Les familles autochtones du quartier Ntougou Golf avaient prévu d’organiser des rites funéraires hier devant la résidence du couple présidentiel pour revendiquer leurs terres.
Ils avaient prévu d’organiser l’Esani, la danse funéraire des Beti, devant la résidence des Biya. Pas pour faire le deuil du couple, encore bien vivant et qui n’a pas encore établi ses quartiers dans cette somptueuse résidence, mais en mémoire de leurs ancêtres. Hier, 16 septembre 2014, les familles autochtones de Ntougou (Golf) voulaient « commémorer le mémoire de [leurs] ancêtres et faire le deuil de [leurs] parents ayant succombé suite à l’accaparement de nos terres ».
Ce qu’ils ont indiqué dans la déclaration de manifestation publique qu’ils ont adressée le 11 septembre au sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé. Seulement, l’autorité administrative en a décidé autrement. « Tard dans la soirée hier [lundi, ndlr] on a reçu une décision d’interdiction du sous-préfet qui a en même temps convoqué le chef de village. Celui-ci nous a à son tour convoqués et nous a demandé de surseoir à la manifestation », déclare Jean Claude Essomba, le porte-parole des familles autochtones de Ntougou. Il indique également que les forces de l’ordre ont investi hier matin le site où ils avaient prévu de faire leur manifestation en « veillant à la préservation de l’ordre public ».
La décision portant interdiction d’une manifestation publique du sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé II, Yampen Oumarou, signée le 15 septembre indiquait : « Sont interdites sur toute l’étendue de l’arrondissement de Yaoundé II, à compter de la date de signature de la présente décision, les manifestations funéraires projetées en date du 16 septembre par Monsieur Essomba Jean Claude, en raison des risques potentiels d’atteinte grave à l’ordre public ».
Manifestations mortuaires pacifiques
Ce n’est pas la première fois que les familles de Ntougou projettent de manifester devant la résidence des Biya. Il y a un an, jour pour jour, elles adressaient un mémorandum au chef de l’Etat avec pour objet « Accaparement, appropriation illicite et détournement des terres des populations autochtones de Ntougou et de l’Etat dans le lotissement Ntougou-Quartier Golf par vos proches collaborateurs ».
Dans ce document le porte parole des familles écrivait déjà : « Tellement la situation est préoccupante aujourd’hui que nous avons le sentiment d’assister à la seconde mort de nos parents, grands-parents et ancêtres dont les restes gisent sous ces terres où nous vous accueillons. Selon nos traditions ancestrales, nous entendons dans les prochains jours commémorer leur deuil, de nouveau, à travers des manifestations mortuaires pacifiques rythmées par l’Essani, la danse funéraire des Beti authentiques que nous sommes.
Ce sera simultanément à l’esplanade de l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique à Yaoundé et aux portes de votre résidence privée de Ntougou-Golf ». Le problème remonte au 22 avril 1997, date à laquelle un arrêté du vice-Premier ministre, ministre du Développent urbain et de l’Habitat mettait à la disposition de la Mission d’aménagement et d’équipement des terrains urbains (Maetur) un espace d’une superficie de 38 ha au quartier Ntougou. « L’article 3 de cet arrêté prévoyait que le ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat décidera en temps opportun de la répartition des espaces aménagés entre les populations autochtones, la Maetur et l’Etat. Nous ne trahissons pas un secret en vous précisant que c’est suite à cette opération que vous-mêmes avez acquis en 2001 auprès de la Maetur votre propriété privée de 2 hectares (Titre foncier numéro 29361) qui jouxte l’ambassade américaine à Yaoundé », écrivaient les auteurs du mémorandum à Paul Biya.
Hautes personnalités
Les populations autochtones se plaignent du fait que l’opération prévue a été entachée de tripatouillages et de malversations au bénéfice de certains proches collaborateurs du chef de l’Etat et à leur grand dam. Les familles autochtones indiquent dans leur mémorandum qu’André Mama Fouda, à l’époque directeur général de la Maetur, s’est octroyé 06 parcelles de terrain sur ce site.
Elles citent également le Dg adjoint, Ekaney Thomas Kollé (un lot), Helé Pierre (deux lots), le Premier ministre de l’époque, Peter Mafany Musonge, et le secrétaire général de la présidence de la République, Marafa Hamidou Yaya (un lot chacun) d’avoir bénéficié du partage de ce qu’elles nomment « le butin ». Au même titre que Pierre Minlo Medjo, Remy Ze Meka ou encore l’ancien trésorier payeur général de Yaoundé, Akumchi Peter Awa. A la suite des revendications, une commission d’enquête administrative avait été mise sur pied par le ministre des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières.
Seulement, depuis le mois de février, cette commission n’a plus fait signe de vie. Ce qui inquiète fort le porte-parole des familles autochtones. « Il n’y a pas d’avancée au niveau de la commission, or on nous annonce des manipulations auprès de la conservation foncière », affirme-t-il.