Dans un ouvrage collectif, des universitaires présentent les réalités de cette partie du pays.
«Le Cameroun septentrional en transition. Perspectives pluridisciplinaires ». L’ouvrage qui vient d’être publié sous la direction d’Alawadi Zelao, socio-politiste, chez l’Harmattan passe en revue l’histoire sociopolitique de cette partie du pays. Mais, c’est quoi le Cameroun septentrional ? Pour l’auteur, cela « ne renvoie ni à une entité géographique ni à une réalité administrative, encore moins à une quantité démographique». C’est juste «un élément-inducteur, un idéaltype de la spatialisation de l’objet d’étude plutôt que d’un lieu fixe avec ses caractéristiques définitives, son statut et son identité substantive».
Au final, «Le Nord, c’est nous tous», chute Fabien Eboussi Boulaga, dans sa préface. Et quant à la «transition», elle «ne fait pas sens d’une évolution linéaire, d’une trajectoire tendancielle, d’une marche en lisse ; plutôt elle évoque une réalité erratique pleine d’incertitudes et d’imprévus. La transition souligne un régime de mouvement historique toujours en discontinuité». Mais il y a eu transition dans le Cameroun septentrional profond, «société en accomplissement », dont l’ «histoire vivante se dévoile au mieux dans la saillance de la densité des rapports intercommunautaires». Ceci depuis l’ante et la postindépendance.
Les co-auteurs, 11 au total, renseignent que la société nord-camerounaise est restée dominée, par le bloc-islamo-peuhl, sur le peuple kirdi, non musulman. Cet état de choses fut exacerbé par le premier président camerounais Ahmadou Ahidjo, dès sa prise de fonction. Il a porté l’idéologie islamique aux confins du Cameroun septentrional. Au point qu’il avait une ambition explicite de faire croire à tous que cette partie est acquise, islamisée. Aussi, constitutionnellement instituée, la laïcité fut vécue comme un vœu pieux par les populations kirdi. «Le processus d’islamisation participait à la fois du déclassement et du reclassement des groupes dans le système d’inégalité mis en place par Ahidjo. A dire vrai, l’islamisation constituait un canal de contrôle et de surveillance des conduites indociles », tranche Alawadi Zelao. «Ce peul de Garoua, assène Gwoda Abel, co-auteur, bien qu’en situation de République n’a pu que jouait en faveur de l’idéologie musulmane au grand détriment des populations kirdi », citant Jean Marc Ela qui pensait déjà qu’Ahidjo a fait de «la Province du Nord» une société «sultanique et lamidale en donnant aux islamo-peuhl tout l’appareil de production de violence légitime et des sources d’accumulations des prébendes au détriment du reste des populations».
Mais avec sa démission en 1982, le Nord se révèle comme «une zone essentiellement effervescente et complexifiée, travaillées et traversées par des luttes sociales non soldées», écrit Alawadi. Ainsi l’élite kirdi fait son entrée dans l’espace du pouvoir dès 1983, avec le changement du régime. Ce qui «sonne le glas de la domination islamo-peuhl». Cette époque annonce également «le réveil des églises», qui va provoquer une forte mobilisation de la masse vers des «secteurs où éclot la parole du terroir». Les hommes d’église s’engagent ainsi aux côtés des paysans et des laissés-pour-compte. Les populations sont éduquées aux questions de la démocratie, de la liberté, des droits de l’Homme, de la citoyenneté, de développement, de l’éducation et de la santé. La prise de conscience est alors effective, surtout avec «l’arrivée au pouvoir en 1982 de Paul Biya qui va créer une rupture dans la situation socioreligieuse de cette région».
A la faveur du retour de la démocratie dans les années 1990, les expressions auront une coloration religieuse. Par exemple, les musulmans témoigneront leur fidélité à l’Undp de Bello Bouba Maïgari, musulman ; alors que les kirdi, eux, accordent leurs suffrages au Mdr, de Dakolé Daïssala. Ainsi ce passage à la démocratie a «inscrit l’espace politique régional dans un environnement idéologique fortement saturé».
La lecture de la contribution d’autres co-auteurs situe sur d’autres réalités, notamment le corps humain, le rapport à la santé, la femme, le pouvoir traditionnel, les mouvements migratoires, l’urbanisation, les acteurs de développement local, dans cette partie du pays. Et au final, les acteurs de développement, les hommes politiques, d’église et agents sanitaires ou simples chercheurs trouveront, sans détour, de la matière, dans les 350 lignes, rédigées dans un style digeste. Même si on peut regretter que les auteurs n’aient pas intégré des réalités plus contemporaines inhérentes au grand Nord politico-économique.