Lutte contre la corruption au Cameroun : et si on commençait par l’article 66 de la constitution ?
Lutte contre la corruption au Cameroun : et si on commençait par l’article 66 de la constitution ?
L’actualité Camerounaise reste dominée depuis un certain temps par la série d’arrestations spectaculaires des anciens barons du régime politique en place. Ces mises en détention participeraient selon la thèse officielle à l’assainissement des mœurs dans le processus de gestion des ressources publiques. Ainsi celles-là s’inscriraient en droite ligne avec la volonté affirmée (dans les discours officiels) de lutter contre la corruption et spécifiquement contre les détournements des deniers publics. Face à cette thèse officielle, se dresse la thèse selon laquelle ces arrestations participeraient plutôt à une forme d’épuration politique contre les prétendants au pouvoir suprême. Il s’agirait alors selon ce point vue, de la réponse politique d’un système à bout de souffle aux prétentions internes au système. S’il est difficile pour nous de voir clair dans les intentions manifestes et/ou latentes des acteurs dans ce remue ménage politico et/ou judiciaire, il reste certain que la volonté affirmée de lutter contre la corruption dans les discours est mise à mal par la non mise en œuvre de certains mécanismes constitutionnels. A l’instar de l’article 66, relatif à la déclaration des biens. Et si on commençait par là ?
L’article 66 de la constitution Camerounaise prévoit le système de déclaration des biens au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction pour une catégorie de personnalités politiques et certains fonctionnaires. Il concerne en substance, le chef de l’Etat, le premier ministre, les membres du gouvernement, les députés, les directeurs généraux, pour ne citer que ceux-là. C’est dire que cet article de la loi fondamentale touche le cœur de la « boite noire » du système politique. L’un des buts visés par celui-ci est alors sans conteste la lutte contre la patrimonialisation des ressources publiques. D’ailleurs pour la banque Mondiale, les systèmes de déclaration des informations financières restent essentiels pour la lutte contre la corruption et contribuent à créer un climat d’intégrité [1] au sein de l’administration et peuvent permettre de détecter l’emploi à des fins privés des ressources publiques. Ainsi donc l’article 66 de la constitution Camerounaise se révèle être d’une importance irréfutable.
Cependant, malgré l’importance manifeste de cette disposition constitutionnelle, il a fallu 10 ans (1996-2006) pour voir naître la loi n°003/2006 relative à l’application de cette disposition constitutionnelle. Et depuis maintenant 5 ans, elle attend toujours le décret d’application qui permettra sa mise en œuvre effective. Or dans le même temps le régime en place procède à des arrestations massives en son propre sein selon un timing, des procédés et des objectifs n’ayant pas une visibilité apparente. C’est ainsi par exemple que certains hauts fonctionnaires se retrouvent derrière les barreaux pour certains faits alors que d’autres ayant commis des faits similaires sont simplement invités à effectuer des restitutions. Dès lors la tentation est grande de penser que ces arrestations sont à la tête du client et n’auraient pas que des objectifs d’amélioration de l’éthique professionnelle au sein de la fonction publique. Car tous les hauts fonctionnaires supposés indélicats ne sont pas traités de la même manière comme l’exigerait par exemple l’application de l’article 66 qui est indispensable pour crédibiliser le travail politique contre la corruption.
En effet, la crédibilité du travail politique contre la corruption passe nécessairement par l’application effective de l’article 66 de la constitution. Il est certes évident que l’application de cet article ne saurait être la panacée pour la lutte contre la corruption. Cependant il reste un instrument fondamental pour celle-ci. La mise en application de cette disposition constitutionnelle pourra d’une part servir de mise en garde contre la patrimonialisation des ressources de l’Etat par les hauts fonctionnaires dans leurs ensembles y compris le chef de l’Etat. D’autre part elle pourra permettre de détecter des conflits d’intérêts (réels et apparents [2] et les potentiels d’enrichissement illicite. C’est certainement pourquoi Joseph R.A. Ayee considère la déclaration des biens comme l’un des instruments clés pour conserver l’intégrité au sein de la fonction publique [3]. L’application de l’article 66 de la constitution pourra être utilisée aux deux niveaux complémentaires que sont la prévention et la répression de la corruption. Elle peut servir de base pour détecter et éviter les conflits d'intérêts potentiels avant qu'ils ne surviennent et fournir dans le même temps une base pour relever les incohérences dans le patrimoine des personnalités politiques et des fonctionnaires visés. Autrement dit, fournir la preuve probante de revenus illicites et servir de base à d’éventuelles poursuites judiciaires.
Les enjeux fondamentaux liés à l’application de cette disposition constitutionnelle sont à relier à la transparence et la responsabilisation des dirigeants politiques et administratifs dans le processus de gestion de la chose publique. Il reste constant que le principe de déclaration des biens peut augmenter de façon significative la responsabilité publique, ce qui entraîne nécessairement la reddition des comptes sur les actes posés par les uns et les autres. Si l’on s’accorde à reconnaître que la lutte contre la corruption est un impératif de développement, il convient alors de mettre en application l’article 66 au plus tôt.
Sali Bouba Oumarou est analyste sur www.UnMondeLibre.org.
[2]http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/ACCUEILEXTN/NEWSFRENCH/0,,contentMDK:23154936~menuPK:51200699~pagePK:34370~piPK:34424~theSitePK:1074931,00.html consulté le 25 juin 2012
[3] Joseph R.A. AYEE, « La Fonction publique en Afrique : Ethique »,Cafrad/ONU 13-15 décembre 1998,p.10