Louis Tobie Mbida: Il faut siffler la fin de récréation
Écrit par Jean-Pierre Bitongo | Yaoundé Mercredi, 09 Juin 2010 18:36
De son exil en France où il exerce la profession de médecin, le président du Pdc – le Parti des démocrates camerounais a fait savoir à Rfi hier matin qu’il arrive au Cameroun dans quelques semaines et qu’il pourrait se porter candidat à la prochaine élection présidentielle. Dans un entretien avec Christophe Boisbouvier, le fils du tout premier Premier ministre du Cameroun, André Marie Mbida, a saisi la balle au bond pour fustiger le régime de Paul Biya. Pour lui, il faut siffler la fin de la récréation.
« Le Cameroun comprend le langage du sport. Depuis 28 ans, nous avons un capitaine d’une équipe qui n’a pas sorti le Cameroun de la misère. Il n’a pas su apporter aux Camerounais les infrastructures scolaires, hospitalières, routières qu’ils attendaient de lui. Et se soigner au Cameroun aujourd’hui est une gageure. Ceux qui ont les moyens, se font évacuer », analyse Louis Tobie Mbida. A en croire le médecin, le président Paul Biya a manqué en 2008 deux rendez-vous de l’histoire. « Il a manqué un rendez-vous en février 2008 lorsque des jeunes sont descendus dans la rue pour protester parce qu’ils avaient faim. Plutôt que de dialoguer avec les jeunes, il a envoyé les forces armées et police camerounaises.
Et le gouvernement lui-même déplore un certain nombre de morts », relève-t-il, ajoutant que le président de la République a manqué aussi un rendez-vous avec l’histoire « lorsqu’en avril 2008, il a décidé de changer la Constitution qui prévoyait un chef de l’Etat ayant un mandat de sept ans renouvelable une seule fois ». Par la suite, il regrette le fait que son pays soit, au bout de 28 ans, « plongé dans des scandales politico-financiers alors que les attentes du peuple camerounais n’ont pas été réalisées ». Critiques Quant au discours prononcé le 17 mai dernier par le président Paul Biya, le président du Pdc a la dent dure : « il a parlé des jeunes nationalistes sans les citer. Certains Camerounais les connaissent. Mais la jeune génération, ceux qui sont nés en 1980, ne savent pas qui étaient Ruben Um
Nyobé, Ossendé Afana, Moumié. Ils ne savent pas qui était Ouandji Ernest. Le président de la République aurait pu citer aussi d’autres hommes qui ont précédé. Il aurait pu citer Rudolph Douala Manga Bell qui est mort pendu par les Allemands en 1916, Martin Paul Samba tué par les Allemands en 1916, André Marie Mbida qui a quand même conduit le tout premier gouvernement camerounais en 1957. Il aurait pu citer Ahmadou Ahidjo qui lui a tendu le flambeau en 1982 ». A la question de savoir si le silence de Paul Biya sur son père l’a blessé, Louis Tobie Mbida répond : « çà ne me blesse pas personnellement. Mais, j’estime que c’est un devoir citoyen que d’enseigner l’histoire de son peuple à toutes les générations… C’était une occasion d’apporter une pierre à l’édifice national de réconciliation ».
Pourquoi rentre-t-il au Cameroun, il explique : « je ne rentre pas au Cameroun comme un politicien du Centre ou du Sud. Je rentre au Cameroun comme Camerounais. Les problèmes qui se posent aux paysans camerounais d’Obala sont les mêmes qui se posent aux paysans de Maroua, de Ngaoundéré, de Bertoua, de Bafoussam ou de Nkongsamba…Ma vision du Cameroun n’est pas une vision tribale. Elle n’est pas régionale. C’est une vision qui est globale ». Evocations A l’en croire, son problème, c’est l’appartenance à une cause commune. Qu’est-ce qui explique son engagement politique, il déclare : « j’ai appris parce que j’ai subi. Lorsque mon père est arrêté le 29 juillet 1972, j’ai six ans. J’ai tout vécu. Le film de l’arrestation de mon père, je l’ai encore dans ma tête. J’ai vu ma mère se battre avec Mr Pondi qui à l’époque était commissaire à Yaoundé. J’ai vu ma mère se battre lorsqu’ils ont commencé à fouiller la maison. Ce type d’évènement ne s’oublie jamais.
Ce serait mentir que de dire que j’ai tout oublié. Mais, je n’en veux à personne. Je comprends aujourd’hui que çà fait partie de l’histoire. Il y a d’autres qui ont vu pire que çà. Um Nyobé a été fusillé, sa famille n’a pas eu droit à voir son corps. Ossendé Afana a été décapité, il a été interdit à sa famille de pleurer. Mbida est revenu aveugle mais, il est revenu vivant quand même ». Il fait savoir aux auditeurs de Radio France internationale que sa démarche aujourd’hui « n’est pas une démarche de vengeance », laissant entendre que son père lui avait dit qu’il se battait pour la démocratie au Cameroun. Louis Tobie Mbida vient de commettre un ouvrage intitulé : « Cameroun : Des années de braise, le son de l’histoire ». Livre publié aux éditions L’Harmattan. Restera-t-il au pays après la présidentielle de 2011 ?