Longévité. Issa Hayatou sur les traces des chefs d'Etats africains
Comme une lettre à la poste ! Réunis lundi 10 décembre 2012 au siège de la Caf au Caire (Egypte), les membres du Comité exécutif n’ont pas perdu de temps à parlementer. Comme il fallait s’y attendre, ils ont invalidé la candidature de l’Ivoirien Jacques Anouma pour les élections à la présidence de l’instance faitière du football africain. «En vertu des nouveaux textes, la liste retenue pour la présidence de la Caf est celle de Issa Hayatou», a brièvement déclaré le secrétaire général. Un rejet qui fait du président sortant, Issa Hayatou, l’unique candidat à sa propre succession pour un septième mandat à la tête de la Caf. Visé particulièrement par ce que d’aucuns ont appelé «l’amendement Raouraoua», un texte jugé cynique et insidieux proposé par le président de la fédération algérienne de football (Faf) qui dispose que «tout candidat aux élections de la présidence de la Caf, outre les compétences nécessaires, devra être ou avoir été membre du Comité Exécutif de la Caf», l’ancien président de la fédération ivoirienne de football a donc été purement et simplement botté en touche.
Un désaveu qui a provoqué une levée de bouclier dans le camp des détracteurs d’Issa Hayatou qui le présentent comme un tyran, un haut responsable qui dirige la Caf comme sa cour, à la manière d’un monarque qui ne veut pas entendre parler de changement et fait tout pour l’étouffer. Puisque malgré le poids de l’âge et la fragilité de sa santé, le Camerounais n’entend pas céder son poste. Or, estiment-ils, ce ne sont pas les gens capables de diriger cette prestigieuse institution qui manquent. Pour ceux-ci, Hayatou est à l’image de certains despotes africains prêts à faire feu de tout bois pour garder le pouvoir. Avec ce nouveau mandat qu’il s’apprête à briguer, l’ancien président de la Fédération camerounaise de football (Fécafoot) rejoint le banc infâme des dictateurs indécrottables. Ces présidents au pouvoir depuis des décennies comme Idriss Deby du Tchad, Denis Sassou Nguesso au Congo, Mugabe du Zimbabwe, Theodoro Obiang Nguema de la Guinée équatoriale et plus près de nous, Paul Biya au Cameroun. Tous réélus avec des scores à la soviétique. Eux qui feignent de savoir que lorsqu’on occupe un poste pendant longtemps, on finit par s’émousser, d’où l’intérêt d’apporter du sang neuf pour plus de dynamisme. Même s’il faut reconnaître que ce désir d’éternité au pouvoir est une ancienne tradition dans le monde du football. La preuve, Joao Havelange qui a quitté les affaires à l’âge de 94 ans, a régné de 1974 à 1998 sur la Fédération internationale de football association (Fifa). Il a succédé à ce poste à Stanley Rous (1961 à 1974) avant de passer le témoin à Joseph Blatter qui est bien parti pour battre le record de longévité.
Rotation
Toutefois, cette soif du pouvoir du président de la Caf ne devrait pas altérer l’œuvre que ce dernier a accompli pour le football africain. C’est par exemple grâce à lui que le nombre d'équipes africaines en phase finale de la Coupe du monde de football est passé de deux à trois en 1994 puis de trois à cinq à partir de l'édition de 1998. C’est encore lui qui a été à la manœuvre afin que le système de rotation pour l'organisation du Mondial soit adopté par le congrès de la Fifa et par son comité exécutif. Ce, avec l’appui de ses collègues africains au comité exécutif de la Fifa soutenus par l'Europe. Ce système a d’ailleurs permis au continent africain (Afrique du sud) en 2010 d'accueillir la plus grande épreuve sportive au monde après les Jeux Olympiques. Autre fait d’armes, suite à une initiative de Issa Hayatou, Joao Havelange a accepté que la Fifa prenne en charge les frais de voyage d'un délégué puis trois par association nationale lors de chaque congrès de la Fifa. Grâce à l'idée de Lennart Johansson contenue dans son projet Vision circulé en 1995 et soutenue par l'Afrique, chaque association nationale affiliée à la Fifa a pu bénéficier d'un million de dollars tous les quatre ans.
Que dire des excellentes performances réalisées par les équipes africaines dans diverses compétitions de la Fifa (médailles d'or aux Jeux Olympiques d'Atlanta et de Sydney), victoires au championnat du Monde des moins de 17 ans en 1991, 1993 et 1995, deuxième place au championnat du monde des moins de 17 ans en 1993, 1997 et 2001 et au championnat juniors en 1989, 1993 et 2001. C’est que, en sa qualité de membre du comité exécutif du Conseil supérieur du sport en Afrique (Cssa) et de 1er Vice-président de l'Ucsa, Issa Hayatou a su donner au football, sport numéro un aux Jeux Africains tout en permettant aux équipes africaines qualifiées de présenter uniquement leurs équipes olympiques, tout son sens et son contenu.
Echecs
Cependant, les années Hayatou ont été aussi noircies par les échecs, les fausses notes et les promesses non tenues. Les insuccès de la candidature marocaine en 1988, 1992 et l'Afrique du Sud en 2000, pour l'organisation de la Coupe du monde, l'échec à la course à la présidence de la Fifa en 2002 face au Suisse Joseph Sepp Blatter, le manque de transparence sur les retombées des sponsors, partenaires des différentes compétitions et événements (Caf awards) de la Caf, l'absence d'un cadre juridique réglementant l'exode des jeunes Africains vers l'Europe et la forte ingérence du politique dans la vie des fédérations, ternissent quelque peu le bilan de l’homme fort de Garoua.
En janvier 2010, quelques jours avant la fin de la Can en Angola, Issa Hayatou se retrouve au cœur d'une polémique suite à la fusillade subie par la sélection togolaise de football le 8 janvier 2010 à la frontière entre l’Angola et la République du Congo qui fera 2 morts et 8 blessés dans l'encadrement des Eperviers. Condamnant le retrait du Togo pendant la compétition, le président de la Caf suspend les Togolais de toute compétition internationale pour quatre ans. Le Capitaine du Togo Emmanuel Adebayor et son sélectionneur Hubert Velud dénoncent cette décision réclamant même la démission du Camerounais de la présidence de la Caf. En septembre 2010, Joseph Blatter président de la Fifa lève cette suspension.
L’an dernier, dans un documentaire diffusé par la Bbc, Issa Hayatou avait été cité dans une affaire de pots de vin. Dans ledit documentaire, la chaîne faisait des révélations selon lesquelles le président de la Caf, avait bénéficié des pots de vin de la société de marketing Isl, qui a fait faillite en 2001. La chaîne parlait de près de 76 millions d'euros dont aurait bénéficié la Caf. L’homme s'en était alors défendu, arguant que l'entreprise en question, partenaire de la Fifa, en versant cet argent, avait souhaité contribuer à la célébration du 40ème anniversaire de la Caf. Il aurait donc reçu à cet effet 15.000 euros de gratification personnelle. Un scandale de trop dans la carrière déjà très agitée de M. Hayatou dont beaucoup estiment qu’en homme averti, il doit pouvoir lire les signes et s’offrir une sortie honorable. Une issue qu’il n’entend pas (malheureusement) envisager.
C.T