A première vue, on pourrait penser que le livre de Messengue Avom est un plaidoyer pro domo, quand on sait qu’il est parti du gouvernement à la suite d’un rapport incendiaire de la Commission nationale anti-corruption (Conac) qui le soupçonnait de malversation financière dans le cadre des marchés de construction de la route Ayos – Bognis. « Non », répond mordicus Magloire Ondoa, professeur de droit public, éditeur et préfacier de l’ouvrage. Pour lui, Bernard Messengue Avom a écrit un livre scientifique et c’est la seule raison pour laquelle il a accepté de l’éditer et de le préfacer. Il souligne l’importance des marchés publics au Cameroun, qui représentent au moins le tiers du budget de l’Etat. A titre d’exemple, 5970 marchés publics ont été passés en 2012, soit une somme de près de 700 milliards de francs Cfa sortis des caisses de l’Etat à cet effet. Avec, au passage, de nombreuses distractions de deniers publics.
Bernard Messengue Avom décrit et décrie, entre autres, les fraudes dans les marchés publics à travers la technique du fractionnement, le favoritisme et le clientélisme, l’usage abusif du gré à gré, les marchés fictifs, la corruption dans leur exécution, les trafics d’influence, etc. Il analyse les dysfonctionnements des commissions de passation des marchés publics au Cameroun. L’auteur pense qu’il est impératif de « revenir à la sacralisation de la chose publique ».
80% des sources d’évasion des fonds publics
« S’il est clair, poursuit-il, que l’ensemble des Camerounais est interpellé à ce propos, il convient de dire que la responsabilité incombe encore plus aux autorités républicaines qui gèrent pour le compte du mandataire qui est la collectivité des citoyens. Elles doivent le faire dans l’intérêt général et suivant une éthique de comportement quotidien qui préservera la République de la dérive monarchique. » Surtout que les marchés publics constituent 80% des sources d’évasion des fonds publics.
Le mérite de Bernard Messengue Avom est d’avoir écrit un livre pratique sur un sujet délicat (les marchés publics) au regard de son passé politique, qui l’a amené à se frotter au domaine, et de son activité actuelle de militant du Rdpc. Il n’a pas voulu enfermer sa réflexion dans son aspect essentiellement juridique, mais a, avec audace, abordé les marchés publics comme phénomène politique également.
Il affirme d’ailleurs à ce sujet qu’il y a une collusion entre décideurs et entrepreneurs, ce qui donne aux marchés publics une forme opaque qui ne laisse pas de place à la transparence. « La chèvre broute là où elle est attachée », relève-t-il, fort à-propos. « Dans le même ordre d’idées, poursuit-il, les leaders politiques engagés dans une coalition gouvernementale avec le parti au pouvoir utilisent leurs positions institutionnelles pour engranger des fonds à travers les marchés publics pour leurs partis politiques. » Bernard Messengue Avom propose alors la « dépolitisation des nominations aux postes de responsabilité et par-dessus tout, de sanctionner, réprimer les mauvaises pratiques, pour que force reste à la loi ».
Ancien ministre des Petites et moyennes entreprises (2004-2006), des Travaux publics (2006 - 2011), Bernard Messengue Avom est administrateur civil principal hors échelle diplômé de l’Enam. Depuis 1993, il est titulaire d’un doctorat de l’Université de droit, d’économie et des sciences de Marseille. « La gouvernance des marchés publics au Cameroun » est son deuxième livre après « Le Préfet et l’Etat au Cameroun » paru en janvier 2005 aux Presses de l’Université catholique d’Afrique centrale.
Bernard Messengue Avom
La gouvernance des marchés publics au Cameroun
Editions Le Kilimandjaro
2013
552 pages
Préface : Magloire Ondoa
Postface : Jean Nkuete
© Correspondance : Jean-Bruno Tagne