Le contrôleur de la gestion du bien public vient d’être épinglé pour plagiat avéré. Quelle image !
C’est un drôle de cadeau d’anniversaire que le ministre délégué à la
présidence de la République en charge du Contrôle supérieur de l’État
(Consupe), Henri Eyebe Ayissi, s’apprête à offrir à un jeune congénère.
Né le 21 août 1981 à Mefo, par Akom II (Sud), Eric Samuel Koua croyait
certainement bien faire en se rapprochant de son illustre aîné.
Le 17 janvier 2014, le titulaire d’un diplôme d’études approfondies (Dea) en droit public sollicite, auprès du membre du gouvernement, la «mise à disposition de l’intégralité» de la récente décision du Conseil de discipline budgétaire et financière (Cdbf) concernant l’université de Douala. Il vient alors d’achever la rédaction d’un ouvrage sur «La protection de la fortune publique au Cameroun», qu’il compte soumettre plus tard à la haute appréciation de son destinataire pour la préface et pour lequel il compte faire une actualisation.
Henri Eyebe Ayissi, le 27 février suivant, ne peut donner suite à cette demande au prétexte – bien logique – que «seules les autorités prévues par les textes en vigueur peuvent solliciter les décisions prononcées par le Conseil». Le demandeur pourra néanmoins se contenter d’une note d’information sur l’affaire, déjà abondamment relayée par les médias.
Le jeune auteur, au passage ancien cadre du Consupe, loin de se décourager, revient à la charge le 16 avril de l’année en cours. Cette fois, il sollicite une audience aux fins de définir les modalités de préface de son livre par Henri Eyebe Ayissi, dont il loue la «stature intellectuelle» ainsi que «la place privilégiée» de l’institution dont il a la charge dans le système camerounais de sécurisation de la fortune publique.
Imposture intellectuelle
Et c’est ici que le film se brouille. Pour reprendre le 30 juillet dernier à Yaoundé sous la forme d’un livre, présenté au public par son auteur, un certain Eyebe Ayissi Henri. Il a pour titre… «La protection de la fortune publique au Cameroun», 532 pages, sorti des éditions Kilimandjaro, préfacé par Magloire Ondoa avec un avant-propos de l’ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats du Cameroun, Me Akere Muna.
Entre-temps, l’on apprend, au travers d’un communiqué au vitriol émis par Magloire Nlate, directeur exécutif de la maison Magolo-Makele, l’éditeur Eric Samuel Koua et dont votre journal a publié de larges extraits je dernier, que la publication du livre de son poulain «n’a été (…) retardée que par l’insistance du néo-auteur d’obtenir une préface que lui avait promis Monsieur Henri Eyebe Ayissi». La maison a donc «accepté d’attendre cette fameuse préface promise par le Ministre», qui a bien «lu la mouture du livre» de M. Koua.
Magloire Nlate tombe donc des nues, en apprenant qu’Eyebe Ayissi
s’apprête à présenter un ouvrage éponyme au public. Il présume un
«plagiat» pur et simple de l’ouvrage dont sa boîte a «acquis tous les
droits d’édition et dont la sortie officielle est annoncée le jeudi 7
août 2014». D’ores et déjà, le patron de Magolo-Makele flaire un acte
«immoral paradoxalement opposé à la promotion de la morale publique». M.
Nlate ne fait qu’inviter alors le public à ne pas tomber dans le piège
d’«éventuelle imposture intellectuelle et d’attendre l’œuvre originelle
qui paraîtra cette prochaine». Il rassure l’opinion publique «que si
effectivement il s’agit d’un plagiat, [la maison saura] vigoureusement
défendre [ses] droits par tous les moyens légaux dignes de notre État de
droit». Nous y sommes.
Les paroles s’envolent…
Le quotidien à capitaux publics Cameroon Tribune (31/07) a amplement relayé la présentation publique, la veille au quartier Santa Barbara, du livre du grand moralisateur Henri Eyebe Ayissi. Citant le nouvel écrivain, il précise que le ministre «a révélé que la genèse de cette production intellectuelle trouve sa source au début de sa carrière de fonctionnaire du jeune diplômé de l’Enam». Il «a indiqué que le déclic du chantier qui a abouti à la production de l’ouvrage a véritablement eu lieu avec sa nomination à la tête du Contrôle supérieur de l’État, le 9 décembre 2011».
Interrogé par La Météo, Magloire Nlate déclare que le livre d’Eric Samuel Koua, auditeur de justice actuellement étudiant à l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam) de Yaoundé, paraîtra bel et bien ce jeudi. Il s’étrangle littéralement, en constatant d’étranges similitudes de fond et de forme avec l’ouvrage d’Henri Eyebe Ayissi, «bizarrement indisponible» dans les librairies depuis sa parution.
Il préfère toutefois jouer la carte de l’apaisement, pour le moment mais avertit : «Si les autres jouent à l’indifférence face à nos plaintes, nous saisirons les tribunaux et demanderons pas moins de 100 millions de francs de dédommagements.» L’auteur prétendument floué observe la même posture, «synonyme de sagesse» : «Pour l’instant je me réserve, je dis bien pour l’instant. De par mon métier, je ne dois pas dégainer en désordre.» Soit.
Des sources introduites de La Météo ont pourtant, dans cette sulfureuse affaire, senti comme une odeur de négociations souterraines. Info ou intox ? Dans l’un et l’autre cas, Henri Eyebe Ayissi se retrouve dans une position délicate. Il aura du mal à soutenir que sa réflexion épistolaire était antérieure aux sollicitations à lui faites par Eric Samuel Koua. Il pourra difficilement soutenir n’avoir pas pris connaissance des écrits de son cadet, qui lui a proposé une mouture de son travail en vue d’en solliciter la préface. La rectitude est sauve.
Drôle de drame
Voici donc un haut commis de l’État, doublé d’une casquette de gendarme de la fortune publique, pris la main dans le sac au travers d’un acte nauséeux, défiant toutes les règles éthiques et déontologiques. Voici le garant de la moralité républicaine embourbé dans un scandale de piraterie intellectuelle. En s’asseyant allègrement sur la copie d’un jeune écrivain, dont le tort aura été de solliciter le prestige de la fonction ministérielle dans le but de soutenir l’action d’assainissement du chef de l’État, il a toisé son cadet d’admirateur et nargué celui qui l’a fait roi.
Le très dédaigneux patron du Consupe est aujourd’hui pris à la gorge, englué jusqu’au cou dans un fait gravissime. A moins d’un arrangement dans l’antichambre, qui vaudrait mieux pour lui qu’un procès public retentissant, on ne voit point comment il pourrait continuer à jouer les preux. Du coup, son magistère pourrait en prendre un sérieux coup en termes de sincérité et de crédibilité.
En toute logique, les Camerounais, ceux qui ne demandent qu’à croire en sa probité, attendent avec impatience une prise de parole publique d’Henri Eyebe Ayissi sur ce sujet potentiellement détonnant. Il en est certainement de même pour sa hiérarchie, qui en cas de silence pourrait tirer toutes les conséquences de sa haute trahison épistolaire. Chiche !