Lorsqu'un super "Maire des tropiques" se prend pour le Baron Haussman de France

Permettez-moi de vous rappeler quelques faits. Le Baron Haussmann n’était pas un préfet d’une République, mais un préfet de l’Empire nommé par Napoléon III. Nous ne sommes pas dans un Empire au Cameroun, que je sache. Haussmann n’a jamais détruit un seul habitant de Paris sans avoir au préalable répondu à la question « Ces gens vont aller où ?».

Lettre Citoyenne ouverte au Délégué du Gouvernement auprès de la Communauté Urbaine de Yaoundé,  M. Gilbert Tsimi Evouna (GTE)

 

 

Monsieur le Délégué du Gouvernement,

Je me ferais une violence d’une gravité redoutable si je continuais de me taire, ou mieux de garder par devers moi, ce message qui me ronge depuis des mois, qui ronge tous les dignes citoyens.

 

Oui ! Il s’agit d’un message d’interpellation. 

J’imagine ce que vous allez dire en lisant ma lettre. Vous allez vous en moquer ! Comme vous le faites chaque jour devant les pleurs des centaines de citoyens que vous jetez dans la rue comme des indésirables, ou des animaux.

Oui ! Vous allez vous en moquer, comme vous vous moquez de ces enfants mineurs que vous privez de nourriture, de soins et d’avenir en détruisant les maisons et biens de leurs familles. Oui ! Vous allez vous en moquer comme vous vous moquez de ces jeunes ex-étudiants, vendeurs à la sauvette de Mokolo, que vous envoyez à la délinquance en brisant sans ménagement leurs commerces. Sachez que je me moque aussi du fait que vous vous en moquiez. L’essentiel est que vous ayez reçu mon message et que vous en compreniez le sens et l’essence. 

D’emblée, je tiens à rappeler, au cas où vous l’auriez oublié, que nous sommes tous des Camerounais. Ces citoyens que vous jetez sans ménagement dans la rue sont tous des Camerounais. Ils ne sont pas seulement Kirdi, Bamiléké, Béti, Bassa, Foulbé ou Douala, ils sont tous Camerounais. Ils sont Camerounais à part entière. N’en déplaise à votre camarade de parti, ce « Ministre du Mfoundi », qui malgré les appels à la haine tribale reste maintenu au Gouvernement du Cameroun (pas au gouvernement d’une ethnie). Nous sommes tous Camerounais partout où nous sommes sur le triangle national.

Ces enfants que vous privez de scolarité sont des citoyens camerounais. Ces enfants qui meurent par votre faute sont des camerounais. Ces jeunes, souvent mineurs, qui deviennent du jour au lendemain des SDF (Sans Domicile Fixe) sont tous des Camerounais. Ces enfants, qui ne peuvent plus manger parce que vous avez détruit la petite boutique qui permettait à leur père de les nourrir sont tous des Camerounais. Ces enfants qui meurent de froid parce que jetés dans la rue sont tous des Camerounais.

M. le Délégué, je voudrais bien croire que vous avez aussi des enfants. Mais cette idée se refuse de pénétrer dans mon très petit cerveau. Oui ! Je ne peux pas le croire.

Je ne peux pas comprendre qu’un père de famille pose des actes aussi inhumains en toute lucidité et en toute insouciance. Je ne peux pas admettre qu’après une journée de destructions massives de Camerounais, d’assassinats sous haute médiatisation de l’avenir des enfants des autres, vous puissiez vous retrouver à table chez vous en soirée avec vos propres enfants entrain de dîner en toute quiétude.

Admettons (je n’en doute pas) que vous soyez aussi père d’enfants. Lorsque, assis avec vos enfants à table le soir, que la télévision montre comment les bulldozers, sous votre brillant commandement, sont en train de détruire des maisons, des cuisines, emportant au passage des marmites encore pleines de nourriture prévue pour des enfants qui rentreront de l’école le soir, que dites-vous à vos enfants ? Lorsque vous voyez à la télé ces enfants au retour de classe le soir, pleurant de famine, ne retrouvant même plus où se situait leur maison qu’ils ont laissé le matin, que dites-vous à vos enfants ? Quand vous passez par le quartier Elig Edzoa le soir, que vous voyez ces centaines de familles avec près de 70% d’enfants mineurs, campant au bord de la rue, comme des réfugiés dans leur propre pays, qu’est-ce que vous dites à vos enfants ?

Je sais que vous êtes très courageux (« Jack Boer »). Vous êtes même capable de dire à vos enfants que ces gens que vous détruisez ne sont pas de êtres humains, que ce sont des animaux d’une mauvaise espèce qui salissent la ville, « votre ville ».

Oui ! Vous en êtes capable. Avec tout ce que vous avez déjà déclaré dans les médias, cela ne me surprendrait pas.   

Mais M. GTE, il s’agit bien d’êtres humains. Il s’agit bien de citoyens camerounais. Je me refuse de vous comparer à Hitler ? Vous n’êtes pas criminel comme ce nazi.  Hitler fondait sa logique sur le gène alors que vous fondez la vôtre sur la classe sociale avec un arrière-goût ethnique. Pour vous, les pauvres qui salissent votre ville doivent être éliminés pour permettre aux riches (à fortune très souvent douteuse) d’avoir des espaces verts et des parcs pour leurs loisirs.

C’est vrai, comme l’affirmait le président Américain F.D Roosevelt en 1944, que « les gens qui ont faim, les gens qui n’ont pas de travail sont l’étoffe dont sont faites les dictatures ». Mais j’ajouterai après lui, qu’aucune dictature n’a ténu définitivement sur un peuple : le peuple fini toujours par briser les chaînes et souvent avec des graves conséquences pour ses bourreaux d’hier.

Je ne peux plus me taire car vous êtes allés trop loin. Ils sont des millions de Camerounais qui voudraient bien vous transmettre ce message. Je m’engage à être leur messager. C’est une responsabilité historique.

Rien, alors rien ne justifie de telles inhumanités. Rien ne justifierait non plus notre silence à terme.

 

2) Monsieur le Délégué, Haussmann servait l’Empire, vous aussi ?

Vous vous sentez bien dans la peau de Haussmann. Mais à vous voir agir, j’ai des doutes sur votre maîtrise de l’histoire du préfet Georges Eugène Haussmann qui était un grand urbaniste du Paris moderne, du moins si l’on prend ses côtés positifs. Permettez-moi de vous rappeler quelques faits. Le Baron Haussmann n’était pas un préfet d’une République, mais un préfet de l’Empire nommé par Napoléon III. Nous ne sommes pas dans un Empire au Cameroun, que je sache.  

Haussmann n’a jamais détruit un seul habitant de Paris sans avoir au préalable répondu à la question « Ces gens vont aller où ?». Il est peut-être important de rappeler que Haussmann va étendre Paris qui passera de 16 à 20 arrondissements. Cette extension permettra de créer de nouvelles zones de recasement comme dans les 4 nouveaux arrondissements (17ème à 20ème). Souvenez-vous des HLM des régions parisiennes comme Clichy, Villejuif, Villeneuve, Kremlin Bicêtre dans le 94 qui ont accueilli, sous le financement public de l’Etat français, des milliers de personnes occupant des sites qui devaient être plus tard détruits. Malgré cela, les Français de la République ne manquent toujours pas de critiques sur votre idole : «On en ressort peu édifié sur l'homme qui rasa Paris avec contentement, sur le nervi du régime impérial, sur le politicien ahuri des derniers jours. Nicolas Chaudun dresse un portrait sans complaisance, donnant quelques pages acides sur les conceptions artistiques du préfet, qui rappelle la médiocrité intellectuelle du personnage et son absence totale de sensibilité. Enfin, avec bon sens, l’auteur vient rappeler combien 1'urbanisme haussmannien, loin d'une quelconque originalité, puise aux sources des Lumières en stéréotypant jusqu'à l'absurde des formules depuis longtemps mises au point. » François Loyer rappelait récemment à propos d'Haussmann : « Son histoire n'aura pas été celle d'un urbaniste, encore moins d'un artiste, mais d'un technocrate au service du Pouvoir », Le Figaro littéraire du 23 novembre 2000.

Le professeur Michel Carmona, historien à l'Université Paris-IV, lors d’une récente conférence à la Sorbonne parle de votre héros en ces termes : « Energique, autoritaire, cynique, pas toujours très regardant sur les moyens, Haussmann, qui réalise en 1860 l'extension de Paris jusqu'à ses limites d'aujourd'hui, fait bientôt l'unanimité contre lui. Le climat de spéculation et d'affairisme qui entoure ses travaux lui vaut le surnom de Haussmann Pacha. Certains lui reprochent de chasser les ouvriers et les pauvres, d'autres de ne pas se soucier du patrimoine architectural…. Aux premiers jours de janvier 1870, Napoléon III finit par sacrifier son préfet de la Seine ». Les Français ne pouvaient plus supporter.

Que pourront dire les historiens camerounais à votre sujet ?

 

3) M. le Délégué, les Français ont une couverture sociale étatique. Pas les Camerounais.

Vous avez fait référence à Paris et à la France pour présenter des similitudes entre vos ambitions et le rendu parisien de Haussmann. Permettez-moi de souligner ceci : Tous les Français bénéficient d’une assurance maladie qui permet d’avoir accès gratuitement à presque tous les soins médicaux y compris l’obtention de médicaments à la pharmacie. Cela suppose que, même dans la rue, le Français qui tombe malade se rendra à l’hôpital du coin et sera pris en charge gratuitement. Or, qu’est-ce que votre régime nous offre ? L’obligation de payer les frais de cession et même le carnet obligatoire avant l’accès à la moindre consultation. Avez-vous simplement une idée du coût d’une nuit d’hospitalisation dans les hôpitaux de Yaoundé ?

 

Vous n’oubliez pas que le Français, même à l’époque de Haussmann, même au chômage, avait droit à une allocation qui était plus qu’un salaire sous les tropiques. Vous savez très bien la place que la France, que vous citez en exemple, accorde aux enfants en termes de prise en charge. Mais au Cameroun, qu’est ce que l’Etat, sous le leadership de votre parti, nous promet ? Destructions inhumaines, assassinats non élucidés dans des hôtels (Cas du jeune Djomo Pokam au Hilton à Yaoundé), détournements, corruption et j’en passe. A propos, il me semble que cet Hôtel dans lequel des gens sont assassinés en plein jour est un « site dangereux » à Yaoundé et dans votre logique devrait être détruit ou du moins fermé.

Enfin, il faut se rappeler que Paris de l’époque de Haussmann était une ville d’environ 1000 000 d’habitants. Yaoundé compte aujourd’hui plus de 2000 000 de citoyens pour la plupart démunis (souffrez que ce chiffre soit peut-être erroné, mais que faire lorsque votre Gouvernement confisque les résultats du recensement général de la population depuis plusieurs années ?).

 

4) Le drapeau du Cameroun ensevelit : Le patriotisme bafoué !

A Etetak, vos équipes n’ont pas hésité à détruire jusqu’au mât portant le drapeau de notre pays chez le chef de ce quartier. Le drapeau s’est retrouvé publiquement enroulé dans la boue sans que vous n’ayez aucune gêne. Je ne doute pas un seul instant de votre patriotisme, mais pardonnez ma stupidité de croire que tous les Camerounais ont la même vision du patriotisme. Peut-être que si c’était le drapeau d’un (autre) pays occidental, vous aurez fait plus attention. En tout cas, Haussmann n’aurait jamais fait cela.

 

A la Carrière, à Mokollo, à NkolEton, à Elig Edzoa, à Ntaba, à la Briqueterie et dans bien d’autres quartiers de Yaoundé, vous avez détruit les habitations des Camerounais en jetant, sans proposer de solution alternative, des milliers de familles dans la rue : Haussmann ne l’aurait jamais fait !

Vous avez mis des vieillards de 82 ans dans la rue. Des anciens fonctionnaires, qui ont servi l’Etat pendant toute leur vie, sont jetés dans la rue sans ménagement : Haussmann n’aurait jamais fait cela.

Monsieur le délégué, de grâce ! Est-il nécessaire de profaner la mémoire de Haussmann ?

M. Le Délégué, quel est votre sentiment lorsque vous lisez cet extrait du journal Le Jour du 11 août 2008 ? « Le pauvre vit là où il peut », «Recasement immédiat», «Des morts se comptent chaque jour», «Des Tchadiens recasés au Nord, des Camerounais dans la rue», etc. En complément à ces revendications, Marie Thérèse Ngo Nsima, 39 ans, appuie : «Déjà quatre personnes décédées. Deux ont déjà été enterrées et deux autres attendent à la morgue. Nous vivons sous le froid, sans couverture ni nourriture.»  Vous en êtes fier, je suppose.

 

Vous aurez une médaille du Président de la République, à qui vous remettrez les clés de la ville dites-vous, peut-être les clés d’un grand cimetière ! Du courage ! 

 

 

Extrait du Livre : Nous sommes tous camerounais! Hilaire KAMGA, Yaoundé, Éditions AL 2008, 112p.


10/04/2009
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