Livre : quand Paul Biya cautionnait la fraude électorale





Dans son ouvrage « Le Choix de l’action. Mes dix ans au Minat », Marafa Hamidou Yaya fait de nombreuses révélations sur le double scrutin législatif et municipal du 30 juin 2002.

Marafa Hamidou Yaya n’est décidément pas un prisonnier comme tous les autres. Du moins, il refuse de l’être. Aux lendemains de son arrestation le 16 avril 2012, puis de son incarcération pour détournement de fonds publics, il décide de lancer l’offensive. Du fond de sa cellule, il publie des tribunes qui font florès dans la presse camerounaise. Chacune de ses lettres aux Camerounais est un moment de pure délectation pour le public qui en redemande, quêtant au passage quelques secrets du régime dont il fut pendant plus de 20 ans un des barons.

Puis, l’ancien secrétaire général de la présidence de la République passe la vitesse supérieure. Les colonnes de la presse locale sont désormais un peu étroites pour lui. Il publie à l’international. Le Monde, Jeune Afrique et Slate Afrique lui offrent des espaces. Des actions et d’autres qui vont finir par hisser cet homme au rang de prisonnier politique pour une partie de l’opinion camerounaise et de certaines chancelleries occidentales, dont le département d’Etat américain. Cette fois, Marafa Hamidou Yaya est monté d’un cran. Il vient de publier « Le Choix de l’action. Mes dix ans au Minat », Ed. Schabel, 2014, 409 p. Un ouvrage dont les premières lignes ont été écrites un soir dans son cachot sans fenêtre du secrétariat d’Etat à la Défense à Yaoundé d’où, seuls veillaient avec lui, « les papillons voletant dans la lueur blafarde du néon de [sa] cellule », ainsi qu’il l’écrit, passablement poétique.

Jean Jacques Ekindi in extremis

Au fil des pages, Marafa Hamidou Yaya se raconte, tout en se défendant d’avoir écrit ses mémoires, convaincu de n’être pas encore parvenu à la fin de sa carrière politique. Si le poste de secrétaire général de la présidence de la République est la fonction la plus prestigieuse qu’il ait occupée tout au long de sa vie professionnelle, celle de ministre d’Etat en charge de l’Administration territoriale est celle qui l’a en revanche le plus marqué. 10 années de sa vie. 23 juin 2002. Un dimanche. Paul Biya nomme presqu’au pied levé, Marafa Hamidou Yaya au poste de ministre de l’Administration territoriale, cumulativement avec ses fonctions de secrétaire général de la présidence de la République.

Le contexte de cette nomination est tout à fait particulier ; ce jour-là, une double consultation électorale (municipale et législative) doit se tenir. C’est seulement la veille qu’on s’aperçoit que les conditions d’organisation de ces deux élections ne sont pas réunies. Le matériel électoral n’a pas été acheminé, les bureaux de vote sont à peine identifiés, bref, rien n’est prêt. Le chef de l’Etat va alors signer un décret pour reporter les élections de sept jours, c’est-à-dire au 30 juin 2002.

Mais, dans la réalité du moins si l’on s’en tient au récit de l’auteur les choses n’ont pas été aussi simples. Un véritable vaudeville s’est joué dans les couloirs de la présidence de la République et la résidence du chef de l’Etat jusqu’au petit matin du 23 juin, date supposée des élections. Les acteurs : Marafa, Paul Biya, Belinga Eboutou, Ephraïm Inoni, Fame Ndongo, René Owona, Ferdinand Oyono et Mebé Ngo’o. Alors que son secrétaire général (Marafa) sur la base des sombres prédictions des gouverneurs des 10 provinces du Cameroun lui démontre que des élections ne sont pas possibles, Paul Biya s’entête. « C’est l’explosion, écrit l’auteur. Il me demande qui je crois être pour lui dire que lui, président de la République, ne pourra pas déposer son bulletin dans l’urne. » le chef de l’Etat veut faire un passage en force.

Jusqu’au moment où il se rend à l’évidence. Le ministre de l’Administration territoriale, Ferdinand Koungou Edima et le directeur général de la Sopécam, Jérôme Mvondo, sont immédiatement limogés. Réaction plutôt prompte de la part d’un président qui n’a pas la réputation d’agir dans le feu de l’action. Le parangon de « l’inertie » ou de « l’immobilisme », comme dirait Marafa. Le nouveau ministre de l’Administration territoriale se met immédiatement au travail. Il réussit le pari de l’organisation du double scrutin le 30 juin 2002. Des élections émaillées de fraudes dont certaines sont cautionnées par le président de la République. « Le parti au pouvoir s’était distingué en continuant jusqu’à la dernière minute à remplacer des candidats sur des listes déjà investies ou à investir des listes nouvelles hors délais », confie Marafa. Il rapporte aussi le cas du siège de député remporté par le Mouvement progressiste de Jean-Jacques Ekindi au cours de ces mêmes élections du 30 juin 2002 à Douala.

Pillage au Feicom

Lorsque les premières tendances sont connues, des caciques du pouvoir, membres du gouvernement font pression sur le gouverneur du Littoral afin qu’il barre la voie de l’Assemblée nationale à Ekindi. Le gouverneur s’en ouvre à son ministre, qui le lui déconseille vivement. Il faut s’en tenir au verdict des urnes. 30 minutes après l’entretien entre le Minat et le patron de la province du Littoral, Marafa reçoit un appel du président Biya. « Ma conversation avec le gouverneur de la province du Littoral lui a manifestement été rapportée, constate Marafa.

(…) Le président de la République réplique que Jean Jacques Ekindi mettra à profit la tribune de l’Assemblée nationale pour dénigrer, voire insulter les dirigeants de l’Etat. Je lui réponds que dans ce cas, nous réfuterons pas à pas les accusations du député Ekindi. J’ajoute que toute manipulation des résultats pourrait entraîner des émeutes dans la ville de Douala. Le président de la République raccroche sans commentaire, mais je sais qu’il faut agir pour empêcher définitivement toute falsification. »

Sans verser dans le déballage et le voyeurisme, l’ouvrage de Marafa Hamidou Yaya contient cependant quelques anecdotes assez croustillantes. Il dépeint au passage Paul Biya sous les traits d’un « personnage disjoint, insaisissable, dissimulant des gouffres intérieurs insondables ». Un chef d’Etat qui « exècre l’imprévu, lui qui refuse de tenir des conférences de presse par hantise des questions non connues d’avance ». Pendant ses 10 années au Minat, Marafa Hamidou Yaya va s’occuper, entre autres, des administrations placées sous sa tutelle.

C’est le cas du Feicom, la banque des communes qu’il trouve dans un état déplorable. Les caisses sont quasi vides. « Les effectifs sont pléthoriques, sans véritable plan d’organisation des effectifs et sans adéquation entre les postes occupés et le profil des responsables, déplore-t-il. Des nombreux hauts responsables y ont fait recruter leurs épouses, leurs maîtresses ou leurs progénitures, bien sûr sans tenir compte des besoins réels de l’entreprise en termes de ressources humaines. » Dans un contexte d’aussi grande gabegie, Marafa Hamidou Yaya, ministre de l’Administration territoriale refuse le poste de Pca du Feicom, contrariant fortement le chef de l’Etat.

Lorsque l’entreprise est finalement remise à flot avec un nouveau management, il consent enfin à en être le Pca comme le veut la tradition. « Le Choix de l’action. Mes dix ans au Minat » est un ouvrage audacieux d’un homme droit dans ses bottes. On y note cependant quelques non-dits. Marafa passe trop vite sur les émeutes sanglantes de février 2008 et sur la modification de la Constitution de cette année-là. C’est lui qui défendit en effet devant les députés de l’Assemblée nationale, le torpillage de la loi fondamentale, permettant ainsi au président Biya de n’avoir aucune barrière légale à un éventuel dessein de règne perpétuel. Marafa dénonce les slogans creux sous le renouveau (Santé pour tous en l’an 2000, un Cameroun émergent à l’horizon 2035, l’avènement d’une République exemplaire) et plaide pour sa « société de confiance ». Une chose est sûre.

Marafa Hamidou Yaya, aujourd’hui âgé de 62 ans est physiquement en prison, mais son esprit est libre. C’est sa plus grande force. C’est cette foi de charbonnier qui le rend redoutable pour ses adversaires. Dans son livre, l’ancien ministre d’Etat tombé en disgrâce se taille une stature d’infatigable travailleur et un costume d’homme d’Etat sûr de son destin. L’épitaphe de son livre, emprunté à Victor Hugo en dit long : « Vous dites : où vas-tu ? Je l’ignore ; et j’y vais. Quand le chemin est droit, jamais il n’est mauvais. J’ai devant moi le jour et j’ai la nuit derrière ; et cela me suffit ; je brise la barrière. »



Jean-Bruno Tagne



18/11/2014
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres