Lions indomptables: Denis Lavagne et Linus Pascal Fouda se règlent les comptes
Jeudi, 18 Octobre 2012 16:46
Denis Lavagne*
«Quand on gagnait, on minimisait nos performances»
L’entraîneur suspendu le 13 septembre dernier, livre sa version des
faits sur la situation de crise que traverse l’équipe nationale du
Cameroun, qui ne s’est pas qualifiée pour la Can 2013.
Vous avez plusieurs fois déclaré que
vous étiez au milieu d’un conflit entre la Fécafoot, présidée par
Mohammed Iya, et d’autres personnes…
Oui. Pour des raisons multiples. Régionales, car Iya est du Nord. De
pouvoir aussi. Il y a des gens qui aimeraient prendre la présidence de
la Fécafoot, que Iya a rendue viable financièrement. Il est honnête, n’a
pas besoin de la fédération pour vivre et exister. Il est le patron de
la Sodécoton.
À qui pensez-vous ?
Des anciens joueurs comme Roger Milla – qui critique systématiquement
tous les sélectionneurs qui passent – ou Joseph-Antoine Bell, sont
intéressés par la présidence de la Fécafoot. Jean-Paul Akono, le nouveau
sélectionneur, est un pompier-pyromane. Cela fait des années que par
ses critiques incessantes, il créé une ambiance délétère autour de
l’équipe. Mais lors de son passage en 2001 à la tête de la grande équipe
des Lions (championne d’Afrique 2000 et 2002), il n’a pas su gagner un
seul match et a du démissionner au bout de trois rencontres… Pierre
Lechantre n’était plus là pour l’aider comme aux JO de 2000 où il a fait
tout le boulot. Personnellement, j’ai gagné six de mes huit matchs.
Que reprochez-vous à Akono ?
Quand il était Directeur technique national adjoint, je l’avais
rencontré avant le match en Guinée-Bissau, en qualifications pour la Can
2013, en février (1-0). Il m’avait dit que j’avais les compétences pour
participer à la reconstruction du foot camerounais. Juste après, je lis
dans la presse qu’il a fait un rapport au ministre des Sports, Adoum
Garoua, affirmant que j’étais une honte pour le foot du pays. Au moins,
Milla ne va pas le critiquer : ils marchent main dans la main. Ces
personnes ne souhaitaient pas que le Cameroun gagne.
En juin, ils sont allés jusqu'à rencontrer l’entraîneur de la Rdc
[Claude Le Roy, Ndlr] pour le renseigner sur les Lions et le supplier de
tout faire pour gagner le match. Quand on marque le but de la victoire
face à la Guinée-Bissau lors du match retour en juin (1-0), des gens ont
quitté le stade de dépit. Au Cap-Vert (à l’aller, 0-2), j’ai vu des
rictus de joie sur certains visages lors de notre défaite, en
particulier le chef de presse [Linus Pascal Fouda, Ndlr] et l’entraîneur
adjoint, Martin Ntoungou Mpilé. Quand on gagnait, on minimisait nos
performances. C’est troublant, non ?
Quelque part, vous sentiez-vous visé ?
Indirectement. Iya avait proposé ma nomination en octobre 2011 à Michel
Zoah, l’ancien ministre des Sports, qui ne s’y est pas opposé. Je
devais signer un contrat de deux ans, le 27 octobre 2011, et ça a
traîné. Y-a-t-il eu des pressions ? A partir de là, tout est allé de
travers. C’était un coup monté contre Iya. La suspension d’Eto’o après
le boycott du match amical en Algérie, le 15 novembre, n’a fait que
compliquer les choses.
Au Cameroun, il y a les pro-Eto’o et ceux qui estiment qu’il n’est pas
étranger au climat particulier qui règne autour de la sélection…
Akono et Milla avaient dit lors de la Coupe du Monde 2010 que Eto’o
était un problème pour l’équipe. Avec le joueur, je n’ai pas eu de
soucis. Samuel est un très grand footballeur, mais il veut être à la
fois joueur, buteur, capitaine, sélectionneur et président, voir
ministre. C’est le pouvoir qui l’intéresse. Il n’est pas revenu pour le
match aller face au Cap-Vert, car il avait dénoncé le manque de
professionnalisme de la fédération, alors que c’est le ministère des
Sports qui organise tous les déplacements et les matchs. La Fédération
n’a aucun pouvoir sur la sélection. Et là, il a accepté…
Vous savez pourquoi ?
Il a eu le brassard de capitaine. Avec moi, cela n’aurait pas été le
cas. Donner le brassard à quelqu’un qui a fait grève et boycotté un
match, parce que le ministre des Sports de l’époque ne voulait plus de
lui comme capitaine ? Impossible. Quant à ses déclarations sur
l’amateurisme autour de la sélection, les joueurs voyagent dans de très
bonnes conditions, ils logent dans des hôtels de luxe, et les primes
sont d’un montant très correct et payées dès la fin des matches. Ce
prétexte est un moyen de se dédouaner des mauvais résultats. Qui en est
le plus responsable? Le président ? Les entraîneurs qui changent tous
les 10 mois en moyenne ? Les joueurs et tous les opportunistes qui
créent un climat délétère autour de la sélection, espérant à des fins
personnelles et financières prendre le pouvoir de la Fédération ?
Aujourd’hui des gens se prosternent devant Eto’o, alors qu’il y a à
peine un mois, ils le critiquaient lors des réunions.
Eto’o n’est pas le seul à avoir accepté de revenir pour le match retour face au Cap-Vert
Certains avaient laissé tomber l’équipe, et là, ils sont revenus comme
des sauveurs. Il y a aussi l’exemple de Jean-Armel Kana-Biyik (Rennes).
Je l’avais plusieurs fois convoqué, et il n’était jamais venu. Peut-être
lui avait-on conseillé d’attendre… Son père et son oncle, François
Oman-Biyik, qui était l’adjoint de Clemente, sont de proches amis
d’Akono et Milla…
Avez-vous touché l’intégralité de vos salaires ?
Oui, mais seulement le 27 septembre. Je devais signer un contrat de
deux ans. Adoum Garoua, qui est un ministre qui ne prend aucune
décision, a renié sa parole et m’a fait signer un contrat d’un an. Il
avait sans doute des consignes venues de plus haut. J’ai été obligé
d’accepter sous la pression car on m’a menacé de ne pas me payer. Le 4
juin dernier, j’avais appris que la Fécafoot avait reçu une lettre lui
demandant d’établir une short-list pour me trouver un successeur.
Plusieurs fois, Garoua a demandé ma tête à Iya.
Qu’allez-vous faire désormais ?
À ce jour, je n’ai pas eu de contacts pour reprendre une équipe, je ne
me presse pas. Ce qui s’est passé pendant un an n’a pas été facile à
vivre. Je ne veux pas retomber dans une autre galère, et je vais
réfléchir avant de m’engager dans un autre club. Au Cameroun, certains
disent qu’ils sont patriotes, qu’ils aiment leur sélection. En fait, ils
pensent surtout à leur propre intérêt, en croyant que le Cameroun est
supérieur à toutes les équipes, au nom de son passé. Or, il n’a plus
rien gagné depuis dix ans, à part la LG Cup en novembre 2011 pour mes
deux premiers matchs à la tête de la sélection…