et également par l’Ong Transparency International, au niveau de l’Indice de Perception de la Corruption. Des conclusions qui montrent notamment que la marche vers l’excellence est encore longue.
Paul Tonye Njel